La mort de la mort. N° 145. Avril 2021. Secrets de longévité des zones bleues

Il est important d’améliorer la santé. Nous voulons améliorer la vie et vous ne pouvez améliorer la vie qu’en améliorant l’espérance de vie. Matthew Hancock. 1921. Secrétaire d’État britannique à la santé et aux affaires sociales (source).


Thème du mois : Secrets de longévité des zones bleues 


Dans le monde, l’espérance de vie est actuellement de 71 ans environ. En 2019, l’espérance de vie à la naissance s’établissait en Belgique à 81,8 ans pour la population totale, 84,0 ans pour les femmes et 79,6 ans pour les hommes.  Dans certains pays d’Asie (Singapour, Corée du Sud, Japon), c’est plus encore.

C’est cependant moins que la longévité exceptionnelle observée dans des zones précises de notre planète où l’on retrouve une grande proportion de centenaires. Ces régions ont été identifiées par deux démographes, Gianni Pes et Michel Poulain et le journaliste Dan Buettner, auteur de l’article The secrets of Long Life paru dans le magazine National Geographic et du livre The Blue Zones.

Les 5 Blue Zones identifiées dans le monde

Sardaigne, Italie

En étudiant la longévité des habitants de la Sardaigne, les démographes Pes et Poulain et leurs collaborateurs ont localisé des zones où vivent davantage de centenaires. Ces longevity hot spots ou Blue Zones (les chercheurs utilisaient initialement un marqueur bleu pour délimiter ces zones sur une carte) se trouvent dans une région montagneuse de l’île, la Barbagia, qui était encore difficile d’accès il y a de cela quelques décennies. Une telle situation géographique favorise la consanguinité, diminuant la diversité du patrimoine génétique. Dans la zone où l’on retrouve une longévité exceptionnelle, au sud-est de la province de Nuoro, 91 personnes sont devenues centenaires parmi les 18 000 personnes qui sont nées dans la région entre 1880 et 1900. Dans un village en particulier (Seulo), 20 centenaires ont été recensés  entre 1996 et 2016. 

L’analyse de gènes impliqués dans l’inflammation, le cancer et les maladies cardiaques n’a pas révélé de différence significative qui pourrait être liée à la longévité exceptionnelle des Sardes. Les chercheurs suspectent donc que les caractéristiques environnementales, le style de vie et la nourriture sont beaucoup plus importants que des prédispositions génétiques pour vivre longtemps et en bonne santé. 

Plusieurs de ces centenaires sardes sont des bergers ou des fermiers qui ont fait beaucoup d’activité physique au grand air tout au long de leur vie. L’alimentation sarde, qui fait partie du fameux régime méditerranéen, pourrait jouer un rôle important. Elle consiste en des légumes cultivés à la maison (surtout des fèves, tomates, aubergines), du pain de grains entiers, du fromage pecorino fait de lait entier de brebis nourries à l’herbe, du vin rouge local particulièrement riche en polyphénols. Le régime n’inclut de la viande qu’une fois par semaine tout au plus.

Lorsque les centenaires sont interrogés à propos de leur longévité exceptionnelle, ils mentionnent fréquemment l’importance de la famille et des liens sociaux. En Sardaigne les vieillards vivent avec la famille et non pas dans des maisons de retraite. Les personnes âgées qui vivent dans la Blue Zone sarde jugent qu’ils ont un excellent bien-être mental et rapportent peu de symptômes de dépression. Une étude italienne auprès de 160 aînés de la Blue Zone sarde rapporte que le trait de résilience était significativement associé avec des marqueurs d’une bonne santé mentale. 

Okinawa, Japon

C’est au Japon qu’on retrouve l’une des plus grandes concentrations de centenaires dans le monde, plus de 34,7 pour 100 000 habitants en 2010. Les habitants des îles de l’archipel Okinawa au sud-ouest du Japon ont une espérance de vie particulièrement élevée et l’on a recensé dans cette préfecture 66,7 centenaires par 100 000 habitants. Les femmes vivant à Okinawa ont 3 fois plus de chance de vivre jusqu’à 100 ans que les Nord-Américaines. La longévité exceptionnelle à Okinawa résulterait d’un ensemble de facteurs favorables qui ne se résument pas au seul patrimoine génétique. La plupart de ces facteurs sont éminemment culturels et liés au style de vie traditionnel d’Okinawa.

