Tout homme désire vivre longtemps, mais aucun homme ne souhaite être vieux. Jonathan Swift, prêtre, écrivain, 1726 (Les voyages de Gulliver: voyages dans plusieurs nations reculées du monde)
Thème du mois: Bonheur et longévité
Introduction
La lettre de ce mois-ci ne traite que des améliorations modérées de la longévité grâce à nos façons de profiter de la vie. Les lecteurs réguliers de cette lettre d’information savent que seuls des progrès scientifiques médicaux radicaux pourraient rendre possible une durée de vie bien supérieure à nos limites biologiques. Mais, tout en travaillant à cet objectif à long terme, trouver des moyens de vivre un peu plus longtemps et plus heureux, pourquoi pas ?
Les auteurs décrivent différemment ce qu’est le bonheur et sa définition est largement subjective. Chaque personne a sa propre perception du bonheur.
En psychologie, il existe deux conceptions populaires du bonheur: hédonique et eudémonique. Le bonheur hédoniste est atteint par des expériences de plaisir et de jouissance, tandis que le bonheur eudémonique est atteint par des expériences de sens et de but.
D’autre part, de nombreuses études de psychologie comportementale font apparaître que chaque individu fluctue autour d’un gradient de bonheur qui connaît un maximum, un minimum et une zone d’équilibre. C’est la théorie dite du hedonic treadmill (ou adaptation hédonique). Quels que soient les événements heureux ou malheureux que nous connaissons, nous aurions tendance à revenir autour de ce point d’équilibre. La question se pose alors de savoir si nous pourrions élever ce gradient de bonheur, éventuellement par la technique, et si l’élever pourrait avoir un impact sur la longévité.
Une revue systématique, publiée en 2014 dans l’Iran Journal Public Health, conclut que le bonheur a une signification complexe et se compose de plusieurs facteurs, qui peuvent être divisés en deux dimensions: endogène (sous-facteurs biologiques, cognitifs, de personnalité et éthiques) et exogène (sous-facteurs comportementaux, socioculturels, économiques, géographiques, événements de vie et esthétiques).
L’optimisation du bonheur est un objectif sociétal souhaitable en soi. S’il contribue à prolonger une vie en bonne santé, c’est une raison de plus pour y porter notre attention. Voyons, à travers un aperçu de certains travaux de recherche, comment le sentiment de bien-être et de bonheur peut influencer notre longévité.
Bonheur et santé physique
De nombreuses enquêtes étudient l’association entre la santé physique et le bonheur et, inversement, d’autres recherches étudient la relation entre la maladie physique (hypertension…) et le bonheur.
L’étude de la littérature nous apprend que la relation entre la santé physique et le bien-être est bidirectionnelle. Le bien-être peut être un facteur de protection dans le maintien de la santé, et, à l’inverse, une détérioration de la santé peut entraîner une détérioration du bien-être. Les personnes âgées souffrant de certaines maladies telles que les maladies coronariennes, l’arthrite… présentent à la fois des niveaux accrus d’humeur dépressive et une altération du bien-être hédonique et eudémonique.
Dans une analyse de l’étude longitudinale anglaise sur le vieillissement, le bien-être eudémonique était associé à une survie accrue. Les personnes du quartile de bien-être le plus bas sont décédées dans un pourcentage plus élevé au cours de la période de suivi moyenne de 8,5 ans, par rapport aux personnes du quartile de bien-être le plus haut. D’autres données montrent une association entre le bien-être global, hédonique et eudémonique et un vieillissement réussi. Des niveaux élevés de bien-être subjectif peuvent également favoriser la santé physique et la longévité.
