Category Archives: La Mort de la Mort

La courbe de Gompertz et le vieillissement. La mort de la mort. Juin 2018. N° 111.

Des expressions telles que « vieillissement en bonne santé » et « vieillissement gracieux » signifient que (…) vous êtes relativement en bonne santé ou que les signes cosmétiques du vieillissement ne sont pas aussi prononcés qu’ils pourraient l’être. (…)

Ce choix de mots est plutôt problématique, surtout maintenant que l’aube du rajeunissement est visible à l’horizon. Les termes «vieillissement en bonne santé» et «vieillissement réussi» sont en réalité vivement contradictoires. Si vous lisez la littérature scientifique sur le vieillissement, la plupart, sinon la totalité, des articles donnant une introduction générale au phénomène le définissent comme un processus chronique d’accumulation de dommages ou un déclin progressif de la santé et de la fonctionnalité. Si nous essayons de remplacer ces définitions dans les deux expressions ci-dessus, les résultats sont franchement hilarants: «un processus chronique sain d’accumulation de dommages» et «un déclin progressif réussi de la santé et de la fonctionnalité». Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire? (…)

Nicola Bagalà, mathématicien, artiste et longévitiste de la Life Extension Advocacy Foundation (LEAF) dans un article intitulé Getting sick in a healthy way (traduction)


Thème du mois. Le doublement périodique du risque de mourir


Croissance exponentielle du risque de décès chez les humains

William Makeham était un actuaire et mathématicien britannique qui vivait au 19ème siècle. Il fut le premier à découvrir que, pour les personnes adultes, la probabilité de mourir de maladie doublait à intervalles réguliers. Représenté par une ligne sur un schéma, le risque de décès suit donc une courbe ascendante exponentielle, douce au début et puis de plus en plus abrupte.

Cette « loi » de la mortalité humaine est appelée Modèle de Gompertz-Makeham.

Le doublement de mortalité se produit environ tous les 8 ans. Autrement dit, une personne de 70 ans a environ deux fois plus de risque de décéder durant sa soixante-et-onzième année qu’une personne de 62 ans n’a de probabilité de décéder durant sa soixante-troisième année.

En 2018, nous vivons en moyenne bien plus longtemps qu’au 19ème siècle. Il semble cependant que la loi de Gompertz-Makeham soit fortement indépendante des progrès de la médecine. Lorsque l’espérance de vie croît, les courbes de la mortalité obéissent globalement aux mêmes logiques qu’auparavant mais à partir d’un âge plus élevé.

La compréhension de ce mécanisme a été et est encore utile pour les chercheurs et les entrepreneurs qui calculent les multiples éléments économiques influencés par la durée moyenne de vie. Cela va des primes d’assurance au financement de la sécurité sociale en passant par les perspectives démographiques. Par contre, le grand public l’ignore, voyant plutôt dans le vieillissement un phénomène assez aléatoire.

Croissance exponentielle du risque de décès chez d’autres animaux

Pour des animaux en captivité (ou des plantes cultivées) donc sans risque de prédation, l’évolution du risque de décès avec l’âge varie. Trois grandes catégories peuvent être distinguées :

  • Des espèces animales qui ont une durée de vie assez précise. Souvent, ils sont en bonne santé jusqu’à l’âge de reproduction ou jusqu’à la fin de la belle saison et ensuite ils meurent rapidement. C’est ainsi la règle pour beaucoup d’espèces d’insectes et pour les plantes dites annuelles. Le vertébré le plus connu à ce sujet est probablement le saumon, mais il existe également une espèce de marsupial, l’antechinus dont le mâle meurt très rapidement après la reproduction.
  • Des espèces vivantes, surtout végétales, qui n’ont pas de mécanisme de sénescence connu où qui n’ont pas de croissance exponentielle de la probabilité de mourir avec l’âge. Des espèces d’arbre, dont le séquoia, sont dans ce cas ainsi que les homards et certains bivalves.
  • Les espèces qui, comme l’être humain, ont une croissance exponentielle de la probabilité de décès.

Pour les espèces ayant une croissance exponentielle du risque de décès, la période de doublement de mortalité sera presque toujours plus courte que chez les humains puisque très peu d’espèces animales ont une durée de vie maximale aussi longue que la nôtre.

Généralement, les expériences relatives à la lutte contre le vieillissement portent sur des souris ou des rats. En connaissant les tables de mortalité de ces rongeurs, il est plus aisé d’évaluer l’efficacité d’un traitement pour lutter contre la sénescence en comparant les courbes de décès avec ou sans la thérapie nouvelle sans devoir attendre la mort de tous les animaux.

Par ailleurs, étant donné la croissance de la probabilité du décès avec l’âge, il est plus utile et aisé d’examiner des animaux âgés que des animaux jeunes. Si un produit ou une thérapie nouvelle est efficace (c’est-à-dire qu’elle augmente la durée de vie), une différence de mortalité apparaîtra plus rapidement en comparant des groupes de souris âgées (plus fragiles et mourant plus souvent) qu’en comparant des groupes de souris jeunes.

Il y a cependant un frein financier à la recherche sur des animaux âgés : les animaux de laboratoire coûtent plus chers s’ils sont plus âgés (parce qu’il faut les élever jusqu’à l’âge adéquat).

La croissance exponentielle du risque de décès est globale pour un individu mais aussi spécifique pour la plupart des affections

La loi de Gompertz-Makeham est peu connue. Ce qui est moins connu encore, c’est que cette loi s’applique également, avec des nuances, pour la plupart des causes de mortalité. Le schéma représenté ci-dessus donne la probabilité de décès selon l’âge pour la plupart des causes de mortalité et ceci avec une échelle exponentielle. Que ce soit le risque de mourir d’un cancer, d’une maladie cardio-vasculaire ou d’une maladie neuro-dégénérative, dans chaque cas, la probabilité de décès augmente avec l’âge. Même en ce qui concerne les maladies infectieuses, la probabilité augmente de manière exponentielle. Personne ne pense qu’une banale grippe est une maladie liée au vieillissement. Et pourtant, le risque d’en mourir est beaucoup plus élevé chez une personne âgée que chez une personne jeune.

La courbe de Gompertz s’explique, bien sûr, par tous les mécanismes de vieillissement qui s’accumulent et finissent par causer le décès. Lorsque des thérapies seront étudiées puis testées en double aveugle et dans des conditions scientifiques rigoureuses, nous pourrons envisager que la progression exponentielle soit ralentie, voire un jour n’existe plus.


La nouvelle du mois : Le droit d’essai aux Etats-Unis pour les personnes atteintes de maladies incurables  


Une nouvelle législation vient d’être adoptée au niveau fédéral aux Etats-Unis sous le nom de Right to try. Elle permet, sous certaines conditions, aux personnes atteintes de maladies incurables, d’essayer des thérapies innovantes. Selon certains, cette législation permettra de sauver la vie de patients grâce à des progrès médicaux sans devoir attendre une procédure administrative lourde d’approbation.

Malheureusement, la législation nouvelle concernée reste encore très limitée notamment en ce qui concerne l’information relative aux nouvelles thérapies. Les firmes pharmaceutiques ne sont pas obligées de délivrer les soins et n’ont pas d’obligation de publier les résultats des nouveaux traitements en termes de survie des patients.

Il reste donc à obtenir plus de rigueur en termes de transparence mais la prise de conscience de l’importance de l’accélération des recherches médicales pour la santé des citoyens progresse.


Pour en savoir plus:

Les effets collatéraux d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue. La mort de la mort. Mai 2018. N° 110. 

Les difficultés pour un financement (de la lutte pour la longévité) sont dues au désespoir de presque tout le monde pour parvenir à oublier le vieillissement et prétendre qu’il s’agit d’une sorte de bénédiction déguisée, afin de pouvoir vivre sa vie misérable sans être préoccupé par le sort terrible qui l’attend. (…) Cette attitude est psychologiquement compréhensible mais moralement inexcusable. Aubrey de Grey, le biogérontologue le plus connu au monde et l’un des plus actifs, Varsity (périodique en ligne de Cambridge, Royaume-Uni)  interview du 27 avril 2018 (traduction)


Thème du mois. Les conséquences d’un monde à sénescence négligeable


Cette lettre ccerne les conséquences sociales, économiques et onculturelles les plus envisageables et souhaitables d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Elle se base sur l’hypothèse qu’une thérapie qui permet de rendre négligeable les mécanismes de sénescence est accessible à un prix modique (un peu comme le prix des vaccins ou d’une opération de l’appendice aujourd’hui). Il est également supposé que l’environnement technologique et culturel est similaire au nôtre. Si cette lettre était une nouvelle littéraire, cela serait de l’uchronie, de l’histoire alternative (que serait le monde si nous ne vieillissions plus aujourd’hui) plutôt que de la prospective, de l’histoire du futur (que sera le monde si nous ne vieillissions plus dans 30 ans).

Cette lettre se place délibérément dans l’optique d’évolutions positives. Une utilisation collective positive d’une avancée médicale et sociale n’est pas certaine. Une société de caste « d’amortels » et de mortels serviles est imaginable. La vaccination aurait pu être utilisée pour protéger des soldats envahissant des pays contaminés artificiellement, la transplantation d’organes pourrait se faire en exécutant des pauvres pour donner une vie meilleure aux riches, la transfusion sanguine pourrait être réservée aux travailleurs méritants pour les « booster ». Cependant, tout cela est peu envisageable dans un monde contemporain où le respect de la vie humaine s’étend.

Voici donc les effets collatéraux envisageables de l’amortalité dans un monde, par ailleurs, pas tellement différent du nôtre :

Les inégalités involontaires devant la mort sont rares, la longévité est acceptée par les représentants religieux, mais il y a des « Amish de la longévité »

Certains imaginent qu’une société où il est possible de ne pas vieillir se diviserait en deux camps : les modernes et les traditionnels. En fait rien n’oblige les « traditionnels » aujourd’hui à avoir l’électricité, l’eau courante, le chauffage central, un accès internet et un smartphone. Tout cela est radicalement « anti-naturel » et tout cela est très utile et est devenu ou est en train de devenir universellement utilisé. Rien n’oblige non plus les « traditionnels » à consulter un médecin quand ils sont gravement malades et pourtant presque tout le monde le fait. Rien n’obligerait à utiliser une thérapie de longévité. Dans un monde où des thérapies de longévité sont disponibles, il est probable qu’elles seront utilisées par presque tous avec ce petit vertige que nous ressentons parfois en voyant un documentaire historique ou en lisant un livre du passé où tout était tellement différent et, par bien des aspects, atroce.

Les représentants des religions ne s’y opposeraient pas plus qu’ils ne se sont opposés aux vaccinations, aux accouchements sans douleur, au don d’organes une fois qu’ils ont été répandus,… Bien sûr, rien de tout cela n’est explicitement prévu par les livres sacrés, mais rien de tout cela n’est explicitement interdit non plus. Les livres sacrés parlent de l’obligation de mourir de vieillesse et s’il n’y en a plus? Ces livres disent aussi que l’esclave doit obéir à son maître. Quand la mort de vieillesse n’existe plus, quand l’esclavage n’existe plus, il ne faut plus s’y soumettre. L’égalité et la longévité sont des concepts pour lesquels les grandes religions peuvent trouver aisément des bases théologiques.

Cependant, il y aurait probablement quelques personnes souhaitant continuer à vieillir. Dans les sociétés à tradition démocratique, cette diversité n’est pas seulement gérable, elle est souhaitable. Les Amish de l’est des Etats-Unis nous enseignent bien des choses sur une population réduisant l’accès à certaines technologies, des personnes qui souhaitent vieillir quand c’est évitable nous enseigneront les conséquences sociales, sanitaires et morales d’un monde par ailleurs disparu.

Beaucoup plus d’investissements pour la santé et la sécurité des personnes

Une vie humaine a un prix, même si cela s’envisage avec des précautions oratoires pour ne pas choquer. Il est même un terme technique très utilisé pour calculer cela, il s’agit des QALY pour « quality-adjusted life year ». C’est le nombre d’années à vivre pour une personne, pondéré par la qualité de la vie. Si le vieillissement est négligeable, la valeur financière d’une vie humaine est multipliée par un facteur 10 ou plus dans un pays comme la France. D’une part, l’espérance de vie se mesurerait non plus en décennies mais en siècles, d’autre part, la majorité des maladies incapacitantes (notamment la maladie d’Alzheimer) disparaitraient ou deviendraient exceptionnelles.

Ceci signifie, en termes purement économiques, qu’une vie humaine a plus de valeur et que les efforts financiers pour épargner des vies sont bien plus « rentables » économiquement. Autrement dit, plus d’argent et d’énergie seraient investis pour éviter les morts sur la route, pour limiter les accidents du travail et les accidents domestiques, pour prévenir les décès lors de catastrophes naturelles parce que la vie serait plus précieuse que jamais. Certains argumentent même que la vie sera trop précieuse, que les individus n’oseraient plus prendre aucun risque. Cela n’est pas inimaginable que certains se sentiront bridés par des mesures de sécurité, tout comme bien des citoyens ont rejeté par le passé les limitations de vitesse sur la route, les mesures anti-incendie. Mais il s’agit d’abord de protéger la collectivité contre les agissements de quelques-uns dans un monde dans lequel les progrès technologiques sont source de progrès sociaux mais entraînent également des risques considérables.

Beaucoup plus de moyens financiers

Cette lettre part de l’hypothèse qu’une thérapie de longévité sera peu coûteuse. Les raisons pour l’expliquer sont qu’une thérapie s’appliquant à des milliards de personnes a un coût marginal par individu très faible et que les thérapies médicales quelles qu’elles soient sont beaucoup plus coûteuses à découvrir qu’à appliquer. La recherche coûte cher, l’infrastructure médicale coûte cher, les sociétés pharmaceutiques et certains corps médicaux sont largement rémunérés mais les produits et thérapies eux-mêmes ont un coût très raisonnable.

Les dépenses seraient faibles alors que les économies en matière de coûts de santé seraient immenses. En effet, jusqu’à présent, l’essentiel des coûts de santé sont concentrés sur les traitements dus aux maladies liées au vieillissement durant les dernières années de vie. Dans l’hypothèse envisagée, cela ne concernera plus qu’un petit nombre de personnes. Les économies ne comprendront pas seulement les soins de santé proprement dits mais également une réduction radicale des coûts pour les maisons de retraite, des accompagnements de personnes âgées, des mesures permettant aux familles de s’occuper de parents en souffrance…

Certains s’inquiètent d’une possible « interdiction de choisir de vieillir” en raison des coûts économiques. En fait, vu les économies considérables qui seraient réalisées, les moyens financiers libérés pour ceux qui choisiraient de continuer à vieillir seraient considérables. Ces moyens financiers, dans un monde inchangé par ailleurs, permettraient également de libérer des millions de personnes qui pourraient se consacrer à d’autres tâches socialement utiles comme l’assistance aux personnes en difficulté psychologique. Cela permettrait également l’organisation d’une véritable « civilisation des loisirs » où les citoyens pourraient prendre du bon temps avec leurs « jeunes » parents plutôt que d’avoir la mauvaise conscience de les « abandonner » pendant les vacances.

Vie plus précieuse psychologiquement

Mourir, cela n’est rien, mais voir les autres mourir, oh! voir mourir… aurait pu écrire Brel. L’être humain est le seul être vivant conscient de l’inéluctabilité de sa fin. Nous sommes confrontés à notre propre finitude et aussi à celle de tous ceux que nous aimons, nos enfants, nos parents, nos proches. Nous ne pouvons survivre psychologiquement à cette situation qu’en nous ménageant des espaces d’indifférence. Mais nous ne voulons ou ne pouvons pas laisser voir cette indifférence par convention sociale ou pour ne pas faire souffrir des proches.

Une vie beaucoup plus longue rendrait évitable ou nettement plus rare cette attitude schizophrénique. Plus nous vivrons longtemps, plus les proches ou les moins proches vivront longtemps, plus nous pourrons nous aimer, nous entraider. Pour mieux comprendre ce monde plus agréable possible, rappelons-nous combien les nourrissons et jeunes enfants étaient bien moins « précieux » qu’aujourd’hui. Ce n’est pas parce que nos aïeux étaient incapables d’aimer leurs enfants qu’ils s’y attachaient beaucoup moins, mais c’est parce que les enfants très souvent ne survivaient pas. S’y attacher, c’était souffrir trop. Aujourd’hui, nous nous aimons et respectons bien plus les uns les autres qu’hier, mais pas encore assez. Un monde sans sénescence serait un monde où nous serions plus humains, plus empathiques, plus compassionnels, plus facilement et plus longtemps.

Vie plus calme, plus épanouie, moins stressante

L’être humain vit à la fois comme s’il allait vivre toujours et comme s’il allait disparaître très bientôt. Nos comportements sont fréquemment illogiques. Parfois, nous brûlons la chandelle par les deux bouts, parfois nous économisons comme si nous allions vivre des siècles. Une vie sans sénescence sera plus calme, plus épanouie et sans urgences dues à notre fin et à celle des autres. Certains s’inquiètent que les couples ne seront plus « pour la vie » parce que la vie sera beaucoup plus longue. Il semble quand même préférable de voir un couple interrompu par une rupture que par la mort d’un partenaire, considérant d’ailleurs que, déjà aujourd’hui, la plupart des couples ne durent pas « pour la vie ».

Des enfants plus désirés et moins nombreux

Nous savons déjà qu’une vie plus longue est étroitement corrélée à une diminution du nombre d’enfants par femme. Une thérapie contre la sénescence permettrait aux femmes une fertilité sans limitation de durée. Cela signifierait très probablement que les femmes auraient à court et moyen terme beaucoup moins d’enfants.

