Lettre mensuelle. La mort de la mort. N° 151. Octobre 2021. Théorie de la gestion de la terreur.

Nous avons depuis longtemps (…) touché Mars, la Lune, exploité l’énergie nucléaire, reproduit artificiellement l’ADN, et nous avons maintenant les moyens biochimiques de contrôler les naissances ; pourquoi la mort elle-même, « le dernier ennemi », devrait-elle être considérée comme sacrée et au-delà de toute conquête ? Alan Harrington, romancier, 1977 (traduction de The immortalist).


Thème du mois : Théorie de la gestion de la terreur


Introduction

La Terror Management Theory (TMT) a été élaborée dans les années 1980 par Jeff Greenberg, Tom Pyszczynski et Sheldon Solomon.

Selon ces auteurs, tous les êtres humains sont confrontés à deux réalités.

D’une part, l’humain, comme tous les animaux, possède un instinct qui le pousse à se protéger et à chercher à survivre. Et d’autre part, il est doté d’un niveau supérieur de conscience de soi qui lui permet de comprendre, contrairement aux autres animaux, qu’il est en vie et qu’il finira par mourir un jour.

Cela implique indéniablement la frustration du désir de rester en vie. C’est à la fois effrayant et motivant, et représente un conflit  psychologique central et unique chez l’être humain.

Mais cette théorie, déjà abordée dans une lettre La mort de la mort de mai 2010, nous apprend également que l’homme, pour faire face à la peur de la mort, a su développer des mécanismes de défense. Sachant que nous n’allons pas subsister en tant qu’individu, nous nous identifions à la collectivité, nos buts de survie deviennent des buts collectifs. Dans une vision globalisante, nous pourrions dire que toute forme d’art, de culture, de tradition, de construction collective à long terme participe de ce mécanisme. Il s’agit de valoriser sa culture d’appartenance qui permet de renforcer l’estime de soi dans la conviction qu’en tant qu’individu nous contribuons à construire ce sens.

Ce mécanisme a malheureusement aussi des aspects négatifs. En renforçant les valeurs de groupe, il incite au rejet de ceux qui sont différents. Ici, comme dans d’autres domaines, la peur est donc mauvaise conseillère, conseillère de repli non pas sur soi, mais sur son groupe.

Comment le Covid-19 a-t-il influencé notre réaction face à la mort ?

La pandémie de coronavirus nous a rappelé à quel point nous sommes vulnérables, particulièrement en avançant en âge. Un fait que nous chassons de notre esprit quand les temps sont moins menaçants.

À travers le monde, nous avons observé des comportements de solidarité, mais aussi des comportements de repli : certains se sont mobilisés pour aider les autres (par exemple fabriquant des équipements de protection pour les soignants ou organisant des collectes de fonds), d’autres ont stocké des boîtes de conserve et du papier toilette.

Certaines études récentes montrent que la perception de la menace (Covid-19) est liée aux décisions gouvernementales comme le confinement (si le gouvernement confine, la maladie doit être très grave) et au nombre de cas rapportés. L’augmentation du nombre de cas dans certains pays serait corrélé à l’augmentation du conservatisme et de l’autoritarisme.

Seuls les humains sont touchés

Comme déjà écrit, la prise de conscience de l’inéluctabilité est propre à l’humain. Il se peut que certains animaux soient conscients de ce qu’est la mort de leurs congénères et du risque pour eux-mêmes. D’ailleurs, cette prise de conscience ne concerne même pas tous les humains. Les jeunes enfants  vivent le plus souvent avec joie et sans ennui une vie qui leur apparaît sans limite.

Le propre de l’humain serait-il d’apprendre à mourir…

Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement écrit La Rochefoucauld. Philosopher, c’est apprendre à mourir ont exprimé au moins Socrate et Montaigne. Aucun humain adulte conscient n’est indifférent à l’inéluctabilité de sa fin. Devant le temps qui passe, nous ressentons, comme au bord d’un précipice, de la peur, mais également de la fascination. Aucune civilisation ne traite le décès de nos semblables sans une approche spécifique.

Ou bien le propre de l’homme serait-il de lutter toujours pour vaincre la mort ?

Presque toutes les civilisations, presque toutes les religions expliquent que la mort n’est pas la fin du voyage.  Dans une perspective agnostique, la principale raison d’être des croyances en l’au-delà est bien sûr la gestion de la peur de mourir.  La recherche de l’immortalité se trouve dans les croyances, les pratiques et les rites. Parfois, il s’agit d’affirmations, d’incantations.  Parfois, il s’agit de méthodes que l’on pourrait qualifier de « pré-scientifiques », de modes d’emploi pour éviter la mort ou pour que la mort ne soit qu’un phénomène temporaire. 

Chez les taoïstes, il s’agissait d’apprendre à vivre selon des méthodes très ascétiques. Dans l’Égypte ancienne et le christianisme tel qu’il était enseigné jusqu’à il y a peu, il s’agit de conserver le corps, par embaumement ou enterrement pour permettre le retour, la réincarnation (retour dans la chair). L’Église catholique refusait la crémation (incinération) jusqu’il y a peu.

Un mécanisme inconscient 

C’est un aspect fondamental de la gestion de la terreur. Nos moyens de défense sont constitués par ce qui avait été nommé par Ernest Becker, The Denial of Death, le déni de la mort. Devant ce qui est à la fois insoutenable et inévitable, nous élaborons des processus inconscients. Si ces processus étaient conscients, ils perdraient largement de leur efficacité.

Et pour demain, dans un monde où l’amortalité devient envisageable ?

Vivre sans ressentir de peur insoutenable est, bien sûr, un mécanisme souhaitable. Mais cela peut être aussi un obstacle à la lutte pour les recherches de longévité en santé, lorsque des mécanismes inconscients nous poussent à ne pas lutter contre, voire à « aimer » la mort (de vieillesse).

Les idéaux collectifs sont issus des sentiments d’appartenance de groupes au départ opposés les uns aux autres. Aujourd’hui, ils nous permettent de nous comporter dans une collectivité de plus en plus mondiale pour vivre de manière plus pacifique, plus solidaire et plus durable, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique. De même demain, une meilleure « gestion de la peur de la mort » pourrait nous permettre de mieux progresser pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue, voire un jour sans limitation de durée.


Bonne nouvelle du mois


  • Même si c’est une évolution fragile, la mortalité liée à l’épidémie de Covid-19 ralentit. Alors que le nombre de personnes atteintes continue à augmenter, le nombre de décès tant en Belgique que dans le monde diminue, montrant l’efficacité croissante des vaccins préventifs et des traitements thérapeutiques.
  • Parmi les traitements les plus prometteurs contre le coronavirus, le molnupiravir ravive l’espoir :  le comprimé réduirait de moitié le risque d’hospitalisation ou de mort du Covid-19.

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