Lettre mensuelle. La mort de la mort. N° 150 Septembre 2021. Microbiome et longévité

« Mais tout porte à croire que l’ajout de Triphala et de ces probiotiques au régime alimentaire est un gage de longévité et de santé. »

Satya Prakash (Laboratoire de recherche en biomédecine et thérapie cellulaire, Département de génie biomédical, Université McGill, Canada) (remarque: il s’agit cependant seulement d’améliorations modérées de la durée de vie en bonne santé grâce à une meilleure nutrition)  


Thème du mois : Microbiome et longévité en bonne santé


Introduction

Notre corps est notamment constitué de systèmes complexes, fascinants, interdépendants et changeants.

Tous varient au cours des âges de la vie et, malheureusement, se dégradent progressivement. 

Celui de ces systèmes qui affronte le plus directement le monde extérieur, l’environnement le plus changeant, le plus hostile et le plus dangereux, c’est le système digestif.

Chaque année près d’une tonne d’aliments et de boissons, mais aussi des kilos de médicaments, de substances non nutritives et des millions de milliards de bactéries, de virus et de parasites y transitent et parfois s’y installent. L’humain étant omnivore, la diversité est particulièrement grande. C’est une des raisons pour lesquelles les approches de recherches pour la longévité sont également diversifiées.

L’importance du microbiote intestinal

Notre organisme héberge de très nombreuses espèces bactériennes. Ces communautés de micro-organismes, appelées « microbiotes » élisent domicile à différents endroits de notre corps : la bouche, la peau, le vagin…Mais surtout l’intestin ! Cet organe qui mesure environ 8 mètres de long héberge jusqu’à 100 000 milliards de bactéries, principalement localisées dans l’intestin grêle et le côlon. Les scientifiques estiment ainsi que près de 90 % des matières fécales seraient constituées de bactéries !

Ces bactéries, associées à d’autres micro-organismes tels que les virus et levures, forment la flore intestinale désormais rebaptisée « microbiote intestinal » par la communauté scientifique.

In utero, le tube digestif du fœtus demeure un milieu stérile. Lors de la naissance, l’allaitement, la diversification alimentaire, le microbiote intestinal d’un individu se constitue au fil des années, jusqu’à contenir près de 1 000 espèces bactériennes différentes chez un adulte en bonne santé. Un monde bactérien qui pèse près de 2 kilos.

Les 200 millions de neurones du tube digestif

Les mêmes neurones que ceux qui se logent dans notre cerveau tapissent notre tube digestif, certains parlent de « deuxième cerveau » ! 

Assurer la motricité intestinale est la première fonction de ce système nerveux dit « entérique« . Les cellules nerveuses sont également chargées de transmettre des informations depuis notre intestin jusque dans notre cerveau. De plus, comme le cerveau, les neurones de l’intestin sont capables de produire des hormones et des neurotransmetteurs. 

Nos émotions se logent bel et bien aussi dans notre intestin. Avoir « la peur au ventre » ou « l’estomac noué », « digérer une information » sont des expressions illustrant des réalités.

Des liens entre la maladie d’Alzheimer et le microbiome ont été établis par des études. Par contre, il ne semble pas que les neurones du « second cerveau » souffrent d’une maladie d’Alzheimer ou neurodégénérative spécifique, même si le contrôle nerveux se dégrade avec l’âge (une des causes de l’incontinence des personnes âgées).  

Une amélioration de la longévité passerait-elle par le microbiote et les intestins?

Récemment, des variations dans le microbiote intestinal ont été associées à des phénotypes liés à l’âge et les probiotiques se sont révélés prometteurs dans la gestion de la progression des maladies chroniques. 

Dans un article scientifique publié dans Nature en mai 2018, des chercheurs mettent en évidence une extension de la longévité chez la drosophile. En ajoutant une association de probiotiques et d’un complément à base de plantes à l’alimentation des mouches drosophiles, des scientifiques de l’Université McGill ont réussi à prolonger de 60 % leur durée de vie et à les mettre à l’abri de maladies chroniques habituellement liées au vieillissement.

Dans cette étude, il a été démontré que de nouvelles formulations probiotiques et symbiotiques prolongent de manière combinatoire la longévité chez le mâle Drosophila melanogaster par des mécanismes de communication intestin-cerveau avec des implications dans la gestion des maladies chroniques.

Longévité chez les souris

Des chercheurs découvrent le potentiel des microbes pour ralentir le vieillissement du cerveau

Les recherches du centre de recherche SFI d’APC Microbiome Ireland (APC)  de l’University College Cork (UCC) publiées dans Nature Aging  présentent une nouvelle approche pour ralentir les aspects de la détérioration du cerveau et des fonctions cognitives liées au vieillissement via les microbes de l’intestin. Cette recherche ouvre des voies thérapeutiques potentiellement nouvelles sous la forme d’interventions microbiennes pour ralentir le vieillissement cérébral et les problèmes cognitifs associés.

Il y a une appréciation croissante de l’importance des microbes dans l’intestin sur tous les aspects de la physiologie et de la médecine. Dans une étude très récente sur la souris, les auteurs montrent qu’en transplantant des microbes de jeunes animaux dans des animaux plus âgés, ils pourraient rajeunir certains aspects du cerveau et de la fonction immunitaire.

Les chercheurs ont expliqué dans la revue Nature Aging : « Le microbiote intestinal est de plus en plus reconnu comme un régulateur important de l’immunité de l’hôte et de la santé du cerveau. Le processus de vieillissement entraîne des altérations dramatiques du microbiote, qui sont liées à une moins bonne santé et à la fragilité des populations âgées. La greffe d’un microbiote provenant de jeunes donneurs a inversé les différences associées au vieillissement dans l’immunité périphérique et cérébrale, ainsi que le métabolome hippocampique et le transcriptome du vieillissement des souris receveuses. »

Longévité chez les humains

Une étude récente de l’Institute for Systems Biology (ISB) montre que selon le type de microbiote intestinal (la composition de la flore microbienne qui habite en permanence nos intestins), le vieillissement se fait en plus ou moins bonne santé. Cela jouerait par conséquent sur la longévité.

Le microbiote se modifie après 50 ans

Les chercheurs ont analysé le microbiote intestinal et l’état de santé de plus de 9000 personnes âgées de 18 à 101 ans, et en particulier, le groupe des plus de 78 ans. Chez ces derniers, ils constatent que le microbiote se modifie dans sa composition en vieillissant, et devient de plus en plus « unique » mais que les différents microbiotes des personnes en bonne santé assurent tous des fonctions métaboliques similaires.

Nos bactéries produisent des substances anti-âge

De façon corrélée, il a été mesuré dans le sang des sujets des concentrations plus élevées en certains métabolites produits par les microbes dans les intestins. Ainsi, il semble que les modifications de flore intestinale dans un vieillissement en bonne santé, soient liées à la production de certains métabolites dont on connaît d’ailleurs l’effet sur la longévité, comme l’indole par exemple.

On sait que certains types de bactéries intestinales transforment le tryptophane (un acide aminé essentiel) en indole qui passe dans la circulation sanguine. Or il a été montré que l’indole prolonge la durée de vie chez la souris, et réduit les processus inflammatoires intestinaux.

Un autre métabolite microbien, la phenylacetyl glutamine, est retrouvé en grande quantité dans le sang des centenaires.

Pour conclure, il est constaté que les flores microbiennes, continuant à évoluer à un âge avancé, permettraient de mieux conserver la santé et d’améliorer la longévité, c’est en relation avec la production commune de certains métabolites (comme les 2 exemples cités précédemment). Ces modifications se feraient surtout après la cinquantaine.

Modifications du microbiote avec l’âge

Alors que la composition de notre microbiote reste relativement stable pendant l’âge adulte, les modifications de l’alimentation, voire les médications (antibiotiques, anti acides, …), le ralentissement du transit gastro-intestinal et de la digestion… mènent à un déséquilibre de la flore digestive en vieillissant.