Cela signifierait aussi que les enfants seraient plus désirés et plus aimés, que jamais dans l’histoire de l’humanité. Plus aimés parce que moins nombreux, plus aimés parce que nous saurons que nous pourrons vivre ensemble plus longtemps.

Conclusion

Vivre mieux, plus longtemps et bonne santé: qui serait contre ? Presque personne. Pourtant à l’idée que nous pourrions vivre beaucoup mieux, beaucoup plus longtemps et en nettement meilleure santé, beaucoup s’inquiètent. Pourquoi ? Pas parce que c’est « anti-naturel », « mal », « immoral », mais parce que l’espoir d’un futur meilleur rend la réalité du présent difficile à supporter. Pourtant, il nous faut accepter et profiter du présent tant que nous ne pouvons pas le changer. Et il nous faut améliorer la communauté humaine, lorsque cela devient possible, comme l’ont fait avant nous des milliers de générations.


La bonne nouvelle du mois : Budget européen pour la recherche en croissance et annonce par le commissaire européen Carlos Moedas de projets « Moonshot » notamment de santé


Les annonces positives pour la recherche se multiplient, particulièrement dans le domaine de la santé et avec des moyens publics.

La commission européenne a annoncé pour la période 2021-2027 un budget pour la recherche atteignant 100 milliards d’euros, c’est une croissance importante.

Carlos Moedas, Commissaire européen à la recherche, à l’innovation et à la science a notamment précisé à ce sujet la nécessité de projets passionnants de type «moonshot» pour faire rayonner l’imagination des Européens sur l’avenir et les inciter à se sentir inspirés plutôt que pessimistes. Il a donné à Euronews comme exemple la volonté de guérir la maladie d’Alzheimer ou de transformer le cancer en maladie chronique. Lors du Horasis Global Meeting au début du mois de mai, il a parlé de la façon dont nous avons doublé l’espérance de vie au cours des 100 dernières années et a affirmé qu’il était « incroyablement excitant » de penser à la prochaine innovation passionnante qui transformera nos vies.


Pour en savoir plus:

 

Au-delà de 115 ans, votre ticket ne sera-t-il jamais plus valable ? La mort de la mort. Avril 2018. N° 109. 

 

Pour les hommes de science, la mort n’est pas un destin inévitable, mais simplement un problème technique (…). Nos meilleurs esprits ne perdent pas leur temps à essayer de donner un sens à la mort (…). Nous sommes maintenant au point où nous pouvons être francs à ce sujet. Le projet de la révolution scientifique est de donner la vie éternelle à l’humanité. Même si tuer la mort semble un objectif lointain, nous avons déjà réalisé des choses inconcevables il y a quelques siècles (…). Quelques érudits sérieux suggèrent que d’ici 2050, certains humains deviendront a-mortels (…). En l’absence de traumatismes graves, leur vie pourrait être prolongée indéfiniment. Sapiens: A Brief History of Humankind, page 298. 2014. Yubal Noah Harari (traduction).


Thème du mois. Le mystère des supercentenaires s’épaissit


Description de la situation

La durée de vie moyenne continue à s’allonger même dans les pays où les hommes, et les femmes vivent plus de 80 ans. Il y a plus d’octogénaires, de nonagénaires et de centenaires que jamais dans l’histoire de l’humanité, tant en chiffres absolus qu’en pourcentage.

Par contre, la durée de vie maximale n’augmente pas. La personne qui a vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité est Jeanne Calment. Elle est décédée à l’âge de 122 ans en 1997. Au cours de ce mois d’avril, la doyenne de l’humanité, qui avait 117 ans, est décédée. Étant donné que la femme la plus âgée vivante aujourd’hui n’a « que » 116 ans, cela signifie qu’il faudra encore au moins 7 ans pour que la durée de vie humaine maximale jamais atteinte soit dépassée.

Plus généralement, le nombre de supercentenaires, c’est-à-dire les personnes atteignant 110 ans et plus, reste extrêmement faible et la durée moyenne de survie de ces personnes exceptionnelles est très courte, moins d’un an. La probabilité pour un centenaire d’atteindre 110 ans semble même moindre aujourd’hui qu’à la fin du 20è siècle.

Le fait que la durée moyenne de vie augmente mais que la durée maximale stagne a pour conséquence que nous avons de plus en plus une « rectangularisation » des courbes de décès qui se concentrent sur une tranche d’âge assez étroite. Pour les femmes en France, l’âge de la fin de vie se déroulera, dans la majorité des cas, entre 85 et 100 ans. Pour les hommes, ce sera trois ou quatre ans plus tôt, après 80 ans jusqu’aux environs de 95 ans. Il est remarquable de constater que cette concentration de l’âge des décès est mondiale. C’est dans les pays pauvres ou la durée de vie moyenne est courte que la croissance de la durée de vie est la plus rapide (notamment dans les pays de l’Afrique subsaharienne) et c’est dans les pays les plus riches où la vie est plus longue que la croissance est la plus lente avec des signes de stagnation. De ce point de vue, le monde n’a jamais été aussi égalitaire.

En mars 2013. Une première lettre sur ce thème, intitulée Le mystère des supercentenaires était parue. Cinq années plus tard, une polémique scientifique et médiatique s’est développée suite à la publication en 2016 d’un article de Nature relatif à une limite constatée de la durée de vie autour de 115 ans. Cet article vise à établir qu’il y a une durée extrême de vie aux alentours de cet âge. L’idée à été contestée par certains longévitistes et appréciée par certains bioconservateurs. Dans les deux cas, les commentateurs omettent généralement de citer une phrase, courte mais importante, de l’article qui précise que cette limite semble absolue en l’absence de progrès médicaux.

Comment se fait-il que tous les progrès de la médecine de ce siècle et de la fin du siècle passé, toutes les accélérations technologiques, échouent à allonger la durée de vie de nos concitoyens les plus âgés ? Nous analysons le patrimoine génétique de millions de personnes et comprenons de plus en plus la complexité de l’humain, nous guérissons plus souvent du cancer, la mortalité due aux maladies cardiovasculaires décroît … mais être supercentenaire aujourd’hui est un évènement aussi exceptionnel qu’être centenaire dans la Grèce antique où les premiers empires chinois. Pourquoi ?

Explications envisagées non liées à l’état de santé proprement dit

Jusqu’à un certain âge, beaucoup de gens cherchent à être perçus comme jeunes. Mais pour les personnes les plus âgées, c’est souvent le contraire, elles cherchent à se faire passer pour plus âgées.

Les affirmations concernant de très longues vies de 130 ans et plus sont quasiment certainement fausses. En effet, comme la mortalité à 110 ans est d’au moins 50 % chaque année, il y a statistiquement moins d’une chance sur un million pour une personne de 110 ans d’atteindre 130 ans. Or, il n’y a que quelques centaines de personnes de 110 ans et plus dans le monde.

Il est presque certain que la plupart des prétendus supercentenaires du passé aient été des personnes moins âgées qui se sont « vieillies » pour apparaître plus sages ou pour bénéficier d’avantages matériels (échapper à la conscription, recevoir une pension, …). Il est d’ailleurs à noter que les affirmations extrêmes concernent souvent des hommes. Or, plus de 80 % des centenaires sont des femmes et l’homme le plus âgé au monde actuellement n’a que 112 ans.

La longévité extrême était donc exagérée autrefois mais ceci n’explique pas les stagnations constatées par le Gerontology Research Group (GRG). Depuis une trentaine d’années, ce groupe recense les supercentenaires en vérifiant les preuves des dates de naissance. Les revendications « fantaisistes » sont donc écartées. Logiquement, toutes choses étant égales par ailleurs, il devrait y avoir une croissance plus que proportionnelle du nombre constaté de supercentenaires étant donné que l’administration d’il y a 110 ans (attestant des supercentenaires vivants aujourd’hui) était généralement meilleure que celle d’il y a 130 ans (attestant des supercentenaires qui vivaient il y a 20 ans). Ce n’est pas le cas, même si l’âge moyen de décès des supercentenaires « vérifiés » croît lentement.

Certains ont évoqué « l’accident » statistique ». Jeanne Calment serait un phénomène isolé et les supercentenaires ne sont pas suffisamment nombreux pour pouvoir tirer des conclusions. Cette explication devient de moins en moins défendable au fur et à mesure que le nombre de centenaires grandit alors que celui des supercentenaires stagne. Ainsi en France il y avait 8.063 centenaires en 2000 et 16.255 en 2018. Le nombre de supercentenaires vérifiés par le CRG est lui passé de 8 en 2000 à seulement 3 en 2014 (le nombre réel de supercentenaires est probablement plus élevé).

Explications liées aux conditions de santé

Ce qui ne te tue pas te renforce est une maxime entendue parfois en psychologie et dans le domaine de la santé. Si cette idée est correcte, il est envisageable que les personnes devenant supercentenaires au cours des dernières décennies aient été moins soumises à des épisodes difficiles les renforçant et donc soient moins résistantes à l’extrême vieillesse.

À l’inverse, il est envisageable que les personnes décédées au siècle passé aient été favorisées pour tout ou partie de leur vie par rapport aux supercentenaires nés plus tard. Ceci pourrait avoir un impact positif pour leur durée de vie.

Dans les deux cas, il faut d’abord établir quelles circonstances chronologiquement spécifiques sont à considérer sachant qu’il ne doit pas s’agir d’un évènement géographiquement limité puisque le phénomène « d’assèchement » se produit du Japon à la France en passant par les USA et la Russie.

En ce qui concerne l’hypothèse du renforcement par des circonstances difficiles, il semble plutôt que des conditions de vie très dures bien avant la vieillesse diminuent l’espérance de vie plutôt que de l’augmenter.

En ce qui concerne l’hypothèse de circonstances qui se seraient dégradées par rapport au passé, elle apparaît improbable car globalement le 20ème siècle à été bien plus caractérisé par des progressions que par des régressions. Mais il est un domaine où l’évolution comprend d’importants aspects négatifs, c’est celui de la pollution, particulièrement la pollution atmosphérique, notamment les particules fines.

La pollution n’est pas apparue récemment, très loin de là. Mais beaucoup de sources de pollution, dont les particules fines et les radiations nucléaires, sont plus récentes et présentes partout dans le monde à des doses variables.

Si ces pollutions sont nuisibles à la santé de manière cumulative au cours d’une vie, cela pourrait expliquer le phénomène étudié.

Ce raisonnement très inquiétant a au moins deux faiblesses :

  • Il n’explique pas en quoi la pollution aurait des conséquences fortement négatives pour les supercentenaires mais pas pour les centenaires.
  • Il ne semble pas confirmé par l’examen de l’origine des populations de supercentenaires. Le Japon et la France par exemple qui comptent de nombreux supercentenaires ne sont pas particulièrement dépourvus de pollution atmosphérique.

Une maladie inconnue ?

Il reste l’hypothèse d’une affection touchant surtout les personnes très âgées. À l’appui de ce concept, il faut noter que beaucoup de centenaires et supercentenaires décèdent d’une affection peu connue, l’amylose sénile de la transthyrétine, maladie qui se caractérise par l’accumulation d’un certain type de protéine (la transthyrétine) dans le coeur.

Ici aussi, il reste à expliquer :

  • Pourquoi cette maladie aurait-elle plus de conséquences létales aujourd’hui qu’hier.
  • Pourquoi cette maladie aurait des conséquences négatives plus importantes pour ceux atteignant les âges les plus élevés mais moins fortes pour les « simples » centenaires.

La solution du mystère appartient aux chercheurs

La conclusion temporaire de cette lettre est que la communauté scientifique ignore à ce jour pourquoi le nombre et l’âge maximal des supercentenaires stagne voire diminue.

