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Les cellules qui ne voulaient pas mourir. La mort de la mort. Avril 2017. N° 97.

Certains pensent que ce qui sépare les hommes des animaux est notre capacité à raisonner. D’autres disent que c’est le langage ou l’amour romantique, ou les pouces opposables des mains. Vivant ici dans ce monde perdu, je suis venu à croire que c’est plus que notre biologie. Ce qui nous rend vraiment humain est notre recherche incessante, notre désir permanent d’immortalité. Arthur Conan Doyle, The Lost World 1912 (traduction).


Thème du mois: Vie et mort des cellules normales et des cellules sénescentes


Votre corps est un univers complexe peuplé de virus, de bactéries, de bien des substances et, surtout, de cellules. Le corps d’un être humain en compte environ quarante mille milliards. Chacune de ces cellules est une entité relativement autonome. Elles vivent, beaucoup se reproduisent en se divisant, des milliards meurent chaque jour.

Certaines nous accompagnent tout au long de notre vie, les plus connues étant les neurones (même si certains neurones peuvent naître de cellules-souches durant notre existence). D’autres cellules ne vivent que quelques mois voire quelques jours, notamment les globules de notre sang et les cellules de notre peau.

Comment meurt une cellule?

La fin d’une cellule à l’intérieur de notre corps peut se passer de bien des manières.

D’abord, le décès d’une personne signifiera bien sûr la mort à court terme des cellules qui la composent.

La fin d’une cellule peut être causée par d’autres traumatismes d’origine extérieure. Des conditions défavorables (température, produits toxiques, manque d’oxygène, …) peuvent entraîner sa nécrose puis sa destruction.

Cette destruction peut également se produire par suite de l’attaque par certains virus ou certaines bactéries.

Ensuite, il y a les causes de disparition qui sont utiles au développement du corps. L’exemple typique est celui des futurs doigts d’un foetus. Au départ, lorsque les mains ne sont pas encore formées, les doigts sont encore liés les uns aux autres comme des palmes. Et puis les cellules entre les doigts vont se détruire. C’est un mécanisme qui permet au corps de se « sculpter » par soustraction de cellules. Pour ce type de destruction le terme scientifique utilisé est « apoptose ». Certains parlent aussi, de manière plus imagée et moins rigoureuse, de « suicide » de la cellule parce que le mécanisme semble déclenché par la cellule elle-même et non par un environnement défavorable. Mais l’apoptose se passe aussi dans d’autres circonstances abordées plus loin.

A noter qu’à côté de l’apoptose, il y a un mécanisme relativement proche qui s’appelle l’autophagie. Dans ce cas, les cellules ne « s’autodétruisent » pas mais elles absorbent/détruisent des parties d’elles-mêmes qui ne sont pas utiles ou qui dysfonctionnent. Il ne s’agit donc pas d’une mort cellulaire, mais d’une transformation.

Jusqu’ici, les formes de vie et de mort abordées ne sont pas directement apparentées au vieillissement. Pour parler de la vie et de la mort des cellules par sénescence, c’est-à-dire du seul fait de l’écoulement du temps même dans des circonstances par ailleurs parfaites, il faut d’abord distinguer cellules-souches et autres cellules.

Cellules « immortelles » et cellules sénescentes

Les cellules-souches peuvent en principe se diviser sans limitation. Une cellule-souche se divisant donne naissance à deux cellules dont au moins une pourra ensuite continuer à se diviser sans limitation de durée. Parfois, certains parleront de « cellules immortelles ». Il s’agit évidemment d’une image car ces cellules comme toutes les autres meurent si l’environnement est défavorable.

La majorité des cellules ne sont pas des cellules-souches. Elles ne peuvent se diviser qu’un certain nombre de fois. Cette limite est appelée « limite de Hayflick« . Cette frontière n’est pas la même chez l’être humain que chez d’autres animaux. Pour les femmes et les hommes, la limite habituelle est d’environ cinquante divisions, mais cela peut varier selon le type de cellule concernée. La principale cause de cette limite est que, lors de la division cellulaire de ces cellules, une partie de l’extrémité des chromosomes appelée « télomère » disparaît. Lorsque les télomères deviennent trop courts, la cellule ne fonctionne plus correctement.

La durée limitée de vie des cellules ordinaires est, très vraisemblablement, une des sources du vieillissement et des divisions plus nombreuses pourraient permettre une vie plus longue. Cette question a été abordée dans d’autres lettres mais ne sera pas développée plus avant ici.

Dans les cellules-souches, le raccourcissement du télomère est contré par une enzyme, la télomérase. Au tout début d’une existence, les premières cellules sont des cellules-souches dites totipotentes, c’est-à-dire capables de produire n’importe quelle cellule. Chez un individu adulte, la majorité des cellules-souches sont des cellules spécifiques, capables de se reproduire sans limitation mais ne pouvant former que certaines cellules (de la peau, de l’intestin,…) ou certaines catégories de cellules.

Il y a aussi des cellules-souches qui sont capables de se reproduire sans limitation mais de manière nuisible pour l’organisme. Ce sont les cellules cancéreuses. Les plus célèbres de ces cellules sont les cellules d’Henrietta Lacks. Madame Lacks était une citoyenne afro-américaine morte en 1951 d’un cancer de l’utérus. Les cellules cancéreuses, prélevées (mais sans son autorisation) peu avant son décès se sont divisées facilement. Elles ont été et sont encore utilisées pour un nombre énorme de recherches à vocation médicale.

Les cellules cancéreuses sont donc des cellules-souches nuisant au reste du corps mais qui ne « veulent » pas mourir. Arriver à détruire ces cellules ou au moins empêcher leur multiplication, c’est l’objectif majeur de toute la médecine oncologique.

D’autres cellules qui sont aussi nocives pour l’organisme sont les « vieilles » cellules arrivées en « bout de course ». Normalement, ces cellules sénescentes se détruisent via l’apoptose et elles sont également éliminées par le système immunitaire. Mais le système immunitaire s’affaiblit avec l’âge et un nombre croissant de ces cellules s’accumulent.

