Lettre mensuelle de Heales. La mort de la mort. N°157. Avril 2022. L’auto-expérimentation et la longévité.

“Je suis aussi heureux que l’on puisse laisser la science progresser, que l’on puisse lui donner les moyens de progresser. Parce que quand même, même s’il y a des risques, les progrès de la science, on leur doit beaucoup pour la qualité de notre vie et surtout le prolongement de l’espérance de notre vie. Et aussi longtemps que l’on n’est pas tout à fait certain de ce qui vient après, il faut souhaiter que la science continue de nous maintenir en vie et en bonne santé le plus longtemps possible ici-bas”.

Pierre-Yves Maillard, vice-président du Parti socialiste suisse, 2013.


Thème du mois: L’auto-expérimentation et la longévité


Introduction

La lenteur des progrès médicaux pour les thérapies pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue a des multiples causes: lourdeurs, délais et coûts des réglementations, les brevets empêchant le partage des connaissances, l’interdiction de transparence due à des législations relatives à la vie privée, le manque de publication des résultats et d’expérimentation sur les personnes les plus âgées ainsi que le manque d’essais respectant rigoureusement les principes scientifiques dont celui du double aveugle. Cette lettre examine une partie des moyens d’accélérer ces recherches.

Définition

L’auto-expérimentation fait référence au cas particulier de la recherche dans laquelle le chercheur réalise l’expérience sur lui-même.

Également appelée recherche scientifique personnelle, l’auto-expérimentation est un exemple de science participative puisqu’elle peut également être menée par des patients ou des personnes intéressées par leur propre santé et leur bien-être, comme en même temps des sujets de recherche et des auto-expérimentateurs.

À noter qu’en plus de l’auto-expérimentation, pour obtenir des résultats plus rapides, certains réalisent ce qui est appelé « Human challenge study » ou « Challenge trials », c’est-à-dire des expérimentations impliquant l’exposition intentionnelle du sujet à la condition testée (ex: l’exposition volontaire à des maladies virales pour des essais de vaccins).

Historique

L’auto-expérimentation est pratiquée depuis des siècles. De nombreux scientifiques ont risqué leur propre santé pour permettre de faire avancer la médecine.

Parmi les pionniers de l’auto-expérimentation :

Plus récemment, l’auteur à succès Tim Ferriss se prétend être un auto-expérimentateur de l’extrême. Alexander Shulgin, un pharmacologue et chimiste américain. Il est connu pour la création de nouveaux produits chimiques psychoactifs. Il a consacré toute sa carrière à l’auto-expérimentation, publiant ses résultats dans des livres largement acclamés. Enfin, Josiah Zayner (The Odin company) est un célèbre biohacker qui a notamment en 2016 réalisé une transplantation de microbiome y compris une transplantation fécale, pour tenter de résoudre des problèmes de santé notamment gastro-intestinaux.

Le “Quantified Self” est un phénomène né aux USA dans les années 2000,  qui consiste à utiliser des outils connectés ou des applications mobiles dédiées à la santé afin de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager. Parmi les outils connectés, il y a les moniteurs d’activité physique (bracelets, montres, podomètres…), des enregistreurs de sommeils, des balances connectées ou encore des applications mobiles destinées à la santé des femmes (suivi des menstruations, grossesses…).

L’auto-expérimentation dans le domaine de la longévité

Liz Parrish, PDG de BioViva, est l’une des auto-expérimentatrices les plus connues. En 2015, elle s’est rendue en Colombie pour devenir la « patiente zéro » (= la 1ère personne à tester) de deux thérapies anti-âge. Celles-ci consistent en deux types d’injections: un inhibiteur de myostatine pour prévenir la perte musculaire liée à l’âge; et une thérapie génique sur la télomérase pour allonger les télomères.

Certaines personnes, le plus souvent autodidactes appelées des biohackers, s’engagent également dans la recherche pour la longévité en expérimentant sur eux-mêmes.

C’est notamment le cas de Ken Scott, un passionné de longévité de 78 ans qui a changé son mode de vie au cours des 10 dernières années. Tous les 3 mois, il s’injecte 1 cc d’exosomes amniotiques et du Dasatinib, un médicament anticancéreux qui aiderait à tuer les cellules sénescentes nocives du corps.

Pour ces expérimentateurs, les règles de la FDA qui régissent les essais cliniques les frustrent dans leur désir d’essayer de nouvelles technologies médicales. De plus, il y a aussi la question du coût et du temps. Une étude menée par la London School of Economics a révélé que le prix moyen de mise sur le marché d’un médicament était de 1,3 milliard de dollars. Et les recherches de BIO, ont révélé qu’il faut en moyenne 10,5 ans entre le moment où un médicament est en phase 1 d’un essai clinique, c’est-à-dire au stade de la première expérimentation sur des humains et le moment de l’approbation réglementaire.

Heureusement pour les biohackers, il existe de nombreux outils moins chers et plus faciles d’accès afin de mesurer leurs propres données médicales. Par exemple, InsideTracker, une société de suivi de la santé aux USA, propose une analyse complète pour 590 $ notamment via un test sur 43 biomarqueurs sanguins.

De plus, un des longévitistes les mieux informés, nommé Reason, a publié sur son site Fight Aging, des guides pratiques détaillés pour l’auto-expérimentation.

Conclusion

Les auto-expérimentations permettent des avancées médicales. Pour ce qui concerne le vieillissement, c’est particulièrement souhaitable parce que la plupart des essais « classiques » se font sur des sujets jeunes ou en très bonne santé. Alors que ce qui devrait être étudié, c’est d’abord l’effet sur des personnes âgées ou en santé déclinante.

Il est important que les évolutions législatives permettent voire favorisent ces recherches sans délai et sans exigence autre que la garantie de consentement véritablement libre (c’est-à-dire financièrement désintéressée) et informé.


Les bonnes nouvelles du mois mais aussi la mauvaise nouvelle du bilan mondial de l’épidémie de Covid-19.


Le nouveau livre de Jean-Marc Lemaître intitulé “Guérir la vieillesse” est sorti. “Et si la vieillesse était une maladie et qu’on pouvait en guérir ?” 

Une étude récemment publiée dans PLOS Medicine démontre que l’espérance de vie en bonne santé augmente (= le nombre d’années en bonne santé qu’une personne vit) et ce même pour les personnes atteintes de maladies chroniques courantes. Holly Bennett et les autres chercheurs ont voulu déterminer si cette prolongation de la vie implique une augmentation des années avec ou sans handicap. L’équipe a analysé les données de deux grandes études de population portant sur des personnes âgées de 65 ans ou plus en Angleterre.

Pour les hommes et les femmes atteints de troubles cognitifs, il y a  une augmentation du pourcentage d’années restantes passées en invalidité chez les hommes et les femmes.Mais globalement, le nombre moyen d’années d’espérance de vie sans incapacité a augmenté entre 1991 et 2011. Les femmes ont ainsi gagné 2,0 années et les hommes 3,7 ans. 

Mais à côté de ces bonnes nouvelles, il y a malheureusement une mauvaise nouvelle. Un bilan évaluant l’impact du Covid-19 sur l’espérance de vie a été réalisé par le chercheur américain P. Heuveline. Ce bilan est catastrophique. C’est la première baisse de l’espérance de vie dans le monde depuis 1950. Cela ne fut pas seulement le cas durant un an , mais durant deux années consécutives. L’espérance de vie mondiale a diminué de 0,92 année entre 2019 et 2020 et encore de 0,72 année entre 2020 et 2021. Les citoyens du monde sont revenus à l’espérance de vie d’il y a 10 ans. Ces baisses annuelles de l’espérance de vie signifient plus de 15 millions de décès supplémentaires en 2020 et 2021. Attention, ce bilan est encore provisoire. Il est à affiner, mais surtout, il n’y a pas de certitude, d’avoir retour à la normale. Surtout si l’attention se relâche, si le soutien à la recherche médicale s’affaiblit… Pour les longévitistes de 2022, il ne suffira plus « de canaliser le fleuve du progrès », il faudra inverser le courant actuel en termes d’impact réel de santé. 

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