Le régime alimentaire d’Okinawa est basé sur les végétaux, beaucoup de légumes à feuilles vertes, patates douces, poissons et fruits de mer. La majorité des centenaires d’Okinawa ont maintenu un jardin potager au cours de leur vie, une activité physique modérée qui permet de rester en forme et de réduire le stress. Les habitants d’Okinawa pratiquent traditionnellement l’auto restriction alimentaire en suivant l’enseignement d’inspiration confucéenne «hara hachi bun me » qui préconise de manger de façon à être rassasié à 80 % à la fin d’un repas. Les personnes âgées à Okinawa sont très actives et maintiennent de forts liens familiaux et sociaux, par exemple lors de réunions régulières appelées « moai ». Il est très important pour eux de donner un sens à leur vie, d’avoir un « ikigai » c’est-à-dire d’avoir une raison de se lever chaque matin.

Nicoya, Costa Rica

L’espérance de vie est relativement élevée au Costa Rica (82,1 pour les femmes et 77,4 pour les hommes), mais elle l’est tout particulièrement dans une région de la péninsule de Nicoya où les hommes âgés de 60 ans ont 7 fois plus de chances de devenir centenaires que les autres Costariciens. Comme la Sardaigne, Nicoya est une région qui a été relativement isolée pendant des centaines d’années. Le taux de mortalité due au cancer y est 23 % moins élevé que dans le reste du pays et les habitants de Nicoya ont un régime alimentaire basé sur les plantes (courges, haricots noirs, tortillas de maïs, beaucoup de fruits locaux), mais qui comprend aussi des œufs et de la viande (poulet et porc). Les centenaires de Nicoya sont très actifs physiquement, ils ont de forts liens familiaux, une forte foi religieuse et ils aiment travailler. Ils sont très peu stressés et sont généralement très positifs et heureux.

Loma Linda, États-Unis

La seule Blue Zone identifiée en Amérique du Nord est située à Loma Linda, une ville de Californie où il y a une communauté de 9000 membres de l’Église adventiste du septième jour. En Californie, un homme adventiste âgé de 30 ans vivra en moyenne 7,3 années de plus qu’un Californien de race blanche du même âge. Une femme adventiste âgée de 30 ans vivra en moyenne 4,4 ans de plus qu’une Californienne du même âge. Sachant qu’environ les deux-tiers des Américains meurent des suites d’une maladie cardiovasculaire ou d’un cancer, il n’est pas surprenant que les adventistes vivent plus longtemps puisque leur mode de vie fait en sorte qu’ils sont moins à risque de développer ces maladies. Environ la moitié des adventistes sont végétariens ou mangent rarement de la viande et les adventistes non végétariens sont deux fois plus à risque de développer une maladie cardiovasculaire. La majorité des adventistes sont non-fumeurs et ne boivent pas d’alcool. Ils ont par conséquent une incidence de cancer du poumon moins élevée que les Américains en général. Les adventistes sont actifs physiquement et ont un esprit communautaire très développé, car ils sont très croyants et leur église incite ses membres à s’entraider.

Ikaria, Grèce

Ikaria est une île de la mer Égée orientale où un habitant sur trois atteint l’âge de 90 ans. L’incidence de cancer, de maladie cardiovasculaire, du diabète et de démence y est significativement moins élevée. Comme en Sardaigne, Okinawa et autres Blue Zones, les Icariens maintiennent un jardin potager à la maison et mènent une vie peu stressante. Le régime alimentaire des Icariens, de type méditerranéen, est composé de légumes (pommes de terre, pois, lentilles, légumes à feuilles vertes), de fruits, d’huile d’olive, de poissons, de lait de chèvre, de produits laitiers et d’un peu de viande. Les Icariens mangent peu de sucre et ils boivent quotidiennement du café, du vin rouge et des tisanes à base de romarin, de sauge et d’origan. Les Icariens qui observent le calendrier de l’Église orthodoxe grecque doivent se soumettre régulièrement à un jeûne. Or, la restriction calorique est reconnue pour ralentir le processus de vieillissement chez les mammifères.

Caractéristiques communes des régions où l’on vit mieux et plus longtemps

Les habitants des « Blue Zones », Okinawa, Sardaigne, Nicoya, Icarie et Loma Linda, partagent des caractéristiques dans leur style de vie qui contribuent à leur longévité. Dan Buettner dans son livre The Blue Zones dresse une liste de 9 caractéristiques communes :

  • Activité physique modérée et régulière, tout au long de la vie.
  • Restriction calorique.
  • Semi-végétarisme, la nourriture provenant en grande partie de plantes.
  • Consommation modérée d’alcool (vin rouge en particulier)
  • Donner un sens à sa vie.
  • Réduire le stress.
  • Engagement dans la spiritualité ou la religion.
  • La famille est au centre de la vie.
  • Engagement social, intégration dans la communauté.

