Le pessimisme, c’est pour vendre; l’optimisme, c’est pour la lutte. (…) Si vous regardez l’espérance de vie, vous constatez que, vers les années 1850, elle était de 30 ans pour les femmes. Trente ans! Aujourd’hui, elle est de 85 ans. Ce n’est plus la même femme. Ce n’est plus le même corps. Michel Serres. Philosophe et historien des sciences. Le Soir lundi 3 juin 2019 cité suite à son décès.
Thème du mois: L’horloge épigénétique, marqueur du vieillissement
Brève introduction à l’épigénétique
Pendant longtemps, les biologistes disaient que notre corps était composé de milliards de cellules toutes différentes, mais toutes avec le même code génétique. Il s’agissait bien sûr de l’ADN, une molécule en forme de très long ruban enroulé de manière complexe dans 23 paires de chromosomes et qui « déplié », mesurerait deux mètres de long. Dans la vision traditionnelle, tout se jouait au moment de la conception. Après celle-ci, les cellules se divisaient à de très nombreuses reprises et se spécialisaient, mais en gardant le même code, le même ADN. En principe, donc rien ne changeait avant la création des cellules reproductrices.
Mais, cette compréhension du code fondamental du vivant s’est affinée. Nous savons aujourd’hui que de temps en temps, l’ADN des cellules qui nous composent change soit spontanément, soit sous l’impact de circonstances extérieures et que même les vrais jumeaux (monozygotes) n’ont pas exactement le même patrimoine génétique. Au fur et à mesure de l’avancée en âge et lorsque les circonstances extérieures sont défavorables, ces modifications sont de plus en plus importantes. Les cellules disposent de moyens de réparation de l’ADN endommagé, mais les capacités de réparation semblent moindres pour les personnes en mauvaise santé.
A cette vision déjà fort complexe, il faut ajouter la dimension d’un phénomène qui était encore presque inconnu il y a une vingtaine d’années : l’épigénétique (du grec « épí », « au-dessus de »). Il s’agit des mécanismes modifiant l’expression des gènes sans en changer la séquence nucléotidique (ADN).
C’est l’épigénétique qui permet notamment d’expliquer que, alors que toutes les cellules d’un organisme multicellulaire ont (quasiment) le même patrimoine génétique, elles se développent de manière totalement différente selon la catégorie de cellules auxquelles elles appartiennent, ce qui fait qu’une cellule de la peau « sait » qu’elle ne doit pas se développer comme une cellule du coeur.
Que sont concrètement les modifications épigénétiques ?
L’épigénétique, ce n’est pas de la transformation de l’ADN proprement dit (qui constitue le code génétique), mais ce sont des modifications qui se déroulent également au niveau du noyau de la cellule et qui sont intimement liées à l’ADN. Certaines de ces modifications acquises au cours de la vie, peuvent être transmises à des générations suivantes par exemple suite à des traumatismes, ceci étant contraire au principe que l’on pensait absolu que seul l’ADN détermine comment sera la descendance.
Les altérations épigénétiques comprennent notamment trois mécanismes appelés la méthylation de l’ADN, les modifications d’histones et le remodelage chromatinien.
La méthylation de l’ADN conditionne l’expression des gènes dans chaque cellule. Des bases nucléotidiques peuvent être modifiées par l’addition d’un groupement méthyle. Cette modification de l’ADN est effectuée par des enzymes particulières appelées DNMTs (pour « DNA methyl-transferase »).
Les histones sont des protéines qui permettent la compaction de l’ADN. Par ce mécanisme, l’ADN est enroulé autour des histones comme du fil autour d’une bobine.
La chromatine est la matière composée notamment d’ARN et de protéines dans laquelle l’ADN se trouve empaqueté et compacté, un peu, ici aussi, comme une pelote de fil, mais en beaucoup plus complexe. Les parties les plus « empaquetées » ont le moins de contact avec l’extérieur et les gènes qui y sont situés s’expriment moins ou pas. Le remodelage chromatinien, ce sont les modifications de cet « empaquetage ».
Ce qui précède est simplifié à l’extrême. C’est fascinant et vertigineux que chacune des dizaines de milliers de milliards de noyaux de cellules de notre corps constitue un petit univers. Chaque élément central de l’unité de base de notre corps contient donc non seulement presque tout ce qui est nécessaire à la création d’un être humain, mais aussi des composants organisant l’expression du patrimoine génétique, des différences subtiles et pourtant indispensables et des mécanismes innombrables que nous ne comprenons encore que très partiellement.
Epigénétique et mesure du vieillissement
Tout comme il est aujourd’hui de plus en plus facile de déchiffrer le code ADN y compris les différences entre différentes cellules (par exemple les caractéristiques génétiques des cellules cancéreuses), il est aussi de plus en plus facile de mesurer les différences des composantes épigénétiques.
Ces composantes varient avec l’écoulement du temps, c’est pourquoi l’expression d’horloge épigénétique est employée.
Mais si les variations des composantes étaient uniquement proportionnelles à l’âge chronologique, la mesure des résultats de cette horloge n’aurait pas d’intérêt pour le calcul du vieillissement.
En fait, il est apparu que la rapidité avec laquelle l’horloge avance était fortement corrélée avec d’autres mécanismes de vieillissement. Une personne âgée (ou d’ailleurs une souris âgée) en plus mauvaise santé aura plus de modifications épigénétiques.
Il semble donc possible, simplement en examinant à intervalles réguliers le nombre de modifications épigénétiques dans les cellules d’un être humain, d’avoir une idée de la vitesse de son vieillissement.
Plus précisément, les modifications épigénétiques étant des mécanismes multiples, il y a de nombreux composants qui peuvent être mesurés. Il y a notamment ceux mesurés par le professeur californien Steve Horwath et ceux mesurés par un autre scientifique américain Gregory Hannum.
Comme dans bien des domaines liés aux causes et conséquences de la sénescence, il n’y a pas de consensus pour établir si les modifications épigénétiques sont d’abord une cause ou d’abord une conséquence du vieillissement. Selon certains gérontologues, les changements épigénétiques peuvent être considérés comme le moteur de la croissance et du développement du corps et le vieillissement comme la continuation du programme épigénétique. L’horloge épigénétique, bon prédicteur des causes de mortalité, ne serait donc pas seulement un biomarqueur parmi d’autres, ce serait une cause importante du vieillissement, voire la plus importante.
Un scientifique de la côte est des Etats-Unis, Josh Mitteldorf, a le projet ambitieux de mesurer pendant deux années des milliers de profils épigénétiques de citoyens volontaires qui suivent des traitements anti-vieillissements de toutes sortes dans tous les coins du monde. Ce projet est conçu particulièrement pour rechercher des combinaisons qui fonctionnent bien ensemble, qui interagissent de manière fortement positive. En deux années, à condition que Josh trouve un financement, nous pourrions avoir une vision globale de l’efficacité de centaines de traitements anti-âge.
Ceci aurait une immense utilité, pour limiter des recherches dans des directions qui s’avèrent inefficaces et surtout pour intensifier les recherches de ce qui fonctionne pour permettre à des millions de citoyens avançant en âge de prendre des traitements préventifs et curatifs adéquats.
La bonne nouvelle du mois : Projet public français pour la longévité
Un projet baptisé ExtenSanté est actuellement examiné par des citoyens, des décideurs et des scientifiques afin de favoriser des recherches et des traitements pour lutter contre les maladies liées au vieillissement. La campagne déjà en cours comprend un texte d’explication de la démarche (Travaillons sur les causes plutôt que sur les conséquences), des informations de fond fournies par différents groupements et des affiches
Pour en savoir plus:
- De manière générale, voir notamment: heales.org, sens.org, longevityalliance.org et longecity.org
- Source de l’image en.wikipedia.org/wiki/Epigenetics#/media/File:Nucleosome_1KX5_2.png. ADN associé à des protéines d’histone pour former de la chromatine