Imaginons que les bâtiments de nos villes se dégradent de moins en moins vite durant un siècle puis se mettent à s’abîmer plus rapidement, cela aurait probablement un plus grand impact sur l’opinion publique que la situation décrite dans cette lettre.

Il est vrai qu’un bâtiment de 100, 120 ou 150 ans bien entretenu peut-être comme neuf.

Ce dont nous pouvons être quasiment certains, c’est qu’il faudra des progrès médicaux considérables et « de rupture » pour franchir le « plafond de verre » des 115 ans. Des « ravalements de façade », une médecine classique ne suffiront pas. La « rectangularisation de la courbe des décès » – qui a été citée en début d’article – a pour conséquence que ces progrès seront utiles à de plus en plus de citoyens.


La bonne nouvelle du mois : de plus en plus de mises en commun de données publiques de santé à des fins de recherche


Le 16 avril 2018, la Commission européenne a annoncé que 13 pays européens ont signé une déclaration pour permettre l’accès transfrontalier à leurs informations génomiques. Ceci est une étape très importante pour le partage des données génomiques utile à la recherche médicale.

En France, suite à un large débat relatif à l’utilisation de l’intelligence artificielle, le Président Macron, présentant au Collège de France le rapport intitulé Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne a annoncé la création d’un hub des données de santé en déclarant notamment Nous avons un véritable avantage, c’est que nous possédons un système de santé très centralisé avec des bases de données d’une richesse exceptionnelle. Elles sont parmi les plus importantes au monde et mettent à notre portée des découvertes scientifiques majeures.

La prise de conscience par les autorités publiques dans l’Union européenne de l’utilité pour la recherche médicale de la mise en commun des données des citoyens (en préservant l’anonymat) est un pas considérable pour la recherche médicale contre la sénescence.


Pour en savoir plus :

L’intelligence artificielle pour la longévité. La mort de la mort. Mars 2018. N° 108.

La première personne qui atteindra l’âge de 200 ans est déjà née. Le futur est énorme. Il n’a jamais été plus existentiellement transformatif (traduction). Stephen Fry, écrivain, humoriste, acteur et réalisateur britannique, mars 2018.


Thème du mois. En quoi l’intelligence artificielle (faible ou forte) pourrait-elle aider contre le vieillissement ?


Il existe bien des définitions de ce qu’est l’intelligence artificielle. Dans le présent texte, nous examinerons toutes les applications informatiques capables d’effectuer des opérations autrefois accessibles uniquement à des humains. Le terme intelligence artificielle « forte » ou « générale » (mais pas nécessairement consciente) est utilisé pour désigner un système informatique à la capacité globale approchant ou dépassant la capacité humaine.

Il existe actuellement d’innombrables applications informatiques avec une intelligence spécifique dépassant l’humain dans des domaines de plus en plus nombreux et larges, mais aucune forme d’intelligence artificielle générale.

Réduire les risques de sénescence peut aussi contribuer à réduire d’autres risques pour l’humanité.

Il en va de l’intelligence artificielle comme de bien d’autres avancées technologiques. Elle peut être facteur de progrès ou facteur de destructions humaines.

Mais, concernant l’intelligence artificielle, il y a plus grave, comme c’est le cas pour quelques autres avancées technologiques telle l’énergie nucléaire. Dans le pire des cas, ce n’est pas seulement la vie de femmes et d’hommes qui est en jeu, c’est le sort de l’humanité dans sa totalité. Des scientifiques et personnalités majeures dont Elon Musk, Bill Gates et Stephen Hawking se sont interrogés à ce sujet. Ils ont été inspirés notamment par Nick Bostrom, un philosophe, suédois vivant à Oxford et auteur du livre Superintelligence, chemins, dangers et stratégies.

Nick Bostrom n’est pas que pessimiste, ou plus précisément extrêmement prudent, vis-à-vis des progrès technologiques. Il est aussi l’un de ceux qui estiment que nous pourrons un jour vaincre les maladies liées au vieillissement grâce aux progrès scientifiques. Il avait exprimé cette idée, de manière imagée, dès 2005, dans sa Fable du Dragon-Tyran.

Vivre plus longtemps et échapper aux risques dits « existentiels » (qui pourraient mettre fin à l’histoire de l’humanité) forment en fait deux préoccupations fondamentales complémentaires.

Dans la présente lettre, nous considérons qu’utiliser l’intelligence artificielle prioritairement pour tout ce qui rend l’humain plus résistant aux maladies et aux agressions est une opération potentiellement positive pour cet objectif-là et également pour diminuer les risques de destruction.

En effet, parmi les caractéristiques majeures de l’intelligence artificielle, il y a le fait que cette intelligence n’est pas nécessairement :

  • combinée à un sens moral considérant la vie humaine comme une valeur fondamentale;
  • dotée de « bon sens », c’est-à-dire d’une réflexion dont serait spontanément capables la plupart des êtres humains normalement informés.

Un exemple concret : il relève « du bon sens » que s’occuper des plantes pour qu’elles ne meurent pas de soif ne signifie pas détruire les plantes, même si ainsi elles ne mourront pas de soif. Or, ce bon sens n’est pas nécessairement évident pour une machine « super-intelligente ».

Une utilisation de l’intelligence artificielle centrée sur la santé devrait diminuer la probabilité de l’apparition de conséquences catastrophiques puisque l’objectif final sera l’amélioration sur la longue durée du bien-être humain. Ceci obligera notamment à théoriser de manière détaillée tout ce qui est bon pour la santé, la résilience et l’intégrité des êtres humains et pourrait aussi nous « déshabituer », nous décourager de recherches potentiellement nuisibles.

L’intelligence artificielle pour accélérer les recherches de produits (biologiques ou non) et pour automatiser des expérimentations

Le coût du séquençage est en diminution considérable, mais reste encore relativement élevé pour ce qui concerne des espèces non encore « déchiffrées ». C’est une des raisons pour lesquelles bien des espèces vivantes à la longévité très courte ou très longue n’ont pas encore été séquencées.