Bonheur et risque de décès
Une étude menée auprès d’adultes aux États-Unis conclut que le bonheur est lié à une vie plus longue chez eux. Par rapport aux personnes très heureuses, le risque de décès pendant la période de suivi est supérieur de 6% chez les personnes plutôt heureuses et de 14% chez celles qui ne le sont pas, après déduction de l’influence de l’état civil, du statut socio-économique, de la division du recensement et de la pratique religieuse. Une conclusion similaire a été tirée par une étude longitudinale anglaise sur le vieillissement, qui montre que le bien-être personnel est associé à des taux de survie plus élevés, même si cette relation peut varier selon les nations. Toutefois, dans quelle mesure cette relation est-elle différente dans d’autres pays ayant un statut économique différent ?
Une étude écologique qui a utilisé les données de 151 pays, a conclu qu’un meilleur sentiment de bien-être a une forte relation avec l’espérance de vie, indépendamment du statut économique ou de la taille de la population.
Sur la base de tous ces éléments, nous pouvons conclure que le bien-être a probablement un rôle protecteur dans la survie. Toutefois, compte tenu de l’aspect bidirectionnel de la relation décrite, il est particulièrement difficile de savoir si le fait d’essayer spécifiquement d’améliorer le bonheur peut réellement être positif pour la longévité en bonne santé. Il convient de noter que la difficulté de distinguer la cause de l’effet est commune à de nombreux aspects de la longévité. Par exemple, des études concluent que « l’exercice est bon pour la longévité ». Mais comme les personnes malades font moins d’exercice, cela ne prouve pas que l’exercice est bon en soi pour la longévité.
Bien-être psychologique et vieillissement réussi
Il n’est pas facile de définir ce qu’est un vieillissement réussi, et les chercheurs dans ce domaine ne s’entendent toujours pas. De nombreuses études affirment que le bien-être physique et psychosocial dans la vieillesse fait partie intégrante du bien vieillir. D’autres recherches doivent être menées mais, ce qui est presque certain, c’est que le malheur a un effet négatif sur la santé des gens et encore plus sur leur santé mentale. Dans une étude transversale comparant des personnes âgées japonaises et coréennes, on a constaté que la mauvaise santé physique était corrélée aux symptômes dépressifs dans les deux groupes. En fait, en psychologie, le bien-être psychologique est défini comme le niveau de bonheur/santé psychologique d’une personne, englobant la satisfaction de la vie et le sentiment d’accomplissement. Une étude asiatique conclut que les activités, politiques et programmes qui maintiennent ou améliorent le bonheur peuvent être bénéfiques pour une vie plus longue chez les personnes âgées. Cependant, la quantité de stress que nous accumulons progressivement en vieillissant, et l’incapacité à gérer les adversités de la vie et les situations stressantes peuvent avoir un effet négatif sur notre santé et notre qualité de vie à un âge avancé. En d’autres termes, notre capacité à faire face au stress est l’un des importants déterminants de la longévité et de la qualité de vie.
Le bonheur chez les personnes âgées
Le vieillissement heureux fait partie d’un vieillissement sain. Certaines caractéristiques telles que: l’affaiblissement cognitif, les maladies cardiovasculaires, la neuropathologie, la réduction des activités, les événements stressants de la vie et l’insomnie ont été considérées par les chercheurs comme la principale source de dépression et un facteur contribuant à « l’anti-bonheur » chez les personnes âgées. D’autre part, l’engagement, le sentiment de maîtrise, la régulation des émotions, un réseau social proche, le fait de savoir donner un sens à sa vie, sont considérés comme des facteurs de protection contre la dépression et des facteurs contribuant au bonheur chez les personnes âgées. Le bonheur est l’un des facteurs déterminants d’un vieillissement sain. Une étude récente publiée en 2020 a conclu que le bien-être était associé à l’âge. Voyons quelles sont les caractéristiques du bonheur chez les personnes âgées.
Vieillir signifie potentiellement:
- Une meilleure compréhension de la vie
- Une appréciation plus profonde de la valeur de la vie
- Une sensation d’accomplissement et d’épanouissement
- Une plus grande capacité à comprendre et à gérer les vicissitudes de la vie
- Moins de pression et d’aspirations envers soi-même
- Une meilleure appréciation du moment présent
- Moins d’inquiétude pour l’avenir
Bien entendu, toutes ces caractéristiques sont associées à la présence des facteurs de protection que nous avons mentionnés précédemment.
