La mort de la mort. N° 147 Juin 2021. Records de longévité des organismes vivants

Le scientifique Shin Kubota exprime sa vision dans le New York Times: “l’application de Turritopsis pour les êtres humains est le rêve le plus merveilleux de l’humanité. Une fois que nous aurons déterminé comment la méduse se rajeunit, nous devrions réaliser de très grandes choses. Mon opinion est que nous allons évoluer et devenir nous-mêmes immortels.” (Traduction, 28 novembre, 2012)


Thème du mois : Records de longévité des organismes vivants


Tortue des Galapagos

Comment comprendre les durées de vie les plus longues ? Et pourquoi?

La durée de vie maximale des êtres vivants est extrêmement variable selon les espèces. Globalement, pour les animaux, la durée de vie maximale est plus longue avec un ou plusieurs des facteurs favorables suivants (par ordre d’importance) :

  • Les prédateurs sont rares 
  • Le métabolisme est lent 
  • La taille est grande

Les différences de durées de vie peuvent être énormes entre des espèces biologiquement assez proches. C’est une des raisons d’envisager un jour une thérapie génique ou un autre traitement médical pour augmenter considérablement la durée de vie maximale de l’humain.

Cette lettre reprend des cas connus de longévité extrêmes. Évidemment, dans ces cas de très longue durée, seules des mesures indirectes et parfois contestables sont envisageables.

Le rat-taupe nu et la chauve-souris, une longévité exceptionnelle et pas de cancer ! (35-40 ans)

La longévité des rats-taupes nus étonne surtout quand on la compare à celle d’autres rongeurs en captivité de taille équivalente. Les rats-taupes nus ne devraient pas vivre plus de six ans. Or, le plus vieux rat-taupe nu connu en laboratoire a… 35 ans ! Et, parmi certains de ses congénères qui ont plus de 30 ans, des femelles restent encore fertiles.

Des chercheurs ont découvert pourquoi le rat-taupe nu était à l’abri du cancer. C’est grâce à l’acide hyaluronique, une molécule qui empêcherait la formation de tumeurs dans l’organisme. Selon les chercheurs Vera Gorbunova et Andrei Seluanov, qui ont publié leurs résultats dans la revue Nature, la masse moléculaire de l’acide hyaluronique chez le rat-taupe nu est cinq fois supérieure à celle de la souris.

Le minuscule murin de Brand (espèce de chauve-souris), avec ses sept grammes, taquine les quarante printemps. Le grand murin (Myotis myotis), cinq fois plus lourd, en fait autant. Une équipe internationale s’est lancée dans une étude longitudinale de huit ans. Ses résultats, publiés dans la revue Nature Ecology & Evolution ouvrent des pistes prometteuses pour la recherche sur le vieillissement.

Insecte ayant la plus longue vie : la reine des termites (50 ans)

On pense normalement aux insectes comme vivant moins d’une année à l’état adulte. Cependant, les reines termites, protégées des prédateurs, peuvent atteindre 50 ans.

Oiseaux. L’albatros peut vivre jusqu’à 80 ans

Les albatros sont les oiseaux marins les plus grands du monde : l’albatros hurleur atteint ainsi les 3,50 mètres d’envergure ! Leur longévité est également remarquable, puisqu’ils peuvent vivre jusqu’à 80 ans. Wisdom, une albatros de 70 ans a encore pondu. Un perroquet (cacatoès) a également atteint un âge similaire (82 ans).

Amphibien le plus ancien : la salamandre des cavernes (100 ans)

Les naturalistes attribuent la longévité de la salamandre aveugle Proteus. anguinus à son métabolisme inhabituellement lent, cette salamandre met 15 ans à mûrir, s’accouple et pond ses œufs seulement tous les 12 ans environ, et bouge à peine, sauf lorsqu’elle cherche de la nourriture. De plus, les grottes humides du sud de l’Europe où elle vit sont pratiquement dépourvues de prédateurs, permettant à P. anguinus de dépasser 100 ans à l’état sauvage.

Reptiles : Les célèbres tortues des Galápagos

En 2012, mourait «George le solitaire» à plus de 100 ans. Six ans après sa disparition, le centenaire a refait parler de lui grâce aux révélations des chercheurs de Yale étudiant son génome ! George était le dernier représentant d’une espèce endémique d’une île Galápagos. Il a toujours boudé tout accouplement en captivité. 