La durée maximale de vie parmi les millions d’espèces vivantes varie de quelques jours à plusieurs siècles et même plusieurs millénaires pour certaines plantes. À l’intérieur d’une espèce donnée, la durée maximale de vie varie également de manière importante. Il reste encore bien des recherches à effectuer pour comprendre les gènes concernés par la sénescence, leurs interactions et ensuite explorer les raisons biologiques de ces différences et les thérapies géniques envisageables.

Par ailleurs, de très nombreuses substances et combinaisons de substances utilisées dans le domaine médical pourraient avoir un impact favorable à la longévité. L’outil informatique permet de détecter ce qui est le plus prometteur en se basant notamment sur l’analyse de la littérature scientifique et sur des projections « automatisées » de ces analyses. Cela pourrait être un champ d’exploration couvert par IBM Watson, qui actuellement travaille surtout pour le diagnostic médical. C’est aussi un des champs d’investigation couverts par la société Insilico Medicine.

Au niveau des laboratoires eux-mêmes, de très nombreuses recherches de longévité se font avec des animaux (drosophiles, mouches,…). Les applications informatiques et également robotiques permettent d’envisager d’accélérer le traitement et de diminuer les coûts tant pour le soin des animaux que pour la mesure de tous les paramètres. Par exemple, pour des souris, il devrait être possible d’entretenir les animaux et de mesurer exactement certaines modifications du métabolisme sans intervention humaine (et également avec moins de risques d’erreur et de subjectivité).

Enfin, dans un avenir plus lointain, il est envisageable d’introduire dans le corps humain des outils de taille nanotechnologique comportant une application logicielle (ou reliés à un réseau).

L’intelligence artificielle pour simuler les recherches sur l’animal

Les cellules, les neurones, les organes et les interactions entre eux peuvent être de plus en plus simulés de manière informatique. Ceci est utile du point de vue du coût, de la rapidité et également du bien-être animal. Actuellement, l’invertébré le plus étudié du monde animal, le nématode C. Elegans est également l’animal pour lequel les simulations informatiques sont les plus développées, notamment pour ce qui concerne les 302 neurones de son (minuscule) système nerveux.

L’intelligence artificielle pour simuler les recherches sur l’humain

Il en va de l’humain comme du reste du vivant pour l’intérêt de la simulation, mais avec une complexité et un intérêt plus grands.

Il n’y a pas de projet de simulation globale d’un être humain, mais bien des études portant sur certains organes. Dans le domaine neurologique, les travaux actuels les plus importants de simulation sont ceux réalisés par le Human Brain Project européen (et le projet similaire américain). Il s’agit de comprendre le mécanisme du cerveau dont, entre autres, la maladie d’Alzheimer. En l’état actuel, les chercheurs sont encore très éloignés d’une représentation neurone par neurone et synapse par synapse du cerveau. L’organe le plus complexe de l’univers connu n’est pas encore à la portée des informaticiens les plus avancés.

Et ce à quoi nous n’avons pas encore songé

Les progrès de la médecine, de la science, de l’intelligence artificielle ne s’arrêteront pas à ce que nous imaginons aujourd’hui, rêves ou cauchemars. Nous irons au-delà.


La bonne nouvelle du mois : Trois jours de conférence internationale pour « défaire » le vieillissement


Les 15, 16 et 17 mars, des centaines de chercheurs, mais aussi des activistes, des journalistes et des investisseurs venus du monde entier se sont rencontrés à Berlin pour la conférence Undoing Aging. Ils ont collectivement exploré les mécanismes de vieillissement de l’être humain et les pistes pour le ralentir voire le renverser.

À la fin de la conférence, il a été annoncé que l’événement serait dorénavant annuel. Il reste à espérer que cette conférence ne soit plus nécessaire que pendant quelques années!  


Pour en savoir plus:

 

 

Les gènes de la longévité. La mort de la mort. Février 2018. N° 107. 

Le vrai sujet, c’est la lutte contre la vieillesse et la mort (…)  augmenter vraiment la longévité humaine. (…) On a  augmenté l’espérance de vie notamment grâce aux antibiotiques, grâce à une hygiène bien meilleure, aux progrès de la médecine. En 1900, par exemple, l’espérance de vie des français était de 45 ans. Aujourd’hui, en moyenne, elle est de 82 ans. Mais on meurt toujours à peu près à la même date. En gros, on meurt toujours à peu près autour de 100 ans. (…) Quel est le but philosophique maintenant ? L’idée, c’est de fabriquer une humanité qui soit jeune et vieille à la fois. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », réconcilier les deux. Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale française, philosophe (Arte, 8 février 2017)


Thème d​u mois: Génétique et durée maximale de vie


Introduction

Au commencement était le gène, pourrions-nous peut-être écrire de l’apparition de la vie. Encore que les premières étapes restent mystérieuses.

Nous sommes probablement tous les descendants, incroyablement chanceux, d’un ancêtre commun porteur d’ADN et apparu, selon les connaissances actuelles, il y a environ 3,8 milliards d’années.

Pendant la moitié de l’histoire de la vie, nos lointains ancêtres qui n’étaient encore ni des plantes ni des animaux ne mouraient probablement pas de vieillesse. Ils se divisaient simplement lorsque les circonstances étaient favorables ou mouraient lorsque les nutriments venaient à manquer ou lorsque l’environnement se modifiait trop.

Puis la vie se complexifia, les êtres vivants devinrent multicellulaires. Petit à petit, le patrimoine génétique, se transmit d’une génération à l’autre, non plus par simple division, mais par fusion de matériels génétiques. Ceci deviendrait beaucoup plus tard la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. Les individus ainsi produits se mirent à vieillir (s’ils avaient la chance de ne pas mourir avant). Chaque génération donnait naissance à de nouveaux êtres jeunes, mais les animaux (et les plantes) eux-mêmes devenaient « jetables ».

Beaucoup plus tard encore, il y a environ 500 millions d’années, les vertébrés apparurent. Puis les premiers primates naquirent, il y a 50 millions d’années. Les premiers êtres qui, habillés, ne vous auraient pas surpris dans le métro, sont nés il y à peine 300.000 ans, un dix-millième de l’histoire de la vie sur terre.