Un nombre relativement de ces « vieillards » peut avoir un impact négatif important provoquant notamment des mécanismes inflammatoires. Une des approches les plus originales et prometteuses de la recherche médicale contre le vieillissement de ces dernières années est la recherche de moyens pour éliminer ces cellules qui ne « veulent » pas mourir. D’assez nombreuses recherches dans ces domaines sont en cours.

Dans ce cadre, la première difficulté est de ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire de ne pas tuer (trop) de cellules saines en même temps que les cellules sénescentes. Pour atteindre ce but, les substances utilisées sont appelées « sénolytiques« .

Plusieurs produits ont été testés en laboratoire, notamment des drogues également utilisées pour la lutte contre le cancer.

Comme annoncé dans la lettre mensuelle du mois passé, la destruction de ces cellules a été effectuée récemment par des chercheurs néerlandais sur des souris, notamment des souris transgéniques ayant un vieillissement accéléré. Cela permet une plus grande résistance aux maladies associées au vieillissement.

Leur efficacité reste à vérifier pour la longévité de souris âgées « normales » et puis pour la santé des humains. Il faudra notamment fixer la proportion de cellules sénescentes à détruire car il semble que des cellules sénescentes en petit nombre peuvent également avoir une utilité pour l’organisme.

Vu l’ampleur des dommages actuellement causés par les cellules sénescentes et le nombre relativement réduit de cellules qui doivent être détruites pour pouvoir contrer leurs effets négatifs, l’élimination des cellules sénescentes pourrait se révéler assez rapidement un moyen précieux pour augmenter la longévité en bonne santé des femmes et des hommes partout dans le monde.


La bonne nouvelle du mois: Marches pour les sciences partout dans le monde le 22 avril
&
La triste nouvelle du mois: décès de la doyenne de l’humanité


Le 22 avril, qui est aussi la Journée de la Terre, des dizaines de milliers de scientifiques, de chercheurs mais aussi de citoyens « ordinaires » ont défilé dans des dizaines de villes de par le monde en faveur des recherches scientifiques. Cet évènement qui était au départ orienté contre des réformes considérées comme « anti-scientifiques » suite à l’élection de Donald Trump est devenu un mouvement, favorable aux progrès scientifiques utiles à tous. A cette occasion, l’International Longevity Alliance a déclaré que La science est sur le point de découvrir les mécanismes responsables du déclin biologique associé au vieillissement humain. Cela peut conduire à des solutions fondées sur des données probantes pour réparer les dommages liés à l’âge, ralentir ou inverser les processus de déclin biologique et provoquer la régénération. Chaque action, chaque investissement public ou privé pour la recherche scientifique pour l’extension de la vie pourrait sauver des vies! (traduit de l’anglais)

Le 15 avril, Emma Moreno, dernière personne au monde ayant vécu dans les années 1800 est décédée à Pallanza en Italie, à l’âge de 117 ans.  Elle devait sa longévité à bien des hasards dont ceux de la génétique.  Violet Brown, jamaïcaine, dont le mari était gardien de cimetière (!) est dorénavant la doyenne de l’humanité.  Elle a également 117 ans, mais est née en 1900. Il faudrait beaucoup de progrès médicaux rapides pour que Madame Brown danse encore une danse jamaïcaine. Mais pour les générations suivantes, beaucoup d’espoirs sont permis.


Pour en savoir plus:

Légalité et longévité. La mort de la mort. Mars 2017. N° 96.

Le dernier état de l’utopie, aujourd’hui, à vivre encore, c’est l’utopie de guérison: pouvoir se prémunir des maladies par la génétique. C’est le noyau dur du méliorisme classique des Lumières et il sera difficile d’y porter atteinte. Le pire des pessimismes ne peut pas décourager cet espoir. Cela n’a pas nécessairement à voir avec les rêves d’immortalité qui sont typiques de la côte Ouest des Etats-Unis… Il ne faut pas nécessairement « californiser » notre pensée pour pouvoir espérer améliorer la condition humaine d’un point de vue médical ! Peter Sloterdijk, dans Le Temps, 5 novembre 2016.


Thème du mois: Approches de quelques rapports entre droit et longévité


Les questions de droit liées aux progressions médicales en matière de santé sont multiples. Comme chaque pays a son propre  environnement juridique, il a fallu se limiter et c’est le droit français qui sera principalement abordé ici.

  1. La législation considère-t-elle l’humain comme devant être fixe ou comme étant modifiable ?

En droit comme en philosophie, deux thèses s’affrontent: humain immuable ou humain modifiable. En droit, plusieurs concepts peuvent être cités à l’appui de chaque thèse.

Pour un humain non modifiable

Le concept de droit naturel postule des règles immuables, dépassant l’homme. Ces règles peuvent émaner de la puissance divine ou de la logique de la nature. Dans cette conception, ce qui est « normal », est admis par le droit et ne peut être modifié. En quelque sorte, le droit préexiste et doit s’appliquer à des situations évolutives, mais pas être modifié par celles-ci. Ceci mène notamment pour l’humain au concept d’intégrité de la personne humaine qui peut impliquer l’interdiction de toute modification « non naturelle » même souhaitée par un individu.

Évidemment, rares sont ceux qui estiment aujourd’hui que cela signifie que les femmes et les hommes ne peuvent se faire opérer s’ils sont atteints d’une affection parce que la nature ou les dix commandements bibliques ne le prévoient pas. Mais cette notion est néanmoins d’une extrême rigueur en droit français. La loi interdit la thérapie génique germinale qui permet la manipulation des gènes qui ont vocation à être transmis à la descendance (article 16-4 du Code civil). Transformer le patrimoine génétique d’un être humain est même en droit français, un des crimes les plus graves du code pénal, un crime contre l’espèce humaine (article 214 du Code pénal). Heureusement, la loi précise « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques ».

Pour un humain plus résilient et améliorable

Cinq arguments juridiques peuvent être avancés.

L’article 27.1 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 postule que Toute personne a le droit (…) de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. Les bienfaits scientifiques sont notamment ceux issus des avancées médicales. Cependant cet article est très général et fort peu cité par les juristes.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (préambule de 1946), La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Cette définition très large implique clairement que la santé est perçue comme un état susceptible d’amélioration large, par-delà la simple lutte contre la maladie.