Ces zones bleues ont en commun d’être des zones ensoleillées et aérées. Elles sont aussi relativement isolées, soit géographiquement, soit en fonction de pratiques religieuses (Loma Linda). Les régimes alimentaires sont différents, mais ils ont deux aspects en commun. Le premier est qu’ils sont basés sur les aliments d’origine végétale, avec la viande, le poisson ou le fromage seulement en petite quantité ou pendant les fêtes, aliments locaux, frais, peu transformés. Le deuxième est qu’ils mangent des légumes. Quant aux saveurs, les régimes sont très différents. Si la population d’Ikaria a un régime proche du régime crétois (légumes, poissons, viandes blanches), la population des villages de montagne sardes ne consomme pas de poisson mais de la viande, dont de la charcuterie.

L’étude publiée par Michel Poulain et Gianni Pes identifie l’importance d’un mode de vie sain, en altitude, avec une activité physique, même au-delà de 80 ans, sans stress, avec des liens familiaux et sociaux étroits.

Un lien social très fort

« La longévité (dans ces zones) s’explique à 10% par les gènes et à 90% par le mode de vie», souligne le journaliste américain Dan Buettner, auteur du livre-enquête « Blue zones : Où vit-on mieux et plus longtemps ? ».

Le lien social est au cœur du mode de vie particulier des « zones bleues ».  Le cas de la péninsule de Nicoya au Costa Rica le démontre bien. Sous certains toits de cette région, il n’est pas rare que trois ou quatre générations vivent ensemble. Une étude menée par l’institut allemand Max-Planck a prouvé que le fait de garder régulièrement ses petits-enfants améliorerait les fonctions cognitives, la santé mentale et physique, diminuerait le risque de développer la maladie d’Alzheimer et préviendrait le stress. La transmission du savoir et des souvenirs des grands-parents à leur descendance leur permet aussi de faire travailler leur mémoire. Autre importance des liens sociaux, la communauté des Adventistes du septième jour de Loma Linda en Californie, cinquième zone bleue recensées surnommée l’« oasis de longévité » aux États-Unis. Là, les croyants vivent ensemble et œuvrent chaque jour pour un bien commun, créant alors un sentiment fort d’appartenance. Ce sentiment va au-delà du simple comportement bienveillant les uns envers les autres. La foi est un facteur proéminent. Ensemble, il est plus difficile de céder à la tentation, une lutte commune crée ainsi un soutien social bénéfique qui participe à réduire la mortalité.

Les repas sont également une source importante de lien social. Selon la diététicienne-nutritionniste Alexandra Retion : « On y attribue de moins en moins d’importance, mais les personnes les plus heureuses sont celles qui partagent leur repas, qui passent un moment en famille ou entre amis. C’est très important de prendre le temps de manger, ensemble et donc de partager des bons moments. La convivialité est importante. » La France est plutôt un bonne élève dans le domaine car en 2010, l’ UNESCO a décidé de classer le « repas gastronomique des Français » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une distinction qui reconnaît cette pratique sociale autour de la convivialité, du plaisir du goût, du partage, de l’association avec le vin, du lien aux terroirs, etc.

En guise de conclusion

Depuis bien longtemps, les humains ont cherché des lieux mythiques de longévité. Parfois, les croyances relatives à une vie plus longue sont simplement dues à des registres d’État civil non fiables et une exagération de la longévité. Encore aujourd’hui, certains pensent par exemple que les habitants du Hunza auraient le secret pour vivre jusqu’à 145 ans.

Les zones bleues ne nous permettront pas une longévité sans limite. Cependant, elles nous enseignent que nous pouvons encore progresser nettement pour la longévité en bonne santé, même sans découverte médicale de rupture. Cela peut faire gagner quelques années de vie en bonne santé, même par rapport à la longévité des pays déjà les plus favorisés.


La bonne nouvelle du mois : Les insectes aussi peuvent nous informer à propos de longévité en bonne santé


Nous savons que la durée de vie maximale est fixée génétiquement. Aucune souris (mus musculus) au monde ne vit plus de 4 ans, aucun être humain plus de 122 ans et aucun gastrotriche (petit invertébré marin) ne vivra plus de quelques jours.

Cependant, chez les insectes sociaux, les durées de vie maximales varient considérablement selon le rôle de l’individu. Un article de Science détaille cette situation. L’exemple le plus frappant étant celui de la termite-reine, gigantesque « machine à pondre », vivant jusqu’à 20 ans alors que les ouvrières ne vivent que deux ans. La différence de durée de vie concerne aussi notamment les reines des abeilles et des fourmis. 

L’étude des arthropodes comporte donc des espoirs et des pistes. Surtout que certains de ces insectes démentent le principe général que les animaux de petite taille ont une vie courte.


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