Nous, êtres vivants, nous sommes si différents, mais aussi si semblables. De la plus modeste bactérie née, il y a des centaines de millions d’années, au plus grand des cétacés vivant aujourd’hui, nous sommes tous déterminés notamment par “l’informatique” de la vie, les 4 molécules adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou thymine (T) qui composent l’acide désoxyribonucléique.

L’universalité génétique du vieillissement

Alors que dans le règne du végétal, le vieillissement est loin d’être universel (bien des arbres n’ont pas de sénescence), pour les animaux, il y a très peu d’exceptions et pour les mammifères, nul n’y échappe.

A quoi sert ce vieillissement dans les lois de la nature? Nous n’en sommes pas certains, mais le plus vraisemblable, c’est que la mort de vieillesse permet de garder une diversité génétique. Si les animaux ne mouraient pas de vieillesse, seul un petit nombre, très adapté génétiquement survivrait. Cela réduirait la diversité. Or, dans la nature, sur le long terme, les conditions environnementales changent assez souvent. Lors de ces changements, les espèces animales les plus parfaitement adaptées, donc trop uniformes (celles qui ne vieillissent pas) sont alors « éliminées ».

C’est aussi la diversité génétique qui explique la reproduction sexuée. Sans reproduction sexuée, les êtres vivants seraient trop semblables.

Mais, dans la nature, certains animaux peuvent se reproduire sans sexe (même certains vertébrés) alors que le vieillissement semble presque universel. Il y a donc une composante qui reste mystérieuse.

Bien sûr, nous ne sommes pas totalement dépendants de nos gènes. Mais en matière de longévité maximale, de durée maximale de vie, ce sont bien nos gènes qui la déterminent pour l’essentiel.

Les durées de vie maximale varient considérablement d’une espèce à l’autre. Un être humain qui vivrait dans des conditions parfaites au point de vue psychologique et physiologique n’aurait quasiment aucune chance de vivre plus de 122 ans. Une souris, elle, a bien moins de chance. Même placée dans un « paradis pour souris », elle ne vivra jamais plus de 5 ans. Le mammifère dont la longévité est la plus importante est la baleine boréale. Elle peut vivre au moins deux siècles, peut-être plus.

Quels sont les gènes responsables du vieillissement ?

Le métabolisme d’un être humain est d’une complexité gigantesque. L’organe, par certains côtés, le plus fragile, le cerveau, est parfois qualifié d’objet le plus complexe de l’univers. Et pourtant, parmi ces extraordinaires enchevêtrements, certains mécanismes accélérant ou ralentissant considérablement le vieillissement tiennent probablement dans quelques lettres de l’ADN. Voici quelques éléments à ce sujet:

Il existe un certain nombre de gènes qui sont liés au vieillissement et qui sont présents dans de nombreuses espèces animales. Ainsi, les gènes FOXO et ApoE, qui se retrouvent chez différentes espèces animales dont les humains, influencent la longévité.

Parmi les caméléons vivant à Madagascar, Furcifer Labordi est le vertébré terrestre à la vie la plus courte du monde (4 ou 5 mois). Un autre caméléon de plus grande taille, Calumma Parsonii, biologiquement et donc génétiquement fort proche, peut vivre une dizaine d’années. Autrement dit, de petites modifications génétiques peuvent produire des grandes différences sur la durée de vie.

Le chromosome déterminant le sexe détermine également la durée maximale de vie. Le doyen de l’humanité est toujours une doyenne. La femme la plus âgée au monde actuellement a 117 ans alors que l’homme le plus âgé au monde n’a « que » 112 ans.

La longévité humaine a une composante génétique forte, surtout pour les durées de vie maximale. Les membres de familles de centenaires ont une probabilité plus forte de le devenir eux-mêmes.

Malheureusement, une étude effectuée sur des supercentenaires (personnes vivant 110 ans et plus), n’a pas (encore) permis de détecter des caractéristiques génétiques communes de la longévité humaine.

Comment changer les gènes responsables du vieillissement ?

Le séquençage du génome des femmes, des hommes, des êtres vivants qui nous composent, des animaux et des autres êtres vivants est de plus en plus simple, de plus en plus rapide, de plus en plus précis et de moins en moins cher.

Plus récemment, les progrès potentiels pour les thérapies géniques, notamment via les techniques de type CRISPR Cas9 se sont également accélérés. Des maladies d’origine génétique peuvent déjà être soignées.

Par contre, nous sommes encore loin d’une thérapie génique pour permettre une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle pour la recherche médicale permettent des recherches pour la détermination toujours plus précise des séquences génétiques liées au vieillissement chez les êtres vivants en général et chez les humains en particulier. Lorsque les avancées seront suffisantes pour déterminer les thérapies utiles, il faudra les tester in vitro, puis sur l’animal et puis enfin sur des humains. Dans ce domaine comme dans d’autres, il sera trop tard pour des millions de femmes et d’hommes aujourd’hui très âgés. L’avenir dira qui sont les lecteurs qui pourront éventuellement en bénéficier (s’ils le souhaitent).


La bonne nouvelle du mois : Un document de 800 pages résume les évolutions positives de la recherche pour la longévité


Ce document intitulé The Science of Longevity a pour objectif de détailler les diverses technologies et industries émergentes relatives au vieillissement humain, à la longévité en bonne santé et aux questions connexes. Il a été réalisé notamment par la Biogerontology Research Foundation.

En 2018, le vieillissement reste un adversaire anonyme dans une guerre non déclarée écrivent les auteurs. Cela sera moins le cas pour les scientifiques, décideurs politiques, représentants d’autorités de réglementation, investisseurs et autres responsables qui prendront le temps de parcourir ce petit millier de pages d’information.

Le rapport est disponible intégralement et gratuitement en ligne (attention fichier de 58 mégas). D’autres rapports suivront.


Pour en savoir plus: