Développements récents de thérapies géniques pour la longévité Lettre mensuelle. La mort de la mort. N° 152. Novembre 2021.

John Harris, ancien rédacteur en chef du Journal of Medical Ethics, soutient que tant que la vie vaut la peine d’être vécue, selon la personne elle-même, nous avons un puissant impératif moral de sauver la vie et donc de développer et d’offrir des thérapies de prolongation de la vie à ceux qui le désirent (Source).


Thème du mois : Développements récents de thérapies géniques pour la longévité


Introduction

Chez les animaux comme chez les humains, la durée de vie moyenne varie selon de nombreux facteurs. Chez les animaux, ce sont l’alimentation, la prédation, les maladies et les conditions climatiques qui jouent les rôles les plus importants. Chez les humains, ce sont le mode de vie, les maladies et les conditions sociales qui sont déterminants.

Mais en ce qui concerne la durée de vie maximale des animaux, comme celle des humains, l’élément le plus prépondérant est le patrimoine génétique. 

Nous savons encore fort peu quelles sont les différences génétiques qui sont favorables ou défavorables à la longévité chez les humains. Des études relatives aux caractéristiques génétiques liées à la longévité ont été effectuées notamment sur des supercentenaires. Même si des gènes tels que le gène klotho sont parfois cités, aucun gène ou groupe de gènes n’apparaît avoir une influence positive très importante.

Un être humain qui évoluerait dans un environnement parfait avec des soins de santé adaptés et une hygiène de vie exemplaire ne dépasserait jamais les alentours de 122 ans. À noter que le doyen de l’humanité est, depuis près de 40 ans, toujours une doyenne, ce qui s’explique par la différence génétique entre femmes et hommes.

Placez une souris dans un paradis pour souris. Quoi qu’il arrive, elle ne dépassera pas cinq ans. Placez une tortue des Galápagos dans un paradis pour chéloniens, elle pourra vivre au plus deux siècles.

Des animaux fort similaires peuvent avoir des durées de vie maximales très différentes. Ainsi, le caméléon de Madagascar Furcifer Labordi est le vertébré terrestre qui a la plus courte existence. Il ne vit que 4 ou 5 mois. Alors que son lointain cousin de la même grande île, Calumma Parsonii, peut vivre une dizaine d’années.

En d’autres mots, nous savons que peu de modifications génétiques peuvent permettre des changements de durées de vie considérables.

C’est une des raisons pour lesquelles les thérapies géniques sont parmi les thérapies les plus prometteuses pour  la longévité.

Qu’est-ce que la thérapie génique?

La thérapie génique constitue l’une des voies privilégiées pour traiter les maladies génétiques, mais également certains cancers. Elle consiste à insérer, dans les cellules du malade, une version normale d’un gène qui ne fonctionne pas et cause la maladie. 

Le gène fonctionnel permet alors au patient de produire à nouveau la protéine dont la déficience était la source de la maladie.

Cependant trois conditions doivent être remplies, il faut: 

  • Connaître le gène responsable de la maladie, soit la fonction de ce gène, afin de pouvoir « réparer » la cellule.
  • Permettre au gène d’atteindre et entrer dans la cellule à l’aide d’un « vecteur », le plus souvent un virus que l’on a rendu inoffensif pour le malade.
  • Et associer le gène à un « promoteur », une petite séquence d’ADN qui permet son fonctionnement une fois au sein de la cellule.

Il est également possible de transformer le patrimoine génétique des générations suivantes. Il serait envisageable, un jour, que nos enfants aient une vie en bonne santé plus longue de par des modifications génétiques. Ceci pose d’innombrables questions éthiques dont certaines ont été abordées à l’occasion de la naissance en Chine de deux (ou peut-être trois) bébés génétiquement modifiés. Ces questions ne seront pas abordées ici.

La révolution des thérapies géniques

En 2000, pour la première fois au monde, la thérapie génique démontre son efficacité avec les bébés-bulles, des enfants atteints d’un grave déficit immunitaire qui ont retrouvé une vie normale grâce au traitement. Les thérapies furent cependant ralenties puis quasiment interrompues pendant plus d’une décennie suite aux décès de deux patients dont Jesse Gelsinger. Cependant, durant cette interruption d’innombrables vies auraient pu être sauvées.

Entre 2015 et 2020, la thérapie génique a connu un essor considérable. Plusieurs essais cliniques ont vu le jour dans le but de traiter certaines maladies liées au  sang, à la peau ou encore neuromusculaires. Certains se sont révélés suffisamment probants pour conduire à une autorisation de mise sur le marché, aux États-Unis ou en Europe.