Les scientifiques de l’Université qui avaient séquencé son génome de son vivant ainsi que celui d’une autre espèce de tortue géante ont révélé les résultats dans la revue Nature. Les biologistes ont détaillé chez ces tortues 891 gènes, impliqués dans la fonction du système immunitaire. Ils montrent que ces animaux ont développé des copies supplémentaires de gènes qui leur permettent de mieux répondre au stress oxydant, connu pour être un facteur important du vieillissement. Ils ont aussi découvert un gène qui permet aux cellules de mieux se défendre contre des cellules étrangères, des gènes suppresseurs de tumeurs qui sont plus nombreux que chez la plupart des vertébrés et d’autres qui sont impliqués dans la réparation de l’ADN.

L’étude du vieillissement chez les animaux est une source de connaissance pour l’être humain. Les chercheurs ont trouvé quelques similitudes entre le génome des tortues et celui des centenaires.

Jeanne Calment avec ses 122 ans est la personne qui a vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité…, mais certes pas de quoi impressionner une vieille tortue. La tortue qui a vécu le plus longtemps semble avoir atteint 189 ans.

Les sphénodons sont d’autres reptiles qui peuvent dépasser le siècle.

Poissons : 150 ans pour l’hoplostèthe orange (Hoplostethus atlanticus)

Hoplostethus atlanticus est appelé « poisson-montre ». L’animal habite les océans du globe à des profondeurs comprises entre 900 et 1 800 mètres, notamment dans les canyons sous-marins.

L’espèce n’atteint sa maturité sexuelle qu’entre 20 et 30 ans, ce qui pourrait s’expliquer par un taux de prédation faible et la rareté des proies dans les abysses. Les adultes peuvent mesurer 75 cm de long pour un poids de 7 kg et l’âge du plus vieux spécimen connu, déterminé par radiation radiométrique des isotopes des concrétions minérales de ses oreilles internes, serait de 149 ans.

Échinodermes : 200 ans pour l’oursin rouge géant (Astropyga radiata)

Assez commun dans l’océan Indien et dans une partie de l’océan Pacifique, cet échinoderme doit son appellation à sa couleur et à sa taille pouvant atteindre près de 20 cm de diamètre, la plus grande connue parmi les espèces d’oursins. Certains individus ont atteint l’âge de 200 ans.

Mammifères : 200 ans pour la baleine boréale (Balaena mysticetus)

Vivant dans les eaux arctiques, la baleine boréale est un cétacé mesurant jusqu’à 20 mètres pour un poids d’une centaine de tonnes. Sa longévité a été estimée à plus de 200 ans grâce à des cicatrices laissées par d’anciennes blessures causées par des chasseurs de baleines. Cette longévité exceptionnelle pourrait s’expliquer par certains gènes. Par exemple, l’analyse du génome de la baleine montre des mutations uniques dans le gène ERCC1 impliqué dans la réparation de l’ADN endommagé. Un autre gène, appelé PCNA et associé à la croissance cellulaire et à la réparation de l’ADN, contient une section d’ADN dupliquée. Cette duplication pourrait ralentir le vieillissement du cétacé.

Requins : 400 ans pour le requin du Groenland (Somniosus microcephalus)

Ce requin gris, plutôt dodu, mesurant cinq mètres, vit dans les eaux de l’océan Arctique et serait le champion de la longévité chez les vertébrés. Sa croissance est estimée à environ 1 cm par an.

Dans un article paru dans Science, une équipe internationale de chercheurs décrit comment ils ont réussi à mesurer l’âge de 28 requins du Groenland. Les résultats ont révélé que le plus grand requin, une femelle de plus de cinq mètres de long, avait 392 ans, avec cependant une marge d’erreur importante de plus ou moins 120 ans. La maturité sexuelle des femelles serait atteinte à l’âge de 150 ans environ.

D’après cette recherche de Julius Nielsen à l’Université de Copenhague, parue en août 2016, le requin du Groenland serait donc le vertébré qui vivrait le plus longtemps.

Mollusque le plus ancien: The Ocean Quahog (500 ans)

Des scientifiques ont déterminé que le quahog de l’océan, Arctica islandica , peut littéralement survivre pendant des siècles, comme l’a démontré un individu, Ming, qui a dépassé la barre des 500 ans (vous pouvez déterminer l’âge d’un mollusque en comptant les anneaux de croissance dans sa coquille).

Arbres. Le Séquoia géant : plus de 3000 ans !

Certains arbres semblent n’avoir aucun mécanisme de sénescence. Ils restent aussi fertiles à l’âge de plusieurs siècles que dans leur jeunesse.

Le Séquoia géant se caractérise par sa longévité puisqu’il peut atteindre plus de 3 000 ans. 

De nombreuses autres espèces d’arbres peuvent vivre durant des siècles : les oliviers, les chênes. Le record absolu semble détenu par un pin de Bristlecone de 5 000 ans.