Conclusion
Comme déjà mentionné, le bonheur ne joue qu’un rôle modéré pour améliorer la durée de vie. Il est cependant important d’explorer cette piste, pour autant que l’on garde les autres objectifs à l’esprit.
Ceci étant écrit, citons ces quatre raisons pour lesquelles la gérontologie devrait investir dans la recherche sur le bonheur, tirée d’un article d’Andrew Steptoe, de la revue Gerontology.
- Le bonheur n’est pas simplement le miroir de la dépression, de l’anxiété ou de la détresse, mais il a des relations distinctes avec une série de résultats, et mérite donc des études en soi.
- Le bonheur semble être un facteur de protection contre la morbidité et la mortalité ; bien que les études soient complexes et longues à réaliser, il est de plus en plus évident qu’un plus grand bonheur prédit une meilleure survie chez les personnes âgées, indépendamment des covariables, notamment l’état de santé et la dépression.
- Le bonheur a de vastes ramifications à un âge avancé, car il est lié aux relations personnelles et sociales, à la prospérité économique, aux facteurs de risque biologiques, aux comportements de santé et à l’emploi du temps ainsi qu’à la santé.
- Le bonheur est malléable et peut potentiellement être modifié de manière à améliorer la santé et le bien-être des personnes âgées.
Les bonnes et les mauvaises nouvelles du mois
Après de nombreuses recherches sur les effets de la transfusion de substances de jeunes animaux à des animaux âgés, ces dernières semaines, certaines ont donné des résultats significatifs.
Des chercheurs ont montré que le transfert de microbiote fécal entre des souris jeunes et âgées inversait les caractéristiques du vieillissement de l’intestin, des yeux et du cerveau. Ils ont découvert que les profils de composition du microbiote et les espèces clés enrichies sont transférés avec succès par la transplantation de microbiote fécal (FMT) entre des souris jeunes et âgées et que la FMT module les profils des voies métaboliques qui en résultent. Le transfert de microbiote de donneurs âgés à des souris jeunes accélère l’inflammation du système nerveux central (SNC), l’inflammation rétinienne et la signalisation des cytokines associées à l’âge et favorise la perte de protéines fonctionnelles clés dans l’œil. À l’inverse, ces effets néfastes peuvent être inversés par le transfert de microbiote de donneurs jeunes.
Notre seconde bonne nouvelle est qu’il a été démontré que le liquide céphalo-rachidien (LCR) de jeunes souris peut améliorer la fonction de la mémoire chez les souris plus âgées. Une infusion directe de LCR de jeunes souris dans le cerveau améliore probablement la conductivité des neurones des souris vieillissantes, ce qui améliore le processus de création et de rappel des souvenirs. L’infusion d’une protéine isolée du LCR, le facteur de croissance des fibroblastes (FGF17), a également donné des résultats similaires pour restaurer la mémoire des souris âgées. En outre, l’administration aux souris d’un anticorps bloquant la fonction du FGF17 a altéré la capacité de mémorisation de ces rongeurs.
Passons maintenant aux bonnes nouvelles.
Le mois dernier, la lettre d’information mentionnait la très mauvaise nouvelle d’une diminution mondiale de l’espérance de vie en 2020 et 2021. Or, la Banque mondiale a publié d’autres données. Selon cette importante organisation, en 2020, il n’y aurait pas de diminution, mais seulement un statu quo concernant l’espérance de vie mondiale (précisément -0,01 %). Si cette étude est confirmée, la situation serait toujours mauvaise (en effet, c’est la première année sans croissance depuis 70 ans), mais moins qu’annoncé auparavant. Il est aussi à noter que, malgré toutes les statistiques et études, nous avons encore de grandes divergences d’analyse concernant l’impact du Covid-19, même pour l’information de base quant au nombre de morts.
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