En 2017, une équipe de médecins européens est parvenue à remplacer 80% de l’épiderme d’un petit garçon (atteint d’épidermolyse bulleuse) grâce à la thérapie génique.

En 2019, près d’une dizaine de traitements par thérapie génique pour des maladies rares du sang, de la vision, des muscles et certains cancers, avait reçu une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis ou en Europe.

La même année, le premier médicament de thérapie génique (Zolgensma) capable de sauver la vie de bébés atteint d’une maladie comme l’amyotrophie spinale des muscles a été mis sur le marché américain. 

D’autres traitements concernent la maladie de Pompe, le déficit en adénosine désaminase, la bêta-thalassémie, la leucémie aiguë lymphoblastique, le lymphome diffus à grandes cellules B, l’amaurose de Leber ont vu le jour.

Les traitements ne visent cependant encore actuellement que des maladies peu courantes, généralement liées à une « erreur » d’un seul gène. 

La thérapie génique et la longévité : Peut-elle retarder ou inverser les maladies liées au vieillissement dont les maladies neurodégénératives ?

En 2019, une étude réalisée par George Church et ses équipes a démontré des résultats favorables d’une thérapie agissant simultanément sur trois gènes de souris atteintes de diverses symptômes liés au vieillissement.

La même année, une expérimentation relative à un gène concernant les télomères a été faite par des chercheurs de l’Académie des sciences chinoise sur des souris. Cela a abouti à une espérance de vie plus longue

En 2020, des vaccins à ARN messager ont été utilisés pour induire une immunité contre le COVID-19. Cette méthode est similaire à la thérapie génique. Cependant, les modifications concernent l’ARN et non l’ADN. 

En octobre 2021, BioViva, une startup de biotechnologie dirigée par E. Parrish, a démontré qu’en administrant une thérapie génique à six patients atteints de démence que l’on pouvait observer une inversion des symptômes de la démence tels que les troubles cognitifs. 

L’américaine Elizabeth Parrish est également le premier cas connu d’auto-expérimentation d’une thérapie génique ciblant les processus du vieillissement. Le traitement consiste à des injections d’adénovirus qui pourrait étendre les télomères leucocytaires  et ainsi renforcer la masse musculaire.

Conclusion

Un partage massif des connaissances, notamment statistiques, relatives aux patrimoines génétiques est en train de se développer. Les investissements pour une vie en bonne santé plus longue semblent s’accélérer et s’améliorer. L’Union européenne propose des outils législatifs pour des bases de données « altruistes ». 

Des milliards de séquençages (totaux ou partiels) ont été effectués tant sur des animaux et des plantes que sur des humains. La mise en commun de ces données et leur analyse notamment par le biais d’outils fondés sur l’intelligence artificielle se poursuit. Grâce aux technologies de modification génétique notamment de type CRISPR, le « plafond de verre » de la durée maximale de vie pour les souris, puis pour les humains devrait pouvoir être franchi dans un futur proche.


Les bonnes nouvelles du mois


L’European Longevity Initiative a été lancée par une organisation non gouvernementale ayant des membres dans une vingtaine d’États de l’Union Européenne.

Son texte de propositions a été le plus soutenu lors du début de la Conférence sur le futur de l’Europe et est toujours l’un des plus soutenus.

Le principal promoteur de l’idée est le scientifique hongrois Attila Csordas qui affirmait notamment (traduction): “La seule véritable solution (concernant de très nombreuses maladies) est de commencer à traiter les causes profondes du vieillissement biologique (…). Nous disposons de stratégies expérimentales pour ralentir le rythme du vieillissement accéléré et réduire la morbidité et la mortalité en fin de vie.  Pour y parvenir dans l’Union européenne, nous aimerions proposer des engagements juridiques, budgétaires, réglementaires et institutionnels efficaces pour permettre une recherche et des technologies de longévité saine à forte intensité scientifique, des essais cliniques géro protecteurs à grande échelle axés sur le vieillissement et un accès équitable à ces technologies pour augmenter l’espérance de vie en bonne santé dans l’Union européenne.”

Dans un cadre pas très éloigné, l’Espace Européen des Données de Santé, est au centre de nombreux projets visant de meilleurs échanges de données de santé pour des buts médicaux et de recherche. Une conférence internationale ce 19 novembre sur « Innovations in Consumer Longevity Data » en est une des illustrations. 


Pour en savoir plus :