Enfin, les arbres comme d’autres végétaux peuvent se multiplier de façon clonale et former un organisme collectif. Dans ce sens, la colonie clonale de peupliers faux-trembles Pando est, à 80 000 ans, un des organismes les plus anciens de la planète.

Organismes microscopiques : endolithes (10 000 ans)

Déterminer la durée de vie d’un organisme microscopique est une question délicate : en un sens, toutes les bactéries sont immortelles, car elles propagent leur information génétique en se divisant constamment (plutôt que des relations sexuelles et des morts de vieillissement).

Le terme «endolithes» fait référence aux bactéries, champignons, amibes ou algues qui vivent profondément sous terre dans les fentes des roches. 

Des études ont montré que les individus de certaines de ces colonies ne subissent une division cellulaire qu’une fois tous les cent ans et peuvent avoir une durée de vie de l’ordre de 10 000 ans. 

Techniquement, cela diffère de la capacité de certains micro-organismes à se remettre de la stase ou de la congélation après des dizaines de milliers d’années; dans un sens significatif. Les endolithes sont continuellement «vivants», bien que peu actifs. Peut-être plus important encore, les endolithes sont autotrophes, ce qui signifie qu’ils alimentent leur métabolisme non pas avec l’oxygène ou la lumière du soleil, mais avec des produits chimiques inorganiques, qui sont pratiquement inépuisables dans leurs habitats souterrains.

L’immortalité biologique du homard, des hydres, des éponges et des coraux

Un petit nombre d’animaux multicellulaires semblent n’avoir aucun mécanisme de sénescence. Ils ne se dégradent pas en avançant en âge. Par exemple, leur fertilité reste constante, voire augmente.

Les hydres, comme tous les cnidaires peuvent se régénérer, ce qui leur permet de se remettre d’une blessure et de se reproduire de manière asexuée. Toutes les cellules de l’hydre se divisent continuellement. Il a été suggéré que les hydres ne subissent pas de sénescence et, en tant que telles, sont biologiquement immortelles. Dans une étude de quatre ans, trois cohortes d’hydres n’ont pas montré d’augmentation de la mortalité avec l’âge.

Une espèce d’éponge peut vivre jusqu’à 11 000 ans, à savoir la Monorhaphis chuni, selon une étude américaine publiée dans la revue Aging Research Reviews en 2014.

Certains animaux coloniaux, comme les coraux, peuvent vivre plus de 4000 ans.

Les recherches suggèrent que les homards peuvent ne pas ralentir, s’affaiblir ou perdre leur fertilité avec l’âge, et que les homards plus âgés peuvent être plus fertiles que les homards plus jeunes. Cela ne les rend cependant pas immortels au sens de l’absence d’impact de la sénescence, car ils sont beaucoup plus susceptibles de mourir lors d’une mue de coquille en avançant en âge du fait de leur taille croissante. 

Leur longévité peut être due à la télomérase, une enzyme qui répare de longues sections répétitives de séquences d’ADN aux extrémités des chromosomes, appelées télomères. Contrairement aux vertébrés, les homards expriment la télomérase à l’âge adulte à travers la plupart des tissus, ce qui a été suggéré comme étant lié à leur longévité.

Il a été affirmé que certains poissons, notamment le big mouth buffalo, n’ont pas de sénescence mesurable. Cependant, à l’exception du requin du Groenland, aucun poisson capturé dont on a mesuré l’âge ne dépassait les 200 ans.

Pourquoi pas d’immortalité biologique chez les vertébrés, même ceux sans prédateurs ?

La sélection naturelle, au moins pour les vertébrés, aboutit toujours à des espèces dont les durées de vie restent limitées. Ceci peut être expliqué parce qu’une espèce animale qui serait sans vieillissement perdrait de sa diversité génétique et serait éliminée par tout changement environnemental. C’est aussi ce qui explique la reproduction sexuée : plus de mélanges génétiques, c’est plus d’adaptabilité à l’environnement. 

Mais en un certain sens, le vieillissement systématique reste quand même un mystère de l’évolution. En effet, même des salamandres ou poissons cavernicoles dans un environnement extrêmement stable (de centaines de milliers d’années) et sans prédateur ne semblent pas vivre bien au-delà du siècle.

Cnidaire : l’immortalité biologique et la réjuvénation pour la méduse Turritopsis nutricula

Petite en taille, mais longue en espérance de vie. La méduse Turritopsis nutricula ne mesure en effet que 5 mm de diamètre, mais pourrait vivre ad vitam æternam. Originaire de la mer des Caraïbes, l’espèce est de nos jours très répandue. Plusieurs spécialistes s’inquiètent de la voir proliférer sur l’ensemble du globe.

Grâce à un processus cellulaire particulier appelé transdifférenciation, l’animal est capable de stopper son vieillissement et même de rajeunir. Il est déjà connu que la meilleure façon de pousser une Turritopsis Nutricula à se régénérer est de la stresser. Par exemple, en cas de blessure, le processus s’enclenche aussitôt et en quelques jours à peine, la méduse retourne à son stade juvénile et commence une nouvelle vie.

Ce qui en fait un exceptionnel sujet d’études pour les biologistes et les généticiens et un sujet d’intérêt pour certains groupes pharmaceutiques qui envisagent déjà la production d’une crème rajeunissante contenant l’ADN de Turritopsis. « C’est comme si un papillon était capable de retourner en arrière au stade de chenille », explique Stefano Piraino, professeur à l’université du Salento, en Italie.

La dormance comme stratégie de longévité

La dormance est un terme qui regroupe toutes les formes de vie ralenties. 

Elle correspond à la période où, dans le cycle de vie d’un organisme, la croissance, le développement et/ou l’activité physique (chez les animaux) sont temporairement arrêtés. Cela réduit l’activité métabolique et aide donc l’organisme à conserver de l’énergie.

Surtout dans les milieux extrêmes, ou saisonnièrement très marqués, la dormance ne peut être une stratégie adaptative que si un stimulus permet à la graine de passer de l’état « dormant » à un état « non-dormant » est rendu possible à un « bon moment ». Et effectivement, souvent, la dormance cesse effectivement quand les conditions environnementales le permettent.

La longévité d’une graine (durée de la période pendant laquelle elle peut rester en état de vie ralentie sans perdre sa capacité à germer) est très variable. Chez les végétaux, tous les intermédiaires existent, entre la graine du lotus qui détient le record de la longévité (de l’ordre de 1000 ans) et les graines de cacaoyer, peu déshydratées, qui doivent, sous peine de mort, trouver, dans les quelques jours suivant leur maturation, les conditions permettant leur germination. Des scientifiques ont même réussi à faire germer des graines de silène (une plante à fleurs blanches) gelées depuis près de 32 000 ans dans le sous-sol sibérien ! 

Bien qu’étant coûteuse, la stratégie de dormance évite à tous les individus portant le même génotype de rencontrer simultanément un environnement peu propice à leur survie ou à leur reproduction.

Un rotifère a survécu à 24 000 ans de gel dans le permafrost arctique.

Les rotifères bdelloïdes vivent généralement dans des environnements aquatiques et ont une incroyable capacité de survie. Les scientifiques russes ont découvert ces créatures dans une carotte de sol gelée extraite du pergélisol sibérien à l’aide d’une foreuse.

Dans une étude publiée récemment dans la revue Current Biology, les chercheurs russes ont utilisé la datation au radiocarbone pour déterminer que les créatures qu’ils ont récupérées dans le pergélisol (un sol gelé toute l’année, à l’exception d’une fine couche près de la surface) avaient environ 24 000 ans.

Ce n’est pas la première fois qu’une vie ancienne est « ranimée » à partir d’un habitat gelé en permanence.

Des tiges de mousse antarctique ont été régénérées avec succès à partir d’un échantillon vieux de 1 000 ans et une fleur de campion vivante a été régénérée à partir de tissu de graine, probablement stocké par un écureuil arctique, qui avait été préservé dans un permafrost vieux de 32 000 ans. Des vers simples, appelés nématodes, ont été « ressuscités » du pergélisol en deux endroits du nord-est de la Sibérie, dans des sédiments vieux de plus de 30 000 ans.


Les bonnes nouvelles du mois : Des investissements privés pour la longévité. L’Union européenne annonce le partage généralisé des données de santé pour ses citoyens d’ici à 2025.


  • Vitalik Buterin fait un don de plus de 2 millions de dollars à la Fondation Methuselah.
  • Michael Greve, fondateur de Forever Healthy, s’engage à verser 300 millions d’euros pour faire progresser les start-ups spécialisées dans le rajeunissement.
  • Dans un document malheureusement peu diffusé, la Commission européenne annonce avoir pour objectif, d’ici à 2025, de faire en sorte que les citoyens de l’Union soient en mesure de partager leurs données de santé avec les prestataires de soins et les autorités de leur choix. Ceci signifierait si c’est suivi d’effet que les citoyens européens pourront partager aisément leurs données pour des recherches scientifiques, notamment de longévité en bonne santé.

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