D’innombrables instruments juridiques postulent l’égalité de droits et de devoirs dans de nombreux domaines sans discrimination liées au sexe, à la condition sociale et aussi à l’âge. Ceci signifie logiquement que si, un jour, une thérapie permettant une vie en bonne santé beaucoup plus longue est disponible, elle ne pourra être  refusée à ceux qui en auront le plus besoin, les plus âgés et/ou les plus faibles.

Les personnes âgées meurent massivement de maladies liées au vieillissement. Les progrès médicaux peuvent leur permettre une vie plus longue. En droit français, il existe le devoir d’assistance à personne en danger. Ceci signifie que lorsqu’une personne risque sa vie ou son intégrité et qu’il est possible de lui venir en aide, il est obligatoire de le faire (sauf risque pour soi-même) sous peine de sanctions pénales. Il faut noter que l’aide doit être apportée, même en l’absence de certitude quant au résultat. Jusqu’ici la jurisprudence exige un risque imminent et s’applique donc difficilement à des recherches à venir. Cependant l’argument de non-assistance à personne en danger a déjà été utilisé lorsque certains ont estimé que des découvertes médicales récentes n’étaient pas utilisées assez rapidement pour des patients. Ce fut le cas lors de l’affaire dite du « sang contaminé ».

Enfin plus largement la conception contemporaine du droit à disposer de son corps est devenue aujourd’hui étendue. Ce droit à disposer de son corps comprend notamment celui d’utiliser des prothèses utiles à la santé. Demain, il pourrait comporter, par exemple, le droit d’utiliser des robots de taille microscopique pour améliorer sa longévité.

  1. Peut-on être propriétaire d’un humain prolongé?

La réponse courte est bien sûr négative. Même si l’abolition de l’esclavage est toute récente au regard de l’histoire de l’humanité presque plus personne ne se prétend propriétaire d’un être humain (adulte). Ceci ne signifie cependant pas que des thérapies, des substances, des objets, des applications informatiques permettant des améliorations ne puissent faire l’objet d’un droit de propriété, le cas échéant même à l’intérieur du corps.

En ce qui concerne les prothèses, la question s’est notamment posée de savoir si le programme permettant à un pacemaker de fonctionner pouvait être accessible à son porteur. Actuellement, la réponse semble plutôt négative en France comme aux Etats-Unis.

Par contre, en ce qui concerne les thérapies géniques, en France et aux Etats-Unis, le concept de « non-brevetage du vivant » en tous cas pour les gènes humains l’emporte largement. Des gènes permettant la longévité ne pourraient faire l’objet de brevets, contrairement à des médicaments. Cependant, la manière de modifier des gènes peut être brevetée. Ceci suscite d’ailleurs un affrontement juridique intense dans le cadre des avancées de la méthode dite CRISPR qui révolutionne les recherches sur les modifications génétiques.

Un brevet donne des droits exclusifs d’utilisation pendant 20 ans, ce délai pouvant être prolongé de 5 ans dans certaines circonstances. Les partisans du droit au brevet affirment que ceux-ci accélèrent les découvertes médicales en les rendant rentables. Cette brevetabilité partielle pourrait cependant un jour ralentir la mise à disposition de thérapies à tous même si, en cas de découvertes « révolutionnaires », la pression pour les mettre à disposition de tous serait énorme.

En guise de courte conclusion

Le droit, comme l’ensemble des règles, habitudes sociales et pratiques culturelles et religieuses est produit par une société et évolue lorsque la société change. Mais il sécrète aussi des conséquences propres qui peuvent ralentir ou accélérer des évolutions souhaitables ou, au contraire, des évolutions préjudiciables. Parfois, cela se produit sans que ceux qui avaient élaboré les règles au départ l’aient souhaité ou même l’aient envisagé. Le droit français a, de longue date, mis l’accent (en théorie) sur la liberté, l’égalité et la fraternité (compris dans le sens de solidarité). Cet accent ne garantit pas l’accès égal à des thérapies de longévité si elles deviennent disponibles mais il tend à le favoriser.


La bonne nouvelle du mois : Un traitement pour détruire les cellules sénescentes donne des résultats très prometteurs chez les souris


Parmi les causes de vieillissement, il y a -paradoxalement- les dommages causés par des cellules qui ne veulent pas mourir. Il s’agit de cellules vieilles sans utilité biologique qui ne sont pas éliminées naturellement par l’organisme. Depuis plusieurs années, des scientifiques et des startups sont à la recherche de produits susceptibles de détruire ces cellules, mais -bien sûr- sans détruire en même temps les cellules saines.

Des chercheurs néerlandais du centre universitaire médical de Rotterdam ont testé sur des souris transgéniques une protéine appelée FOXO4. Cette substance induit une amélioration considérable de l’état de santé d’individus âgés. Les médias ont assez largement répercuté l’information.

Il faudra maintenant vérifier sur des souris âgées « normales » et puis sur des humains. L’ampleur du résultat positif, ainsi que la compréhension assez large du mécanisme, incitent à un certain optimisme pour les étapes ultérieures.


Pour en savoir plus:

 

 

Longévité et équité. La mort de la mort. Février 2017. N° 95.

Je crois que nous avons le droit d’utiliser ces nouvelles technologies pour nous aider et nous aimer. Je crois que nous avons un devoir, un devoir financier et un devoir éthique. Et si vous ne me croyez pas, demandez à n’importe quel enfant de quatre ans. David Sinclair, biologiste en 2013 (Extrait de A Cure for Ageing? traduit de l’anglais, Ted X Sydney).


Thème du mois : Une vie beaucoup plus longue pour des privilégiés ou pour tous ceux qui le souhaitent ?


Les progrès de la médecine permettent d’envisager une vie radicalement plus longue. Certains imaginent que ces progrès ne seront que pour les riches, d’autres imaginent que chacun pourra en bénéficier.

La crainte que des avancées technologiques ne profitent qu’aux puissants n’est pas originale. Une nouvelle technologie est presque toujours d’abord accessible seulement à quelques-uns avant que l’accès ne se répande.

Certaines avancées restent aujourd’hui accessibles à une minorité mais d’autres pas. L’électricité, le téléphone et le réseau internet sont devenus, dans les pays riches, accessibles à l’immense majorité de la population. Ces mêmes biens et services sont également accessibles au Sud à une part majoritaire de la population mais avec encore bien trop de citoyens exclus.

Il n’est pas certain que la majorité des citoyens aura accès aux thérapies de longévité en bonne santé. Cependant, le cas échéant, la pression sociale, politique, économique, éthique, morale, médicale et environnementale pour les rendre accessibles au plus grand nombre devrait être énorme et rendre extrêmement probable la démocratisation de l’extension de la longévité.

Les raisons de ce développement probable sont examinées ci-dessous.

Une vie en bonne santé plus longue pour tous a un avantage économique

Les coûts pour la société des maladies liées au vieillissement sont énormes. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, cela n’est pas l’avancée en âge qui est le plus coûteux. Ce sont les dernières années avant le décès suite à des maladies incapacitantes qui représentent des coûts considérables quel que soit l’âge du décès. Les dépenses concernent les personnes elles-mêmes mais aussi leurs familles et les institutions publiques qui financent les maisons de retraite, les remboursements de soins de  santé, les hôpitaux, … Autrement dit, des thérapies permettant une vie plus longue en bonne santé signifient à terme des économies pour la collectivité.

Dans le domaine de la sénescence comme dans d’autres domaines, prévenir vaut mieux que guérir. Prévenir la dégénérescence suite à la sénescence vaut mieux que de pallier les conséquences négatives.

La longévité, un bien commun de l’humanité

Aujourd’hui, dans le monde, les maladies liées au vieillissement sont la première cause de mortalité, de morbidité et de souffrance, responsables d’environ 7 décès sur 10 à l’échelle planétaire et environ 9 sur 10 dans les pays les plus aisés.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Le droit à la santé est reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 25). Les moyens d’exercer ce droit varient selon les évolutions médicales et il ne serait plus admissible au regard des droits humains de refuser des soins contre la sénescence si ceux-ci devenaient accessibles.

Les personnes avançant en âge pourraient devenir des citoyens égaux  aux autre en fait (et pas seulement en droit)

Aujourd’hui, les éthiciens, les autorités morales et religieuses se concentrent généralement sur le droit des personnes âgées à vivre dans la société de la manière la plus harmonieuse possible, malgré les inégalités de fait. C’est une bonne chose. Demain, s’il est possible de mettre fin à certaines de ces inégalités, les responsables devraient se concentrer sur la possibilité de mettre fin à ces  inégalités et non pas seulement tenter d’y remédier.

Si une personne devient aveugle par suite d’une déficience alimentaire inconnue, il faut bien sûr lui offrir les moyens de pallier à son handicap en donnant un logement adapté, des informations sonores au lieu d’informations visuelles, … Mais une fois la cause de la déficience connue, sauf si la personne souhaite rester non-voyante, la priorité est de mettre fin au déficit alimentaire et donc de rendre la vue.

Coût réel des thérapies

La recherche de thérapies coûtera cher, particulièrement la recherche pour la lutte contre les maladies neurodégénératives. Par contre, les produits et thérapies ensuite nécessaires seront très probablement rapidement disponibles à un coût de moins en moins élevé parce que:

  • L’ensemble des citoyens de la planète est potentiellement concerné ce qui signifie des économies d’échelle gigantesques.
  • Les produits nécessaires pour les thérapies ne devraient pas être des produits coûteux. L’être humain est infiniment précieux mais sa composition et les produits qu’il absorbe, c’est surtout de l’eau, du carbone et des matières peu coûteuses. Que ce soient des médicaments ou des thérapies géniques, les   concernées ne sont pas chères par elles-mêmes et nous n’en aurons besoin qu’en quantités limitées. Ce qui peut être cher, c’est le développement d’appareils pour les thérapies. Cependant, le coût ne sera relativement élevé que pendant leur mise en place.

Le principal obstacle financier pourrait être celui lié à l’exploitation commerciale des droits (de type droits d’auteur et brevets) qui sont liés aux recherches examinées dans le paragraphe suivant.

Des investissements publics ou des recherches privées maîtrisées

Une bonne partie des recherches de santé sont des recherches financées par la puissance publique, particulièrement dans le domaine des maladies neuro-dégénératives. Ce sont ces recherches, en étant attentif à ce que les découvertes soient mises à disposition de tous, qui présentent le plus de garanties pour l’accessibilité à tous. Mais des recherches efficaces sont aussi effectuées par le secteur privé ce qui pose la question de l’exploitation commerciale.

En ce qui concerne les recherches relatives aux thérapies géniques, il est généralement admis que le « brevetage du vivant » n’est pas autorisé. C’est particulièrement exact en ce qui concerne les thérapies concernant les êtres humains.

Cependant, ce qui peut bien être breveté, ce sont les moyens pour transformer des gènes de manière utile et, plus généralement, les moyens techniques nécessaires pour fabriquer des thérapies médicales contre le vieillissement. Il y a donc là un risque d’inégalité, une fois les thérapies disponibles. Cependant, ces risques sont limités parce que:

  • Aujourd’hui, vu le caractère de plus en plus interconnecté des recherches, il est difficile de dissimuler des découvertes.
  • La durée maximale d’un brevet est limitée généralement à 20 ans (parfois 25 ans).  Ceci signifie que, dans le pire des cas, si une thérapie de longévité efficace est découverte, elle serait sans droit de propriété après une génération. Mais ce « pire des cas » est improbable vu ce qui suit.
  • L’opposition de l’opinion publique, des femmes et des hommes politiques, des journalistes, des autorités publiques,  si une thérapie efficace était réservée à une élite serait immense. Une société privée aurait à choisir entre mettre à disposition pour un prix modique pour des milliards de personnes une thérapie ou la vendre à un prix élevé pour des millions de personnes. Le second choix signifierait s’exposer à la réprobation voire à la haine de la population. Même si les « propriétaires » font abstraction de l’éthique, le choix collectif sera le plus intéressant à condition qu’une transparence suffisante des opérations soit garantie.

Une volonté collective pour une vie en bonne santé radicalement plus longue

Si des thérapies sont découvertes, la prise de conscience de leurs impacts positifs se renforcera. Les oppositions à une longévité accrue devraient rapidement s’amoindrir. Aujourd’hui, presque plus personne ne s’oppose à l’utilisation d’analgésiques, aux greffes d’organes ou encore à l’accès à des informations médicales fiables via internet. Tout cela n’allait pas de soi avant que cela ne soit aisément réalisable techniquement. Une fois que c’est devenu possible, la pression pour que cela soit accessible, et ceci sans obstacle financier, s’est accrue.

Bien sûr, il est probable que certains souhaiteraient encore avoir le droit de vivre « comme avant ». Cette possibilité doit exister ou plutôt apparaître. Pour rappel, à ce jour personne n’a « le droit » de choisir entre une vie relativement courte et une vie longue au-delà de nos limites biologiques actuelles. Si ce choix apparaît, il devrait être, dès que possible, le même, quel que soit le revenu, le patrimoine ou les origines.


La (relativement) bonne nouvelle du mois : l’espérance de vie en France est à nouveau en hausse


Alors que les médias avaient abondamment fait écho à une diminution de l’espérance de vie en France en 2015, il y a eu beaucoup moins d’échos sur la bonne nouvelle de l’augmentation de l’espérance de vie en 2016.

Pour 2016, l’espérance de vie à la naissance est pour les femmes de 85,4 ans (le record d’il y a 2 ans) et pour les hommes de 79,3 ans (le record absolu).

Ceci étant, c’est une bonne nouvelle relative parce que sur deux ans, cela fait une quasi-stagnation (statu quo pour les femmes, un mois pour les hommes) alors que les progressions moyennes antérieures annuelles étaient d’environ 3 mois pour les hommes et 2 mois pour les femmes.


Pour en savoir plus:

 

 

 

 

Observation de longévités animales. La mort de la mort. Janvier 2017. N° 94.

Chaque médicament est une innovation et celui qui ne s’applique pas de nouveaux remèdes doit s’attendre à de nouveaux maux car le temps est le plus grand corrupteur et s’il change les choses pour le pire et que la sagesse et le conseil ne les modifient pas pour le meilleur, quelle sera la fin? Francis Bacon, essais de morale et de politique, 1625.


Thème du mois : Les animaux observables pour la compréhension de la longévité


Aujourd’hui, pas un être humain n’a plus de 117 ans. Pas une seule souris n’a plus de 4 ou 5 ans. Pas un seul caméléon malgache de l’espèce Furcifer Labordi n’a plus de 4 ou 5 mois alors que d’autres caméléons de Madagascar peuvent vivre une dizaine d’années.

La cause première de ces différences est le patrimoine génétique. Le fonctionnement des molécules fondamentales du vivant est d’une extrême complexité, notamment suite aux processus épigénétiques. Il n’en reste pas moins que des différences relativement modestes dans l’ADN peuvent créer des écarts tout à fait considérables de durée de vie.

Dans cette lettre, nous décrirons les espèces vivantes les plus courantes étudiées fréquemment en laboratoire dans le cadre de la compréhension de la durée de vie ainsi que des espèces plus « atypiques » qu’il pourrait être utile d’étudier plus pour les raisons de leurs durées de vie.

Les espèces déjà fréquemment étudiées en laboratoire (du plus lointain au plus proche de l’humain).

La levure est un champignon unicellulaire d’abord connu pour son rôle dans l’alimentation. Il est utilisé en laboratoire entre autres pour étudier l’impact de différents traitements sur la durée de vie de cet organisme.

Les vers nématodes Caenorhabditis elegans (mesurant environ un millimètre) et les drosophiles (petites mouches n’excédant pas 4 millimètres) sont les animaux de laboratoire de ceux qui se contentent d’invertébrés. Elles présentent de nombreux avantages pour l’étude de la longévité: durée de vie courte (et donc résultats rapides), reproduction facile, taille petite, mutations génétiques aisées à établir. Évidemment, leur ressemblance avec les êtres humains n’est pas frappante même si une bonne partie du patrimoine génétique est commun.

Les souris et les rats qui vivent normalement 2 à 4 ans sont certainement les animaux de laboratoire les plus étudiés tant pour l’étude du vieillissement que pour d’autres questions. Ils se reproduisent en laboratoire depuis de nombreuses générations. Comme les études sont nombreuses, les points de comparaison et le patrimoine génétique sont très bien définis. Les souris étant de plus petite taille, elles sont moins coûteuses à entretenir et donc plus utilisées.

Les macaques rhésus sont l’objet des expériences parmi les plus longues de l’histoire scientifique. Un traitement en faveur de la longévité, à savoir la restriction calorique a été suivi pour certains individus pendant une quarantaine d’années.

De manière générale, les expériences relatives au vieillissement donnent des résultats plus rapides si les animaux examinés le sont à partir d’un âge correspondant à la mi-vie. En effet, la mortalité due au vieillissement croît selon une courbe exponentielle dite « courbe de Gompertz« . L’étude de sujets plus âgés permet donc de percevoir des différences de mortalité plus fortes. Ceci se fait cependant malheureusement relativement peu car des animaux plus âgés sont plus coûteux.

Les espèces atypiques observables en captivité

De manière générale, ce sont les animaux de grande taille, subissant peu de prédation (ou d’autres causes de mortalité externe) et au métabolisme lent qui vivent le plus longtemps. L’étude des exceptions à ces règles, mais aussi les cas les plus extrêmes d’application de ces règles est une source d’information scientifique intéressante.

Comme chacun sait, les chimpanzés et les bonobos sont proches des humaines et très intelligents. Leur utilisation en laboratoire est devenue exceptionnelle. L’étude uniquement de ce qui permet une vie en bonne santé plus longue (et non pas de ce qui diminue la durée de vie) répondrait à des exigences éthiques et serait utile pour les humains mais aussi pour les animaux concernés (qui peuvent vivre plus de 60 ans).

Les porcs sont des animaux souvent étudiés en laboratoire pour leurs organes souvent proches des organes humains. Elever des animaux de grande taille est bien sûr coûteux. Cela pourrait cependant être très utile vu la biologie proche de l’humain. De plus, comme la durée de vie est relativement limitée (une quinzaine d’années), ceci permettrait des études assez rapides.

Pour les rongeurs, le rat-taupe nu peut atteindre 30 ans, ce qui est exceptionnel pour un mammifère de petite taille.

Parmi les oiseaux, les durées de vie sont extrêmement variables. Beaucoup de passereaux ne vivent que quelques années alors que des espèces de perroquets peuvent vivre plus de 60 ans. Un albatros né dans les années 50 continue à pondre aujourd’hui. Tous ces animaux pourraient être observés sur le long terme en ce qui concerne les indicateurs de vieillissement. Pour un albatros, l’observation en captivité n’est probablement pas possible, mais des capteurs peu invasifs pourraient mesurer des informations pour cet animal.

Il est bien connu que certaines tortues, notamment celles des Galápagos peuvent vivre extrêmement longtemps. Des exemplaires sont observés en captivité depuis des siècles mais pas spécifiquement pour comprendre les mécanismes de longévité.

Le caméléon Furcifer Labordi est le vertébré terrestre dont la durée de vie est la plus courte. Elle n’excède pas 4 ou 5 mois. Dans le milieu naturel, ce reptile vit sa courte existence durant la belle saison. A la fin de cette période, la femelle pond des oeufs qui incuberont jusqu’au début de la belle saison de l’année suivante. En captivité, l’animal ne survit normalement pas plus longtemps. Examiner les processus de vieillissement en comparant notamment à d’autres caméléons vivant beaucoup plus longtemps pourrait apporter des informations précieuses.

Un mécanisme de développement et de vieillissement accéléré se produit également chez certaines espèces de poissons qui vivent dans des mares temporaires dans des zones désertiques africaines. Il s’agit notamment du fort beau Nothobranchius furzeri. Ici aussi, examiner ces poissons en les comparant à des espèces proches vivant beaucoup plus longtemps contribuerait aux connaissances relatives à la sénescence.

Chez les insectes eusociaux (termites, fourmis, abeilles,…), les individus qui pondent (les « reines ») vivent beaucoup plus longtemps alors qu’ils sont génétiquement identiques au départ aux ouvrières, soldats,… qui ne vivront que quelques mois. Des colonies d’insectes sont observées depuis des siècles mais pas dans le cadre spécifique de l’étude de la longévité.

Des animaux beaucoup plus éloignés des humains peuvent vivre très longtemps. La méduse Turritopsis dornhii  peut retourner à l’état larvaire apparemment en un cycle sans fin et est étudiée en aquarium. D’autres animaux non mobiles peuvent vivre des siècles et leur métabolisme pourrait être plus étudié. Il s’agit du quahog nordique mais aussi de coraux. Pour ces derniers, ce sont en fait les colonies qui vivent des milliers d’années, pas chaque polype « individuel”). Il pourrait être passionnant d’étudier simultanément ces êtres collectifs qui peuvent aujourd’hui nous survivre des siècles et le gobie pygmée Eviota sigilata qui vit sur des récifs coralliens et qui est l’espèce de vertébré ayant la durée de vie la plus courte au monde (moins de 2 mois).

Enfin, pour conclure, c’est évidemment l’humain qui est susceptible d’apporter les informations les plus précieuses pour sa propre sénescence. Cet être vivant est coûteux à entretenir, mais il résiste fort bien aux écarts de température et aux modifications rapides de l’environnement. Le consentement éclairé à des expérimentations en double aveugle pour une vie en bonne santé plus longue est particulièrement utile chez les vrais jumeaux, les personnes les plus âgées ainsi que celles atteintes de maladies liées à un vieillissement accéléré. Il pourrait servir tant aux individus observés qu’à l’ensemble des 7,5 milliards de congénères.


La bonne nouvelle du mois: lettre ouverte aux candidats à la présidence de la République française pour un plan national de lutte contre le vieillissement


Cette lettre a été écrite le 1er janvier 2017. Il y est demandé un acte républicain et clairvoyant, à la mesure de l’enjeu énorme du vieillissement. Ceci devrait se traduire entre autres par:

  • la création d’un pôle de recherche national, financé en conséquence, capable d’attirer les meilleur(e)s chercheur(se)s de la discipline ;
  • un cadre légal novateur adapté aux particularités de la lutte contre le vieillissement.

Plusieurs personnalités (dont Miroslav Radman) ont déjà accepté de signer. Pour soutenir cette initiative, vous pouvez également signer


Pour en savoir plus:

Progrès récents pour la longévité. La mort de la mort. Décembre 2016. N° 93.

Le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg a promis 3 milliards de dollars pour éradiquer la maladie et la pauvreté. N’est-ce pas idéaliste?

Certainement, tous ces objectifs absolus sont idéalistes. Mais il s’est donné jusqu’à la fin du siècle. Donc, il nous reste à espérer qu’il ait raison pour que vous soyez encore là pour le vérifier ! Ce qu’il a fait est fantastique. C’est un énorme engagement. A son âge, je ne faisais pas du tout de philanthropie. Bill Gates, Le Soir (journal belge), 28 octobre 2016.


Progressions scientifiques contemporaines dans les recherches pour une vie en bonne santé (radicalement) plus longue


C’est une banalité de dire que nous vivons une époque de progrès technologiques rapides, notamment dans les domaines informatiques, de la robotisation et des connaissances génétiques. Grâce notamment à ces progrès, nous vivons une période de croissance des communications encore plus rapide, permettant la mise à disposition d’une quantité d’informations en augmentation continue.

La communication accrue n’a pas que des avantages. Dans le domaine scientifique, comme dans d’autres domaines, certaines personnes ou organisations peuvent décrire des avancées de manière exagérée voire simplement incorrecte dans des buts financiers, de prestige, d’influence d’opinion,… D’autres personnes peuvent, au contraire, ne pas communiquer, pour tenter de protéger leurs connaissances, parce que le résultat de leurs recherches ne correspond pas à leurs espérances ou parce qu’elles n’y sont pas autorisées. Il manque de lieux en ligne où les expérimentations en matière de longévité animale ou humaine sans résultats positifs sont reprises de manière systématique. Or, savoir ce qui ne fonctionne pas est presque aussi important que de savoir ce qui fonctionne car cela évite de refaire des recherches inutiles.

Cette lettre tentera de cerner les domaines les plus prometteurs des recherches en matière de longévité de ce début de 21è siècle. Cette lettre est un peu plus longue qu’à l’accoutumée mais il a fallu néanmoins rester bref. Des dizaines de pages n’auraient pas suffi à faire un tour complet des perspectives.

A. Progrès par type d’affection

  1. Lutte contre les maladies cardio-vasculaires.

Au Québec, le taux ajusté de mortalité a diminué de plus de 50 % en moins de 30 ans. Les progrès sont spectaculaires aussi dans bien des pays similaires. Ce n’est pas grâce à une percée unique mais par une combinaison de progrès dans les domaines de la prévention et des thérapies. Cette évolution réjouissante se poursuit aujourd’hui. Les spécialistes ne savent pas exactement ce qui la provoque mais il semble que cela soit l’ensemble des mesures médicales de prévention et de traitement notamment du diabète et la diminution de l’usage du tabac qui forme une partie importante des causes.

  1. Le cancer, un jour une maladie chronique?

En France, depuis des décennies, la mortalité dans les 5 années des personnes atteintes du cancer diminue, à âge égal, d’environ 1 % par année. Les progrès sont divers. En fait, chaque cancer se caractérise par des modifications génétiques spécifiques. La diminution exponentielle des coûts du séquençage génétique permet d’envisager, dans un futur peu éloigné, pour chaque citoyen, un traitement spécifique. La transformation du cancer en une maladie dont on ne meurt plus est envisageable à un terme pas trop éloigné pour certaines formes de cancer, dont ceux du sein et de la prostate.

  1. Les maladies neurodégénératives

Il semble que, à âge égal, le nombre de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer soit en décroissance. La science médicale progresse pour la recherche et l’expérimentation animale mais pas dans celui de thérapies concrètes. Les pistes de progression sont
– des médicaments, notamment la substance Verubecestat,
– les substances se trouvant dans le sang (voir plus bas),
– les ultrasons et la lumière (voir plus bas).

A ce jour, malheureusement, aucune thérapie qui est apparue prometteuse sur le plan de la recherche théorique, de l’expérimentation animale ou même des premiers tests humains, n’a été confirmée à l’échelle des patients « normaux ».

B. Progrès par méthode

  1. Les produits

La recherche de la « pilule d’immortalité » (de longévité en fait) se poursuit depuis plusieurs millénaires. L’être humain, comme les autres mammifères, est un organisme d’une extraordinaire complexité. Il dispose d’un système nerveux qui est l’organe le plus complexe de l’univers connu. Nous avons besoin de très nombreuses substances pour fonctionner, chacune de ces substances interagissant avec des centaines d’autres et selon les rythmes de notre métabolisme.

Il existe, pour une personne donnée, dans un environnement donné avec un comportement donné, un « dosage » idéal. Approcher de cet idéal peut se faire, notamment en absorbant des substances médicamenteuses ou des suppléments alimentaires. Cela permet de gagner des années de vie en bonne santé en approchant d’une situation biologique idéale. Par contre, il est peu probable qu’un produit actuellement existant permette jamais de dépasser les durées de vie maximales aujourd’hui atteintes, notre « limite biologique génétique » (110 à 120 ans).

Les produits les plus prometteurs aujourd’hui sont:
– les statines,
– la rapamycine,
– la metformine,
– des substances protégeant certaines protéines.

D’autres produits ont été porteurs d’espoirs et ne le sont plus guère: resvératrol, C 60, vitamines, hormones,…

  1. Les thérapies géniques

C’est de très loin le domaine le plus prometteur. La modification ciblée du patrimoine génétique est de plus en plus simple grâce au développement des méthodes dites CRISPR-Cas 9 (et également grâce à d’autres techniques) ainsi qu’à la diminution exponentielle des coûts du séquençage génétique.

Ce début du 21è siècle a également été une période de découvertes de mécanismes d’une grande complexité: rôle de l’épigénétique et d’un ensemble de caractéristiques pouvant se transmettre de manière héréditaire sans passer par les modifications « classiques » de l’ADN (hérédité de caractères acquis, rôle de l’ARN, rôle des mutations génétiques de certaines cellules au cours de la vie,…). Par ailleurs, alors qu’il est certain que des modifications réduites du patrimoine génétique permettent des différences considérables de durée de vie entre espèces animales proches, les recherches entre autres sur des supercentenaires n’ont pas permis de découvrir encore les « secrets » génétiques de la longévité de certaines personnes. Par contre, les recherches pour « transformer » des cellules âgées en cellules jeunes sont très prometteuses.

3. Les nanotechnologies

Les nanorobots (créés atome par atome  à l’échelle du milliardième de mètre ») capables d’éliminer les cellules malades et les virus nuisibles ainsi que de remplacer des neurones déficients ne sont pas pour demain, mais des équipes en Israël et ailleurs cherchent à développer des robots microscopiques. D’autres chercheurs étudient des nanomédicaments qui, grâce à leur taille et leur couches successives de type « oignon » peuvent franchir les frontières internes du corps, notamment la barrière hémato-encéphalique.

4. Les régénérations

Chez l’être humain, les possibilités de se régénérer sont non négligeables. Nous ne pourrions pas survivre sans certains renouvellements constants dans notre corps. Cependant, nous n’avons pas la capacité de régénérer des organes entiers qu’avaient nos lointains ancêtres et qu’ont des reptiles, des poissons et des amphibiens. Ceux-ci peuvent régénérer des organes entiers. Des chercheurs, notamment de l’université Monash de Melbourne, tentent de découvrir comment, pourquoi et par quelles modifications génétiques, nous avons perdu ces capacités en vue de tenter de les « réveiller ».

  1. Les imprimantes 3D et les microchirurgies

Les imprimantes tridimensionnelles peuvent être utilisées à des fins médicales notamment pour constituer des tissus ou des organes à partir de cellules-souches. Le travail de constitution d’organes à partir de cellules-souches est notamment étudié par la société Organovo.

6. Les recherches provenant de données épidémiologiques

De l‘utilisation d’un profil Facebook actif en passant par le fait de jouer au tennis, la lecture de livres et l’absorption de thé vert, les comportements, les consommations, les compositions,… des populations montrent des liens innombrables avec la durée de vie. Dans l’océan des données statistiques, des informations précieuses pour la longévité se dissimulent au milieu de brassées de données redondantes, de simples corrélations et d’erreurs de mesure. Pour pouvoir déterminer les pistes les plus prometteuses, les applications logicielles traitant les « big data » médicales (et comportementales) sont de plus en plus utilisées. Un traitement plus collectif, moins privatisé, informant plus les citoyens des buts de santé publique collectifs est un facteur d’accélération de l’efficacité de ces recherches.

7. L’immunothérapie

Lorsque nous vieillissons, notre organisme réagit de plus en plus mal aux agressions extérieures. Les personnes âgées décèdent fréquemment de maladies infectieuses du fait de la décroissance des défenses immunitaires. Les recherches qui visent à rétablir ou à renforcer l’efficacité des défenses immunitaires sont en pleine croissance pour lutter contre certains cancers et elles sont également considérées afin de diminuer les effets du vieillissement de manière plus généralisée.

8. Les produits contenus dans le sang

Il apparaît que l’échange de sang entre souris jeunes et âgées (parabiose) permet des mécanismes de réjuvénation chez les souris âgées (et provoque au contraire le vieillissement » des souris jeunes) sans que l’on sache exactement ce qui provoque ces modifications. Ces recherches ont eu récemment un succès important et démontrent que nous ne comprenons encore que trop peu l’impact des substances biologiques qui nous composent, même parmi les plus aisément et les plus longuement étudiées.

9. Les ondes

Chez des souris atteintes d’une maladie similaire à la maladie d’Alzheimer, l’utilisation d’ultra-sons a pour conséquence surprenante de diminuer les plaques qui sont une cause déterminante de cette maladie. Il pourrait aussi en aller de même avec de la lumière ! Ces avancées surprenantes sont une des illustrations de l’intérêt de chercher dans toutes les directions en permettant donc…

  1. La sérendipité

Les progressions technologiques dans les autres domaines scientifiques peuvent servir à une vie beaucoup plus longue en bonne santé sans que nous ne nous y attendions vraiment. Les effets  des nanoparticules, des ondes, des nouveaux produits, de nouveaux comportements,… sur la santé sont souvent cités incidemment pour leurs conséquences négatives mais nous pourrions aussi découvrir des conséquences positives à condition de toujours garder  les questions de longévité  à l’esprit.

  1. L’intelligence informatique et artificielle à vocation médicale

Il s’agit probablement du domaine le plus prometteur de cette décennie. Les géants de l’informatique annoncent des investissements et des ambitions considérables.

Facebook annonce la disparition des maladies du vivant de la fille de Mark Zuckerberg. C’est notamment pour cela qu’a été créé par lui et son épouse la Chan Zuckerberg Initiative. Microsoft et Apple investissent énormément dans les applications médicales. Google est en pointe, via Verily, Google Genomics, l’engagement du « singularitariste » Ray Kurzweil et surtout la fort discrète société Calico.

Enfin, l’application IBM Watson, qui est probablement aujourd’hui ce qui ressemble le plus à une intelligence artificielle large, permet de développer des outils de diagnostic médical remarquables et devrait pouvoir être utilisé pour des recherches larges.

C. Nuance à l’optimisme et conclusion provisoire

La science progresse et c’est enthousiasmant mais les avancées sont ralenties par:

– des réglementations complexes qui ne mettent pas clairement la priorité sur l’intérêt collectif et individuel des avancées thérapeutiques;
– une multiplication d’acteurs de toutes tailles aux objectifs souvent concurrents, aux intérêts trop privés et aux solidarités aléatoires;
– des enthousiasmes conjoncturels parfois trop puissants nous faisant surestimer le progrès à court terme et perdre la « longue haleine »;
– une perception encore rare que la « mort de la mort » par vieillissement est une perspective réaliste.

Un tour d’horizon optimiste ne nous fera pas oublier non plus que cette année encore des dizaines de millions de personnes sont mortes de maladies liées au vieillissement qui pourraient être un jour pas si lointain évitables. Nous sommes malheureusement raisonnablement certains qu’il en ira de même l’année prochaine. Que ce soit la mort de sa mère ou celle d’un étranger, tout décès non voulu doit nous toucher et nous pousser à favoriser les solidarités vis-à-vis des plus âgés, c’est-à-dire des plus faibles des citoyens de notre monde.

2017 et les années suivantes s’ouvrent sur des perspectives qu’il appartient aux chercheurs, aux activistes, aux citoyens de rendre encore plus enthousiasmantes en matière de longévité.


La bonne nouvelle du mois: le transhumanisme en tant que permettant d’augmenter fortement la longévité perçu positivement en France


Les opposants à la longévité radicale sont très actifs parfois même vociférants. Mais il se pourrait bien qu’ils ne deviennent pas minoritaires… parce qu’ils le sont déjà.

Si nous en croyons une étude de Swiss Insurance, à la question « Aujourd’hui, on parle en médecine de transhumanisme ou d’homme augmenté, ce qui signifie que les progrès en médecine permettront à l’avenir d’augmenter fortement la longévité des hommes via par exemple des implants rétiniens électroniques pour redonner la vue, des prothèses intelligentes, des organes artificiels, etc. Diriez-vous que ce type d’évolution est une bonne ou une mauvaise chose ? », 72 % des répondants considèrent que c’est une bonne chose.

Pour en savoir plus: