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Au-delà de 115 ans, votre ticket ne sera-t-il jamais plus valable ? La mort de la mort. Avril 2018. N° 109. 

 

Pour les hommes de science, la mort n’est pas un destin inévitable, mais simplement un problème technique (…). Nos meilleurs esprits ne perdent pas leur temps à essayer de donner un sens à la mort (…). Nous sommes maintenant au point où nous pouvons être francs à ce sujet. Le projet de la révolution scientifique est de donner la vie éternelle à l’humanité. Même si tuer la mort semble un objectif lointain, nous avons déjà réalisé des choses inconcevables il y a quelques siècles (…). Quelques érudits sérieux suggèrent que d’ici 2050, certains humains deviendront a-mortels (…). En l’absence de traumatismes graves, leur vie pourrait être prolongée indéfiniment. Sapiens: A Brief History of Humankind, page 298. 2014. Yubal Noah Harari (traduction).


Thème du mois. Le mystère des supercentenaires s’épaissit


Description de la situation

La durée de vie moyenne continue à s’allonger même dans les pays où les hommes, et les femmes vivent plus de 80 ans. Il y a plus d’octogénaires, de nonagénaires et de centenaires que jamais dans l’histoire de l’humanité, tant en chiffres absolus qu’en pourcentage.

Par contre, la durée de vie maximale n’augmente pas. La personne qui a vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité est Jeanne Calment. Elle est décédée à l’âge de 122 ans en 1997. Au cours de ce mois d’avril, la doyenne de l’humanité, qui avait 117 ans, est décédée. Étant donné que la femme la plus âgée vivante aujourd’hui n’a « que » 116 ans, cela signifie qu’il faudra encore au moins 7 ans pour que la durée de vie humaine maximale jamais atteinte soit dépassée.

Plus généralement, le nombre de supercentenaires, c’est-à-dire les personnes atteignant 110 ans et plus, reste extrêmement faible et la durée moyenne de survie de ces personnes exceptionnelles est très courte, moins d’un an. La probabilité pour un centenaire d’atteindre 110 ans semble même moindre aujourd’hui qu’à la fin du 20è siècle.

Le fait que la durée moyenne de vie augmente mais que la durée maximale stagne a pour conséquence que nous avons de plus en plus une « rectangularisation » des courbes de décès qui se concentrent sur une tranche d’âge assez étroite. Pour les femmes en France, l’âge de la fin de vie se déroulera, dans la majorité des cas, entre 85 et 100 ans. Pour les hommes, ce sera trois ou quatre ans plus tôt, après 80 ans jusqu’aux environs de 95 ans. Il est remarquable de constater que cette concentration de l’âge des décès est mondiale. C’est dans les pays pauvres ou la durée de vie moyenne est courte que la croissance de la durée de vie est la plus rapide (notamment dans les pays de l’Afrique subsaharienne) et c’est dans les pays les plus riches où la vie est plus longue que la croissance est la plus lente avec des signes de stagnation. De ce point de vue, le monde n’a jamais été aussi égalitaire.

En mars 2013. Une première lettre sur ce thème, intitulée Le mystère des supercentenaires était parue. Cinq années plus tard, une polémique scientifique et médiatique s’est développée suite à la publication en 2016 d’un article de Nature relatif à une limite constatée de la durée de vie autour de 115 ans. Cet article vise à établir qu’il y a une durée extrême de vie aux alentours de cet âge. L’idée à été contestée par certains longévitistes et appréciée par certains bioconservateurs. Dans les deux cas, les commentateurs omettent généralement de citer une phrase, courte mais importante, de l’article qui précise que cette limite semble absolue en l’absence de progrès médicaux.

Comment se fait-il que tous les progrès de la médecine de ce siècle et de la fin du siècle passé, toutes les accélérations technologiques, échouent à allonger la durée de vie de nos concitoyens les plus âgés ? Nous analysons le patrimoine génétique de millions de personnes et comprenons de plus en plus la complexité de l’humain, nous guérissons plus souvent du cancer, la mortalité due aux maladies cardiovasculaires décroît … mais être supercentenaire aujourd’hui est un évènement aussi exceptionnel qu’être centenaire dans la Grèce antique où les premiers empires chinois. Pourquoi ?

Explications envisagées non liées à l’état de santé proprement dit

Jusqu’à un certain âge, beaucoup de gens cherchent à être perçus comme jeunes. Mais pour les personnes les plus âgées, c’est souvent le contraire, elles cherchent à se faire passer pour plus âgées.

Les affirmations concernant de très longues vies de 130 ans et plus sont quasiment certainement fausses. En effet, comme la mortalité à 110 ans est d’au moins 50 % chaque année, il y a statistiquement moins d’une chance sur un million pour une personne de 110 ans d’atteindre 130 ans. Or, il n’y a que quelques centaines de personnes de 110 ans et plus dans le monde.

Il est presque certain que la plupart des prétendus supercentenaires du passé aient été des personnes moins âgées qui se sont « vieillies » pour apparaître plus sages ou pour bénéficier d’avantages matériels (échapper à la conscription, recevoir une pension, …). Il est d’ailleurs à noter que les affirmations extrêmes concernent souvent des hommes. Or, plus de 80 % des centenaires sont des femmes et l’homme le plus âgé au monde actuellement n’a que 112 ans.

La longévité extrême était donc exagérée autrefois mais ceci n’explique pas les stagnations constatées par le Gerontology Research Group (GRG). Depuis une trentaine d’années, ce groupe recense les supercentenaires en vérifiant les preuves des dates de naissance. Les revendications « fantaisistes » sont donc écartées. Logiquement, toutes choses étant égales par ailleurs, il devrait y avoir une croissance plus que proportionnelle du nombre constaté de supercentenaires étant donné que l’administration d’il y a 110 ans (attestant des supercentenaires vivants aujourd’hui) était généralement meilleure que celle d’il y a 130 ans (attestant des supercentenaires qui vivaient il y a 20 ans). Ce n’est pas le cas, même si l’âge moyen de décès des supercentenaires « vérifiés » croît lentement.

Certains ont évoqué « l’accident » statistique ». Jeanne Calment serait un phénomène isolé et les supercentenaires ne sont pas suffisamment nombreux pour pouvoir tirer des conclusions. Cette explication devient de moins en moins défendable au fur et à mesure que le nombre de centenaires grandit alors que celui des supercentenaires stagne. Ainsi en France il y avait 8.063 centenaires en 2000 et 16.255 en 2018. Le nombre de supercentenaires vérifiés par le CRG est lui passé de 8 en 2000 à seulement 3 en 2014 (le nombre réel de supercentenaires est probablement plus élevé).

Explications liées aux conditions de santé

Ce qui ne te tue pas te renforce est une maxime entendue parfois en psychologie et dans le domaine de la santé. Si cette idée est correcte, il est envisageable que les personnes devenant supercentenaires au cours des dernières décennies aient été moins soumises à des épisodes difficiles les renforçant et donc soient moins résistantes à l’extrême vieillesse.

À l’inverse, il est envisageable que les personnes décédées au siècle passé aient été favorisées pour tout ou partie de leur vie par rapport aux supercentenaires nés plus tard. Ceci pourrait avoir un impact positif pour leur durée de vie.

Dans les deux cas, il faut d’abord établir quelles circonstances chronologiquement spécifiques sont à considérer sachant qu’il ne doit pas s’agir d’un évènement géographiquement limité puisque le phénomène « d’assèchement » se produit du Japon à la France en passant par les USA et la Russie.

En ce qui concerne l’hypothèse du renforcement par des circonstances difficiles, il semble plutôt que des conditions de vie très dures bien avant la vieillesse diminuent l’espérance de vie plutôt que de l’augmenter.

En ce qui concerne l’hypothèse de circonstances qui se seraient dégradées par rapport au passé, elle apparaît improbable car globalement le 20ème siècle à été bien plus caractérisé par des progressions que par des régressions. Mais il est un domaine où l’évolution comprend d’importants aspects négatifs, c’est celui de la pollution, particulièrement la pollution atmosphérique, notamment les particules fines.

La pollution n’est pas apparue récemment, très loin de là. Mais beaucoup de sources de pollution, dont les particules fines et les radiations nucléaires, sont plus récentes et présentes partout dans le monde à des doses variables.

Si ces pollutions sont nuisibles à la santé de manière cumulative au cours d’une vie, cela pourrait expliquer le phénomène étudié.

Ce raisonnement très inquiétant a au moins deux faiblesses :

  • Il n’explique pas en quoi la pollution aurait des conséquences fortement négatives pour les supercentenaires mais pas pour les centenaires.
  • Il ne semble pas confirmé par l’examen de l’origine des populations de supercentenaires. Le Japon et la France par exemple qui comptent de nombreux supercentenaires ne sont pas particulièrement dépourvus de pollution atmosphérique.

Une maladie inconnue ?

Il reste l’hypothèse d’une affection touchant surtout les personnes très âgées. À l’appui de ce concept, il faut noter que beaucoup de centenaires et supercentenaires décèdent d’une affection peu connue, l’amylose sénile de la transthyrétine, maladie qui se caractérise par l’accumulation d’un certain type de protéine (la transthyrétine) dans le coeur.

Ici aussi, il reste à expliquer :

  • Pourquoi cette maladie aurait-elle plus de conséquences létales aujourd’hui qu’hier.
  • Pourquoi cette maladie aurait des conséquences négatives plus importantes pour ceux atteignant les âges les plus élevés mais moins fortes pour les « simples » centenaires.

La solution du mystère appartient aux chercheurs

La conclusion temporaire de cette lettre est que la communauté scientifique ignore à ce jour pourquoi le nombre et l’âge maximal des supercentenaires stagne voire diminue.

Imaginons que les bâtiments de nos villes se dégradent de moins en moins vite durant un siècle puis se mettent à s’abîmer plus rapidement, cela aurait probablement un plus grand impact sur l’opinion publique que la situation décrite dans cette lettre.

Il est vrai qu’un bâtiment de 100, 120 ou 150 ans bien entretenu peut-être comme neuf.

Ce dont nous pouvons être quasiment certains, c’est qu’il faudra des progrès médicaux considérables et « de rupture » pour franchir le « plafond de verre » des 115 ans. Des « ravalements de façade », une médecine classique ne suffiront pas. La « rectangularisation de la courbe des décès » – qui a été citée en début d’article – a pour conséquence que ces progrès seront utiles à de plus en plus de citoyens.


La bonne nouvelle du mois : de plus en plus de mises en commun de données publiques de santé à des fins de recherche


Le 16 avril 2018, la Commission européenne a annoncé que 13 pays européens ont signé une déclaration pour permettre l’accès transfrontalier à leurs informations génomiques. Ceci est une étape très importante pour le partage des données génomiques utile à la recherche médicale.

En France, suite à un large débat relatif à l’utilisation de l’intelligence artificielle, le Président Macron, présentant au Collège de France le rapport intitulé Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne a annoncé la création d’un hub des données de santé en déclarant notamment Nous avons un véritable avantage, c’est que nous possédons un système de santé très centralisé avec des bases de données d’une richesse exceptionnelle. Elles sont parmi les plus importantes au monde et mettent à notre portée des découvertes scientifiques majeures.

La prise de conscience par les autorités publiques dans l’Union européenne de l’utilité pour la recherche médicale de la mise en commun des données des citoyens (en préservant l’anonymat) est un pas considérable pour la recherche médicale contre la sénescence.


Pour en savoir plus :

L’intelligence artificielle pour la longévité. La mort de la mort. Mars 2018. N° 108.

La première personne qui atteindra l’âge de 200 ans est déjà née. Le futur est énorme. Il n’a jamais été plus existentiellement transformatif (traduction). Stephen Fry, écrivain, humoriste, acteur et réalisateur britannique, mars 2018.


Thème du mois. En quoi l’intelligence artificielle (faible ou forte) pourrait-elle aider contre le vieillissement ?


Il existe bien des définitions de ce qu’est l’intelligence artificielle. Dans le présent texte, nous examinerons toutes les applications informatiques capables d’effectuer des opérations autrefois accessibles uniquement à des humains. Le terme intelligence artificielle « forte » ou « générale » (mais pas nécessairement consciente) est utilisé pour désigner un système informatique à la capacité globale approchant ou dépassant la capacité humaine.

Il existe actuellement d’innombrables applications informatiques avec une intelligence spécifique dépassant l’humain dans des domaines de plus en plus nombreux et larges, mais aucune forme d’intelligence artificielle générale.

Réduire les risques de sénescence peut aussi contribuer à réduire d’autres risques pour l’humanité.

Il en va de l’intelligence artificielle comme de bien d’autres avancées technologiques. Elle peut être facteur de progrès ou facteur de destructions humaines.

Mais, concernant l’intelligence artificielle, il y a plus grave, comme c’est le cas pour quelques autres avancées technologiques telle l’énergie nucléaire. Dans le pire des cas, ce n’est pas seulement la vie de femmes et d’hommes qui est en jeu, c’est le sort de l’humanité dans sa totalité. Des scientifiques et personnalités majeures dont Elon Musk, Bill Gates et Stephen Hawking se sont interrogés à ce sujet. Ils ont été inspirés notamment par Nick Bostrom, un philosophe, suédois vivant à Oxford et auteur du livre Superintelligence, chemins, dangers et stratégies.

Nick Bostrom n’est pas que pessimiste, ou plus précisément extrêmement prudent, vis-à-vis des progrès technologiques. Il est aussi l’un de ceux qui estiment que nous pourrons un jour vaincre les maladies liées au vieillissement grâce aux progrès scientifiques. Il avait exprimé cette idée, de manière imagée, dès 2005, dans sa Fable du Dragon-Tyran.

Vivre plus longtemps et échapper aux risques dits « existentiels » (qui pourraient mettre fin à l’histoire de l’humanité) forment en fait deux préoccupations fondamentales complémentaires.

Dans la présente lettre, nous considérons qu’utiliser l’intelligence artificielle prioritairement pour tout ce qui rend l’humain plus résistant aux maladies et aux agressions est une opération potentiellement positive pour cet objectif-là et également pour diminuer les risques de destruction.

En effet, parmi les caractéristiques majeures de l’intelligence artificielle, il y a le fait que cette intelligence n’est pas nécessairement :

  • combinée à un sens moral considérant la vie humaine comme une valeur fondamentale;
  • dotée de « bon sens », c’est-à-dire d’une réflexion dont serait spontanément capables la plupart des êtres humains normalement informés.

Un exemple concret : il relève « du bon sens » que s’occuper des plantes pour qu’elles ne meurent pas de soif ne signifie pas détruire les plantes, même si ainsi elles ne mourront pas de soif. Or, ce bon sens n’est pas nécessairement évident pour une machine « super-intelligente ».

Une utilisation de l’intelligence artificielle centrée sur la santé devrait diminuer la probabilité de l’apparition de conséquences catastrophiques puisque l’objectif final sera l’amélioration sur la longue durée du bien-être humain. Ceci obligera notamment à théoriser de manière détaillée tout ce qui est bon pour la santé, la résilience et l’intégrité des êtres humains et pourrait aussi nous « déshabituer », nous décourager de recherches potentiellement nuisibles.

L’intelligence artificielle pour accélérer les recherches de produits (biologiques ou non) et pour automatiser des expérimentations

Le coût du séquençage est en diminution considérable, mais reste encore relativement élevé pour ce qui concerne des espèces non encore « déchiffrées ». C’est une des raisons pour lesquelles bien des espèces vivantes à la longévité très courte ou très longue n’ont pas encore été séquencées.

La durée maximale de vie parmi les millions d’espèces vivantes varie de quelques jours à plusieurs siècles et même plusieurs millénaires pour certaines plantes. À l’intérieur d’une espèce donnée, la durée maximale de vie varie également de manière importante. Il reste encore bien des recherches à effectuer pour comprendre les gènes concernés par la sénescence, leurs interactions et ensuite explorer les raisons biologiques de ces différences et les thérapies géniques envisageables.

Par ailleurs, de très nombreuses substances et combinaisons de substances utilisées dans le domaine médical pourraient avoir un impact favorable à la longévité. L’outil informatique permet de détecter ce qui est le plus prometteur en se basant notamment sur l’analyse de la littérature scientifique et sur des projections « automatisées » de ces analyses. Cela pourrait être un champ d’exploration couvert par IBM Watson, qui actuellement travaille surtout pour le diagnostic médical. C’est aussi un des champs d’investigation couverts par la société Insilico Medicine.

Au niveau des laboratoires eux-mêmes, de très nombreuses recherches de longévité se font avec des animaux (drosophiles, mouches,…). Les applications informatiques et également robotiques permettent d’envisager d’accélérer le traitement et de diminuer les coûts tant pour le soin des animaux que pour la mesure de tous les paramètres. Par exemple, pour des souris, il devrait être possible d’entretenir les animaux et de mesurer exactement certaines modifications du métabolisme sans intervention humaine (et également avec moins de risques d’erreur et de subjectivité).

Enfin, dans un avenir plus lointain, il est envisageable d’introduire dans le corps humain des outils de taille nanotechnologique comportant une application logicielle (ou reliés à un réseau).

L’intelligence artificielle pour simuler les recherches sur l’animal

Les cellules, les neurones, les organes et les interactions entre eux peuvent être de plus en plus simulés de manière informatique. Ceci est utile du point de vue du coût, de la rapidité et également du bien-être animal. Actuellement, l’invertébré le plus étudié du monde animal, le nématode C. Elegans est également l’animal pour lequel les simulations informatiques sont les plus développées, notamment pour ce qui concerne les 302 neurones de son (minuscule) système nerveux.

L’intelligence artificielle pour simuler les recherches sur l’humain

Il en va de l’humain comme du reste du vivant pour l’intérêt de la simulation, mais avec une complexité et un intérêt plus grands.

Il n’y a pas de projet de simulation globale d’un être humain, mais bien des études portant sur certains organes. Dans le domaine neurologique, les travaux actuels les plus importants de simulation sont ceux réalisés par le Human Brain Project européen (et le projet similaire américain). Il s’agit de comprendre le mécanisme du cerveau dont, entre autres, la maladie d’Alzheimer. En l’état actuel, les chercheurs sont encore très éloignés d’une représentation neurone par neurone et synapse par synapse du cerveau. L’organe le plus complexe de l’univers connu n’est pas encore à la portée des informaticiens les plus avancés.

Et ce à quoi nous n’avons pas encore songé

Les progrès de la médecine, de la science, de l’intelligence artificielle ne s’arrêteront pas à ce que nous imaginons aujourd’hui, rêves ou cauchemars. Nous irons au-delà.


La bonne nouvelle du mois : Trois jours de conférence internationale pour « défaire » le vieillissement


Les 15, 16 et 17 mars, des centaines de chercheurs, mais aussi des activistes, des journalistes et des investisseurs venus du monde entier se sont rencontrés à Berlin pour la conférence Undoing Aging. Ils ont collectivement exploré les mécanismes de vieillissement de l’être humain et les pistes pour le ralentir voire le renverser.

À la fin de la conférence, il a été annoncé que l’événement serait dorénavant annuel. Il reste à espérer que cette conférence ne soit plus nécessaire que pendant quelques années!  


Pour en savoir plus:

 

 

Les gènes de la longévité. La mort de la mort. Février 2018. N° 107. 

Le vrai sujet, c’est la lutte contre la vieillesse et la mort (…)  augmenter vraiment la longévité humaine. (…) On a  augmenté l’espérance de vie notamment grâce aux antibiotiques, grâce à une hygiène bien meilleure, aux progrès de la médecine. En 1900, par exemple, l’espérance de vie des français était de 45 ans. Aujourd’hui, en moyenne, elle est de 82 ans. Mais on meurt toujours à peu près à la même date. En gros, on meurt toujours à peu près autour de 100 ans. (…) Quel est le but philosophique maintenant ? L’idée, c’est de fabriquer une humanité qui soit jeune et vieille à la fois. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », réconcilier les deux. Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale française, philosophe (Arte, 8 février 2017)


Thème d​u mois: Génétique et durée maximale de vie


Introduction

Au commencement était le gène, pourrions-nous peut-être écrire de l’apparition de la vie. Encore que les premières étapes restent mystérieuses.

Nous sommes probablement tous les descendants, incroyablement chanceux, d’un ancêtre commun porteur d’ADN et apparu, selon les connaissances actuelles, il y a environ 3,8 milliards d’années.

Pendant la moitié de l’histoire de la vie, nos lointains ancêtres qui n’étaient encore ni des plantes ni des animaux ne mouraient probablement pas de vieillesse. Ils se divisaient simplement lorsque les circonstances étaient favorables ou mouraient lorsque les nutriments venaient à manquer ou lorsque l’environnement se modifiait trop.

Puis la vie se complexifia, les êtres vivants devinrent multicellulaires. Petit à petit, le patrimoine génétique, se transmit d’une génération à l’autre, non plus par simple division, mais par fusion de matériels génétiques. Ceci deviendrait beaucoup plus tard la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. Les individus ainsi produits se mirent à vieillir (s’ils avaient la chance de ne pas mourir avant). Chaque génération donnait naissance à de nouveaux êtres jeunes, mais les animaux (et les plantes) eux-mêmes devenaient « jetables ».

Beaucoup plus tard encore, il y a environ 500 millions d’années, les vertébrés apparurent. Puis les premiers primates naquirent, il y a 50 millions d’années. Les premiers êtres qui, habillés, ne vous auraient pas surpris dans le métro, sont nés il y à peine 300.000 ans, un dix-millième de l’histoire de la vie sur terre.

Nous, êtres vivants, nous sommes si différents, mais aussi si semblables. De la plus modeste bactérie née, il y a des centaines de millions d’années, au plus grand des cétacés vivant aujourd’hui, nous sommes tous déterminés notamment par “l’informatique” de la vie, les 4 molécules adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou thymine (T) qui composent l’acide désoxyribonucléique.

L’universalité génétique du vieillissement

Alors que dans le règne du végétal, le vieillissement est loin d’être universel (bien des arbres n’ont pas de sénescence), pour les animaux, il y a très peu d’exceptions et pour les mammifères, nul n’y échappe.

A quoi sert ce vieillissement dans les lois de la nature? Nous n’en sommes pas certains, mais le plus vraisemblable, c’est que la mort de vieillesse permet de garder une diversité génétique. Si les animaux ne mouraient pas de vieillesse, seul un petit nombre, très adapté génétiquement survivrait. Cela réduirait la diversité. Or, dans la nature, sur le long terme, les conditions environnementales changent assez souvent. Lors de ces changements, les espèces animales les plus parfaitement adaptées, donc trop uniformes (celles qui ne vieillissent pas) sont alors « éliminées ».

C’est aussi la diversité génétique qui explique la reproduction sexuée. Sans reproduction sexuée, les êtres vivants seraient trop semblables.

Mais, dans la nature, certains animaux peuvent se reproduire sans sexe (même certains vertébrés) alors que le vieillissement semble presque universel. Il y a donc une composante qui reste mystérieuse.

Bien sûr, nous ne sommes pas totalement dépendants de nos gènes. Mais en matière de longévité maximale, de durée maximale de vie, ce sont bien nos gènes qui la déterminent pour l’essentiel.

Les durées de vie maximale varient considérablement d’une espèce à l’autre. Un être humain qui vivrait dans des conditions parfaites au point de vue psychologique et physiologique n’aurait quasiment aucune chance de vivre plus de 122 ans. Une souris, elle, a bien moins de chance. Même placée dans un « paradis pour souris », elle ne vivra jamais plus de 5 ans. Le mammifère dont la longévité est la plus importante est la baleine boréale. Elle peut vivre au moins deux siècles, peut-être plus.

Quels sont les gènes responsables du vieillissement ?

Le métabolisme d’un être humain est d’une complexité gigantesque. L’organe, par certains côtés, le plus fragile, le cerveau, est parfois qualifié d’objet le plus complexe de l’univers. Et pourtant, parmi ces extraordinaires enchevêtrements, certains mécanismes accélérant ou ralentissant considérablement le vieillissement tiennent probablement dans quelques lettres de l’ADN. Voici quelques éléments à ce sujet:

Il existe un certain nombre de gènes qui sont liés au vieillissement et qui sont présents dans de nombreuses espèces animales. Ainsi, les gènes FOXO et ApoE, qui se retrouvent chez différentes espèces animales dont les humains, influencent la longévité.

Parmi les caméléons vivant à Madagascar, Furcifer Labordi est le vertébré terrestre à la vie la plus courte du monde (4 ou 5 mois). Un autre caméléon de plus grande taille, Calumma Parsonii, biologiquement et donc génétiquement fort proche, peut vivre une dizaine d’années. Autrement dit, de petites modifications génétiques peuvent produire des grandes différences sur la durée de vie.

Le chromosome déterminant le sexe détermine également la durée maximale de vie. Le doyen de l’humanité est toujours une doyenne. La femme la plus âgée au monde actuellement a 117 ans alors que l’homme le plus âgé au monde n’a « que » 112 ans.

La longévité humaine a une composante génétique forte, surtout pour les durées de vie maximale. Les membres de familles de centenaires ont une probabilité plus forte de le devenir eux-mêmes.

Malheureusement, une étude effectuée sur des supercentenaires (personnes vivant 110 ans et plus), n’a pas (encore) permis de détecter des caractéristiques génétiques communes de la longévité humaine.

Comment changer les gènes responsables du vieillissement ?

Le séquençage du génome des femmes, des hommes, des êtres vivants qui nous composent, des animaux et des autres êtres vivants est de plus en plus simple, de plus en plus rapide, de plus en plus précis et de moins en moins cher.

Plus récemment, les progrès potentiels pour les thérapies géniques, notamment via les techniques de type CRISPR Cas9 se sont également accélérés. Des maladies d’origine génétique peuvent déjà être soignées.

Par contre, nous sommes encore loin d’une thérapie génique pour permettre une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle pour la recherche médicale permettent des recherches pour la détermination toujours plus précise des séquences génétiques liées au vieillissement chez les êtres vivants en général et chez les humains en particulier. Lorsque les avancées seront suffisantes pour déterminer les thérapies utiles, il faudra les tester in vitro, puis sur l’animal et puis enfin sur des humains. Dans ce domaine comme dans d’autres, il sera trop tard pour des millions de femmes et d’hommes aujourd’hui très âgés. L’avenir dira qui sont les lecteurs qui pourront éventuellement en bénéficier (s’ils le souhaitent).


La bonne nouvelle du mois : Un document de 800 pages résume les évolutions positives de la recherche pour la longévité


Ce document intitulé The Science of Longevity a pour objectif de détailler les diverses technologies et industries émergentes relatives au vieillissement humain, à la longévité en bonne santé et aux questions connexes. Il a été réalisé notamment par la Biogerontology Research Foundation.

En 2018, le vieillissement reste un adversaire anonyme dans une guerre non déclarée écrivent les auteurs. Cela sera moins le cas pour les scientifiques, décideurs politiques, représentants d’autorités de réglementation, investisseurs et autres responsables qui prendront le temps de parcourir ce petit millier de pages d’information.

Le rapport est disponible intégralement et gratuitement en ligne (attention fichier de 58 mégas). D’autres rapports suivront.


Pour en savoir plus:

 

 

 

Résurrections : connaissances et croyances. La mort de la mort. Janvier 2018. N° 106.

 

Chacun d’entre nous est le descendant d’une longue lignée de cellules qui ont continué à fonctionner et à se diviser pendant des milliards d’années, ce qui nous semble être la preuve la plus solide que la durée de vie des systèmes cellulaires peut en principe être prolongée indéfiniment. Jim Mellon, milliardaire britannique ayant écrit un livre en faveur d’investissements privés pour la longévité (avec Al Chalabi dans le livre Juvenescence, 2017, traduit de l’anglais).


Thème du mois: Revenir d’entre les morts ?


Revivre dans son corps régénéré après la mort. C’est une idée fréquemment envisagée par les religions, mais également abordée parfois par les scientifiques contemporaines, par la littérature et enfin par des prospectivistes optimistes.

Résurrections religieuses

Les croyants, presque universellement, envisagent la possibilité d’une existence après la mort. Cette existence peut prendre des formes innombrables : réincarnation dans un autre corps, fusion avec d’autres êtres, transformation en un « esprit », passage dans une âme immatérielle, …

Dans de nombreux cas, il est affirmé que le corps de la personne décédée pourra être reconstitué, soit à l’identique, soit sous une forme améliorée.

La forme de résurrection qui vient d’abord à l’esprit de la plupart des lecteurs francophones est la résurrection telle qu’elle est décrite par l’Eglise catholique et plus largement par les chrétiens. Au jour du Jugement Dernier, les femmes et les hommes reviendront d’entre les morts et retrouveront leur corps d’antan. Cependant, ce corps sera amélioré puisque les humains ressuscités ne souffriront plus (sauf s’ils vont en enfer) et seront immortels.

Dans la religion catholique, Dieu a également la possibilité des ressusciter des humains avant la fin des temps (pour Jésus, qui est à la fois Dieu et homme mais aussi pour Lazare).

Généralement, les chrétiens du 21e siècle pensent que la mort, puis la résurrection, sont les conditions de la transformation des corps en entités immortelles. C’est cependant inexact car selon les textes chrétiens, le Christ viendra juger les vivants et les morts.

Pendant près de deux millénaires, l’église a accordé beaucoup d’importance à l’enterrement car le corps était supposé revenir à la vie par une « reconstitution » à partir des restes enterrés. Cela n’a cependant jamais été une condition de la résurrection. Un chrétien qui meurt par exemple noyé ou dans un incendie peut ressusciter. Aujourd’hui d’ailleurs, l’incinération du corps n’est presque plus désapprouvée par les catholiques.

Pour les musulmans, les conceptions sont assez proches, mais l’enterrement dans un linceul, le corps tourné vers la Mecque est une exigence religieuse stricte, malgré que cela ne soit pas non plus indispensable à la résurrection.

Il faut noter que, même si les textes religieux fondamentaux n’ont pas changé, la conception du retour à une enveloppe charnelle très similaire à celle d’avant le décès semble devenir moins forte. De plus en plus, le concept de vie après la mort devient plus « abstrait », plus éthéré…

Dans l’Egypte antique, la résurrection était également envisagée, mais elle exigeait une préparation des morts extrêmement complexe et exigeante à savoir tout le travail d’embaumement. Seuls ceux qui avaient été correctement préparés pouvaient revenir à la vie, ressusciter à l’issue d’un parcours hasardeux et dont la préparation avant la mort était très coûteuse.

Résurrections dans les conceptions populaires et dans l’art

Le retour d’après la mort est un thème courant dans les littératures fantastique, de science-fiction et populaire. Il peut s’agir d’un événement surnaturel ne concernant qu’une ou quelques personnes, mais également d’une situation plus courante.

Souvent, les êtres ranimés sont animés de mauvaises intentions. Les vampires, zombies et autres morts-vivants ont été abordés dans la lettre de janvier 2013. Un récit détaillé de science-fiction est Le monde du fleuve dans lequel tous les humains ayant vécu sur la planète sont ressuscités par une civilisation technologique.

Ressuscitations et conceptions contemporaines

Le concept de ce qu’est la mort d’un être humain varie selon les époques, selon nos connaissances scientifiques, voire nos perceptions philosophiques.

Par le passé, les modalités d’établissement du décès étaient moins strictes qu’aujourd’hui et bien sûr le niveau de connaissance était moindre. Il pouvait donc arriver qu’une personne déclarée morte « se réveille ». L’idée qu’une personne une fois enterrée puisse reprendre conscience et mourir « à nouveau » dans le cercueil terrorisait un nombre important d’européens au 19è siècle. Pour éviter cela, il semble qu’il arrivait que ceux chargés d’enterrer « croquent » un orteil du mort (d’où le surnom de « croque-mort« ) pour que la douleur fasse bouger celui qui serait seulement inconscient. Certains riches inquiets se firent même construire un cercueil adapté (parfois d’un système breveté!) avec ouverture automatisée et accès à une sonnette pour appeler au secours en cas de réveil sous terre.

Lors d’un décès, la respiration s’arrête (le « dernier souffle »), le coeur s’arrête, la température corporelle n’est plus maintenue et le cerveau cesse de fonctionner. Pour la respiration, pour le rythme cardiaque et pour la température corporelle, il peut arriver, notamment suite à des accidents graves, que les fonctions interrompues soient rétablies après une situation qui, normalement, ne laissait plus d’espoir. Dans les cas de rétablissement, le terme de ressuscitation sera employé. La température corporelle la plus basse jamais atteinte sans décès est de 12 degrés, la période la plus longue sans respiration de 23 minutes (dans ce cas, il ne s’agissait pas d’un accident mais d’une expérimentation) et la période la plus longue sans battement cardiaque de 96 minutes.

Pour ce qui concerne le fonctionnement du cerveau, il arrive aujourd’hui fréquemment, qu’une personne dont le coeur et les poumons fonctionnent encore (et donc qui par le passé aurait été considérée comme vivante) soit déclarée cliniquement morte car il n’y a plus d’activité cérébrale détectée. Il peut arriver que des personnes pour lesquelles plus aucune activité n’était détectée retrouvent à nouveau des activités cérébrales mais, en principe, cela s’explique par une déficience des instruments de mesure et pas par une activité cérébrale qui s’était « arrêtée » avant de « redémarrer ».

Enfin, un nombre important de personnes ont eu l’impression de « revenir » d’une situation médicale extrême qui a pu être perçue par le personnel soignant comme une mort clinique. Les patients revenus à la pleine conscience décriront qu’ils ont ressenti une décorporation, un tunnel de lumière, une paix intérieure (mais parfois aussi malheureusement de la terreur). Il s’agit des expériences dites de mort imminente, généralement considérée aujourd’hui comme s’expliquant par des mécanismes neurologiques.

Ressuscitation après cryogénisation

Depuis 50 ans, certaines personnes font conserver leur corps à très basse température après leur décès (cryonie). Actuellement, il s’agit de quelques centaines de corps de femmes et d’hommes qui sont ainsi conservés à -196° Celsius dans de l’azote liquide, surtout aux Etats-Unis. L’espoir est qu’un jour, il sera possible de les ranimer.

Ceci est actuellement très hypothétique notamment parce que :

  • il n’a jamais été possible de ranimer un animal cryogénisé de plus grande taille qu’un ver nématode;
  • les produits injectés dans le corps de la personne après son décès pour rendre la cryogénisation plus efficace empêcheraient sa survie ultérieure;
  • après avoir ranimé la personne, il faudrait la guérir de ce dont elle est décédée;
  • si une personne était ranimée, il n’est pas certain  que son cerveau fonctionnerait encore;
  • si un jour, il devient techniquement possible de ranimer, il faudra encore décider de le faire (cela pourrait être refusé pour des raisons sociales, juridiques ou autres), en avoir les moyens financiers et vérifier que le corps a été conservé convenablement (sans « panne de refroidissement », sabotage, erreur, …).

Mais ceci ne signifie pas nécessairement que ranimer restera toujours impossible.

Certains ont aussi envisagé, plutôt que de se faire cryogéniser, de se faire conserver par plastination, c’est-à-dire que les différents liquides organiques sont remplacés par du silicone, ce qui permet de préserver les tissus à température ambiante. Ceci n’a cependant probablement encore jamais été mis en pratique dans un but de ressuscitation éventuelle.

Résurrection prospectiviste

Il y a déjà plus d’un siècle, le philosophe russe orthodoxe « cosmiste » Nikolaï Feodorov imaginait que, dans un futur lointain, il serait possible de reconstituer les corps par des moyens scientifiques. Si Nikolaï Feodorov vivait aujourd’hui, son idée de reconstitution physique des corps serait probablement partiellement étayée par l’examen des possibilités contemporaines ouvertes par les imprimantes 3D et les développements informatiques permettant de simuler des environnements.

Et après-demain ?

La résurrection réalisable par la médecine n’est pas envisageable dans un avenir prévisible. Mais l’ensemble des réflexions dans ces domaines enrichit les débats relatifs à la longévité d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain.


La bonne nouvelle du mois : Juvenescence, le livre qui donne toutes les raisons d’investir pour la longévité


Le milliardaire britannique Jim Mellon explique aux candidats investisseurs, dans un ouvrage de 437 pages, les raisons médicales, sociales, politiques, économiques et, bien sûr, financières pour lesquelles il est important et utile d’investir dans les entreprises qui effectuent des recherches pour la longévité. Jim Mellon et son coauteur Al Chalabi ont notamment rencontré les plus grands spécialistes mondiaux du sujet.

Il n’est pas interdit aux responsables publics de France et d’ailleurs de se poser les mêmes questions. Ceci peut se faire notamment en termes de bonne allocation des deniers publics dans le cadre des traitements de prévention, voire de guérison des maladies liées au vieillissement, d’investissements utiles potentiellement à tous les citoyens âgés et de régulations pour garantir l’accès de thérapies nouvelles au plus grand nombre.


Pour en savoir plus:

De manière générale, voir notamment: heales.orgsens.orglongevityalliance.org et longecity.org

Image: L’ascension vers l’empyrée de H. Bosch (partiel)

 

 

La mesure de la sénescence. La mort de la mort. Décembre 2017. N° 105.

Ma grande crainte est de mourir à la veille des plus grandes découvertes, ce serait vraiment con. Interview de Frédéric Beigbeder (52 ans) auteur du livre « Une vie sans fin », dans le magazine Tecnikart, décembre 2017.


Thème du mois: Y-a-t-il un thermomètre pour mesurer l’âge biologique ?


En un certain sens, le vieillissement commence dès avant la naissance. Autrefois, les chinois comptaient d’ailleurs l’âge, non depuis la naissance, mais depuis la conception. Quelques jours après la fécondation, les premières cellules commencent à se différencier et ne sont déjà plus « totipotentes » (capables de se transformer en n’importe quelle cellule).

Le premier indicateur du vieillissement, c’est donc bien évidemment l’âge. Omnes vulnerant, ultima necat (Toutes blessent, la dernière tue) était-il autrefois inscrit sur les horloges à propos des heures qui passent. Cependant, le vieillissement se déroule à un rythme fort différent selon les individus.

Dans le sens de diminution de capacités, le vieillissement commence bien tôt également. Un athlète atteint ses pleines capacités à un âge qui varie selon le sport, généralement inférieur à 25 ans. C’est plus jeune encore que le risque de décès est le plus faible. En France, seule 1 sur 10.000 des adolescentes et préadolescentes de 10 à 14 ans mourront au cours d’une année, alors que c’est « déjà » 2 sur 10.000 pour les jeunes femmes de 20 à 24 ans.

Cependant, le vieillissement responsable de la plupart des décès, lui, commence bien plus tard, à partir d’environ 50 ans. Il est marqué par des modifications physiologiques innombrables et parfois encore mal connues. Si nous pouvions suivre tous les biomarqueurs, tous les signaux physiologiques du vieillissement, il serait plus facile d’étudier la sénescence sur une courte période et donc l’analyse de résultats d’essais thérapeutiques pourrait être également se faire plus rapidement.

Marqueurs de capacité

L’avancée en âge de manière générale, c’est une diminution des capacités, une faiblesse de plus en plus importante, notamment pour :

  • la capacité pulmonaire – un centenaire qui souffle toutes ses bougies est en meilleure santé qu’un nonagénaire qui en est incapable;
  • la force de la poigne – un fort bon indicateur de l’espérance de vie restante chez les personnes âgées;
  • la capacité musculaire globale – la sarcopénie est une maladie courante chez les personnes âgées;
  • la masse osseuse et sa solidité – l’ostéoporose est également une maladie fréquente chez les personnes âgées;
  • la pression sanguine – l’augmentation de la pression sanguine systolique (lors de la contraction cardiaque) est un indice de mauvaise santé (« on a l’âge de ses artères”, disait-on autrefois);
  • la capacité d’équilibre moteur –  sa diminution peut indiquer que les capacités neuronales diminuent;
  • les acuités visuelle, auditive et gustative.

Apparence physique

Si l’habit ne fait pas le moine, l’apparence physique générale donne quand même des informations utiles. D’ailleurs, des applications logicielles sont déjà capables aujourd’hui de déterminer avec une certaine précision l’âge d’une personne à partir de photos. L’apparence physique comprend :

  • une moindre élasticité de la peau (dont les rides);
  • la décoloration et la diminution du système pileux (dont la calvitie);
  • la diminution de la taille qui est généralement de plusieurs centimètres;
  • l’augmentation de l’indice de masse corporelle.

Marqueurs non génétiques

Notre corps est en renouvellement constant. Les cellules meurent et sont remplacées, nos ongles et nos cheveux poussent, notre peau se renouvelle constamment, chaque jour, nous absorbons des milliers de litres d’air, plusieurs kilos de solides et de liquides et nous rejetons à très peu de choses près la même quantité de matière. Mais ce recommencement sur des décennies se produit avec des changements progressifs de notre composition :

Marqueurs génétiques

Tout au long de la vie, la plupart de nos cellules se divisent. A chaque division, il se produit quelques modifications de l’ADN. L’ADN d’un individu âgé n’est donc plus celui de quand il était jeune. Ceci concerne :

  • la longueur des télomères;
  • des mutations dans les mitochondries;
  • d’autres mutations dans les cellules;
  • des mécanismes épigénétiques.

Autres marqueurs

En fait, quasiment tout ce qui est mesurable chez un être humain va se modifier au cours de l’existence et donc il ne peut être question de tout décrire ici. Des scientifiques cherchent à établir des listes de biomarqueurs portant sur certaines substances souvent très spécifiques qui ne seront pas abordées ici. Mais voici quelques autres indicateurs importants.

  • diminution du nombre de neurones et de la masse totale du cerveau;
  • augmentation de la quantité de collagène et détérioration de sa qualité;
  • moindres capacités digestives;
  • diminution (chez les hommes) ou disparition (chez les femmes) de la fertilité;
  • diminution de la capacité de cicatriser;
  • déficience de l’efficacité des cellules produisant les anticorps et tendance croissante de ces anticorps à s’attaquer non plus seulement aux agents pathogènes, mais aussi aux cellules propres de l’organisme.

Que faire de toutes ces informations mesurables ?

Il est utile de rappeler, même au personnel médical et même aux chercheurs, que le vieillissement est la première cause de mortalité humaine et qu’il touche l’ensemble de notre métabolisme, de manière irrémédiable mais à des rythmes variables.

Grâce aux moyens technologiques contemporains, réaliser des indices composites issus de ces marqueurs est un des moyens de mieux comprendre la sénescence. Utiliser des indicateurs multiples permet également de constater rapidement si des thérapies nouvelles ont un effet global positif (agissant sur toutes les dimensions métaboliques) ou seulement localisé.

La mauvaise nouvelle du mois: pour la deuxième année consécutive, l’espérance de vie décroît (légèrement) aux Etats-Unis

En 2016, pour la deuxième année consécutive, l’espérance de vie a diminué aux Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’une diminution importante et elle serait due principalement à une cause spécifique, à savoir l’augmentation des décès par consommation de drogues. C’est néanmoins une mauvaise nouvelle.

Les Etats-Unis sont un des pays :

  • les plus riches du monde;
  • avec le plus de scientifiques au monde;
  • ayant les dépenses médicales les plus élevées;
  • et avec une espérance de vie déjà relativement peu élevée.

Malgré cela, les extraordinaires progrès technologiques de ces dernières années ne compensent plus les reculs suite aux comportements des citoyens de ce pays (obésité, prise de risques), particulièrement chez les hommes (l’espérance de vie des femmes a stagné à 81,1 ans, celle des hommes a diminué de 76.3 à 76.1 ans).

Pour l’Europe, les statistiques de 2016 ne sont pas encore toutes connues mais les statistiques de 2015 montraient également un déclin.

Le progrès de la longévité n’est pas plus une certitude que le progrès technologique ou que le  progrès social. Il dépendra de nos priorités, de nos investissements, de l’importance que nous donnons à la vie humaine et bien sûr de l’application aux citoyens des résultats des recherches médicales.


Pour en savoir plus :