La diversification des espèces bactériennes a tendance à diminuer avec l’âge. On observe, entre autres, une augmentation d’entérobactéries et de germes pouvant alors devenir pathogènes par leur nombre, comme les streptocoques, staphylocoques… Ceux-ci se développent d’ailleurs plus facilement sur un terrain inflammatoire, et vont eux-mêmes entretenir une inflammation locale, ainsi qu’une trop grande perméabilité de la muqueuse intestinale.

Il a été observé chez des plus de 105 ans, une présence accrue de certaines familles bactériennes (akkermansia, bifidobactéries et christensenellaceae). Ceci laisse penser que cette présence favoriserait le contrôle de l’inflammation et un meilleur maintien de l’immunité, malgré les stress répétés et le travail de défense constant de toute une vie, contre des éléments microbiens étrangers.

Par exemple, les bifidobactéries représentent près de 90% des bactéries du nourrisson au sein, et plus que 5% en fin de vie. Leur apport paraît bénéfique à plusieurs titres chez le sujet âgé, selon les études.

Il serait possible de définir l’âge d’une personne en étudiant la composition de son microbiote

Le chercheur en longévité Alex Zhavoronkov, et ses collègues, issus de la startup InSilico Medicine spécialisée en intelligence artificielle, ont analysé l’ADN du microbiote intestinal de personnes en bonne santé provenant de différents pays. Au total, 1165 personnes âgées entre 20 et 90 ans ont été enrôlées dans l’étude et plus de 3600 échantillons de selles ont été prélevés afin d’étudier les données sur le microbiote intestinal et permettre l’entraînement de l’outil.  La machine a réussi à donner l’âge des individus avec une marge d’erreur de seulement 4 ans !

De plus, sur les 95 espèces bactériennes étudiées, 39 d’entre elles pourraient permettre de prédire l’âge. Les chercheurs ont également pu mettre en évidence que certaines espèces de bactéries étaient plus abondantes en vieillissant comme Eubacterium hallii, associée au bon équilibre du métabolisme intestinal ; et d’autres, au contraire, étaient en moins grande quantité comme Bacteroides vulgatus, corrélée à la colite ulcéreuse.

Et demain?

Jusqu’ici, des alimentations (sans excès) et des microbiotes très différents mènent à des durées de vie maximales relativement similaires. Un Japonais et un Français ont une alimentation fort différente, mais une longévité similaire.

Cependant, la poursuite des recherches, notamment l’analyse des données génétiques des innombrables organismes qui peuplent nos organes digestifs, ouvrent des perspectives de longévité non négligeables. Parmi les pistes, celles influençant le système nerveux sont parmi les plus importantes.


Nouvelles du mois


Aubrey de Grey, le biogérontologue mondialement le plus connu, a permis à l’organisation SENS de récolter 28 millions de dollars. Juste après cela, sur la base d’accusations de harcèlement, il a été exclu notamment de SENS. Cependant, au jour où sont écrites ces lignes, aucun.e des milliers de femmes et d’hommes, mineur.e.s ou majeur.e.s ayant été en contact public ou privé avec l’intéressé depuis des décennies n’a, à notre connaissance, intenté d’action en justice. Quelle que soit la tentation médiatique et les pressions pour condamner sans procédure et tout en respectant les droits et opinions de chacun.e, dont les victimes alléguées, nous nous en tiendrons ici aux droits humains fondamentaux: Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.

Iouri Milner, milliardaire et philanthrope américain a annoncé la création d’Altos Labs, une entreprise qui a pour but des progrès radicaux pour la longévité humaine avec un financement se comptant en centaines de millions de dollars. Jeff Bezos est aussi largement cité comme cofondateur. Des scientifiques renommés, spécialisés en recherche concernant le vieillissement, ont été recrutés ou associés, parmi lesquels le spécialiste des horloges épigénétiques Steve Horvath, le prix Nobel Shinya Yamanaka et les chercheurs en réjuvénation espagnols Juan Carlos Izpisúa Belmonte et Manuel Serrano


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