Droits d’auteur et longévité. La mort de la mort. Juillet 2019 . Numéro 124.

Il y a des gens qui pensent que sans la perspective de la mort, la vie n’a plus de sens. Mais vous savez, je regarde les jeunes enfants, ils sont pleins de joie de vivre, ils bondissent hors du lit le matin, ils veulent se rencontrer et jouer. Ils ne le font pas parce qu’ils pensent qu’ils vont mourir un jour. Ils vivent pour l’amour de la vie. Ils ne vivent pas pour l’amour de la mort. Et à mon avis, nous sommes tout à fait capables de trouver de nombreux sens à la vie, même s’il n’y a aucune menace de mort devant nous. David Wood, auteur de The abolition of aging. Sur la chaîne Skynews. 19 Juin 2019 (traduction).


Thème du mois : Un copyright pour la pilule de l’immortalité ?


Introduction

Il y a 26 siècles environ, les habitants de Sybaris, colonie grecque dans ce qui est aujourd’hui la Calabre, inventent le droit d’auteur.

Les sybarites étaient réputés pour leur goût du luxe à tous égards, notamment celui de l’alimentation. Ils octroyaient aux cuisiniers le droit exclusif à leurs recettes de cuisine. Selon Phylarque de Naucratis, grec égyptien du 2ème siècle avant Jésus-Christ : « si un cuisinier inventait de nouvelles et succulentes recettes, nul autre de ses confrères n’était autorisé à les mettre en pratique pendant une année, lui seul ayant le privilège de confectionner librement son plat. Le but avoué de la chose était d’encourager les autres cuisiniers à se concurrencer dans la confection de mets toujours plus raffinés« .

En 2019, les fictions juridiques que sont les droits intellectuels ont envahi la vie sociale mondiale, s’immisçant dans les domaines les plus improbables de nos activités: arts, écrits, paroles, danses, inventions, représentations et même beaucoup de ce qui est naturel mais théoriquement appropriable depuis certaines espèces vivantes jusqu’aux objets extra-terrestres. Sont « appropriables » notamment, les médicaments, les techniques médicales, les articles scientifiques de recherche pour une vie plus longue en bonne santé, les noms de produits…

Tout cela s’intègre dans un cadre où les signes, symboles et objets virtuels, occupent une place de plus en plus importante dans la vie sociale. La complexité, la volatilité et les contradictions qui en résultent, génèrent un processus de décision de plus en plus lent, processus qui prend malheureusement peu en compte les objectifs de longévité issus de recherches pour la santé et un meilleur environnement.

Les anciens grecs seraient probablement surpris de constater que malgré toute l’imagination de ceux qui font profession de monétiser toute production de l’esprit, les recettes de cuisine sont généralement considérées aujourd’hui comme non appropriables. Une recette diététique, variante du régime crétois, présumée utile pour la longévité, ne sera pas protégeable.

Mais il serait encore plus surpris de savoir que si une jeune fille de 20 ans écrit ce jour un beau texte pour la promotion de la santé et le publie dans ce qui est aujourd’hui la France, théoriquement, son texte pourra bénéficier financièrement à ses descendants (mais pratiquement à son éditeur) jusqu’au milieu du 22ème siècle, précisément jusqu’en l’an 2159 si la personne décède à 90 ans. Même dans un siècle, en théorie, ils pourront refuser une publication qu’ils considéreront comme ayant un but contraire aux idées de l’auteure. Et si les recherches pour la longévité permettent un jour une vie sans limitation de durée, le droit d’auteur n’aura plus de limite (sauf changement de législation bien sûr).

Droits intellectuels – Droit d’auteur – Copyright – Marques – Brevets

Voici une présentation résumée à l’extrême d’un domaine qui s’étend sur des millions de pages.

Les droits de propriété intellectuelle (en anglais Intellectual Property, IP) sont l’ensemble des droits qui permettent à des personnes de restreindre le droit d’autres personnes d’utiliser certaines choses, productions, oeuvres en raison d’une « propriété » intellectuelle. En théorie, ces droits protègent l’auteur. En pratique, ces droits protègent quasiment toujours les représentants de l’auteur, le plus souvent sans que l’auteur lui-même y gagne quoi que ce soit et ait eu un véritable choix par rapport au contrat. Par exemple une maison d’édition scientifique ou une société de gestion de droit peut empêcher un auteur de mettre ses connaissances au service de la collectivité, une entreprise ayant racheté des brevets médicaux peut empêcher l’inventeur d’une technique médicale nouvelle d’en faire bénéficier ceux qui en ont besoin…

Le droit d’auteur est le droit intellectuel le plus classique. Un article scientifique ou de vulgarisation médicale, sur papier ou en ligne, mais aussi la plupart des autres formes d’expression culturelle originale telles une photo, un schéma médical, une musique relaxante, une sculpture anatomique originale… fera en principe toujours l’objet d’une protection de droit d’auteur.

Le copyright, c’est le même concept globalement mais en droit anglo-saxon, notamment aux Etats-Unis et en Grande=Bretagne. Ceci concerne la plupart des revues médicales et scientifiques prestigieuses (The Lancet, Elsevier, Springer, Nature…). Généralement, le droit d’auteur comme le copyright ne s’éteint que 70 ans après le décès de l’auteur (50 ans dans certains pays). Aujourd’hui, ce droit n’est plus soumis à aucune formalité, le célèbre signe © n’étant généralement plus une obligation.

Les marques bénéficient d’une protection qui va s’étendant dans des domaines parfois absurdes comme des objets courants (même une pomme ou des fenêtres !). Dans le domaine médical, une des nuisances nées de ce droit est que bien des médicaments similaires portent des noms variables pour pouvoir vendre plus, ce qui rend l’accessibilité moindre (par le manque de transparence, les confusions selon les noms des médicaments, les tarifications différentes, …).

Le brevet, c’est le droit intellectuel lié à une invention. Il permet au détenteur du droit de bénéficier de l’exclusivité des droits patrimoniaux issus de son exploitation. Le droit est beaucoup plus court que le droit d’auteur (20 ans parfois prolongeable de 5 ans) et nécessite une formalité, à savoir l’enregistrement. Les médicaments et les dispositifs médicaux sont généralement brevetés.

Des conséquences des droits d’auteur pour les médicaments et thérapies

A la question « Qu’est ce qui peut être utilisé pour les progrès médicaux sans crainte de recours juridique ? », la réponse courte est « Presque rien ». En effet, certains se font une spécialité des recours (sur base de l’ensemble du droit commercial, pas seulement les droits d’auteur) contre toute utilisation novatrice ou plus exactement pour tenter de retirer des bénéfices de toute utilisation novatrice. Une partie de ces démarches seraient comiques si elles n’étaient pas particulièrement nuisibles à la collectivité. Ainsi, des sociétés pharmaceutiques ont essayé de s’emparer de produits qui étaient utilisés par des peuples autochtones depuis des siècles. Très souvent, pour des raisons de droits d’auteur mais aussi pour des raisons fiscales, ces appropriations sont tentées par des entités avec des statuts juridiques de type « startup » et/ou avec une dimension internationale d’une grande opacité. Enfin, les aspects juridiques contribuent, dans un contexte administratif déjà extrêmement lourd, à un environnement d’une complexité souvent surréaliste générant des millions de formulaires d’accords de non divulgation (NDA), de contrats d’auteur et autres dispositions dont personne ne comprend l’ensemble des implications, même pas les avocats et autres juristes qui les écrivent.

Plus largement, il peut y avoir développement d’une évolution globale des désirs des chercheurs fait de l’appât du gain mais aussi de la recherche de la respectabilité née d’accords avec des entreprises privées. Sans startup, certains chercheurs risquent de penser (à tort) qu’ils ne sont rien. Ceci alors que le but d’origine, pour les chercheurs, est souvent d’apporter des bienfaits à la collectivité.

La conséquence négative la plus connue est la croissance de prix à des niveaux inaccessibles pour certaines thérapies car les sociétés doivent générer des bénéfices. Ceci concerne les traitements de maladies dites orphelines et aussi de nombreuses thérapies innovantes. Bien des malades pauvres en meurent. Et là où le système de soins de santé permet l’intervention publique, les coûts sociaux sont élevés.

De plus, pour que les produits se vendent bien, il est important de présenter les résultats de la manière la plus positive et de minimiser les résultats négatifs, ce qui nuit à la transparence.

Lorsqu’un produit pharmaceutique devient libre de droits, les sociétés qui disposaient de brevets seront poussées à faire des recherches visant à légèrement améliorer le produit dans un but nettement plus commercial que thérapeutique. Et surtout, en ce qui concerne les progrès « difficilement appropriables, vendables ou brevetables », la recherche sera très difficile à réaliser par des entreprises privées. Il en va ainsi des recherches prometteuses pour la lutte contre le vieillissement sur la metformine (dont le brevet est expiré).

Généralement, l’ADN et donc toutes les modifications génétiques, particulièrement chez l’humain, sont (heureusement) considérés comme non brevetables. Par contre, les moyens pour parvenir à une modification génétique le sont. Un affrontement juridique complexe oppose les différents chercheurs (et surtout les sociétés!) impliqués dans les recherches de type CRISPR. Si, un jour, une thérapie génique est découverte ayant un impact pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue, rendre cette thérapie accessible à tous devrait être plus facile juridiquement que de photocopier un album de Tintin pour votre petit cousin.

Des conséquences des droits d’auteur pour les publications

Le système de publication pour les articles scientifiques est largement reconnu comme aberrant. Quelques éditeurs privés disposent d’un monopole de fait pour l’édition des revues scientifiques prestigieuses accessibles en ligne. L’accès à ces revues est vendu extrêmement cher et est donc en principe presque inaccessible, non seulement pour les citoyens ordinaires, mais même pour les chercheurs sauf dans les universités « riches ». Heureusement, ces dernières années, des progrès considérables ont eu lieu avec les développements suivants:

De nombreuses publications se font sans le consentement des éditeurs afin de permettre l’accessibilité aux chercheurs. L’initiative la plus connue et la plus efficace est Sci-Hub créé par l’informaticienne kazakh Alexandra Elbakyan. Ces démarches sont généralement considérées comme illicites, même si l’on peut parfois considérer juridiquement que nécessité fait loi pour permettre les recherches qui sauvent des vies. En pratique, il y a de multiples autres moyens d’obtenir des documents de chercheurs, notamment en demandant l’accès aux intéressés.

Au niveau européen, le plan S a l’ambition d’obliger à partir de 2021 à ce que toutes les publications scientifiques financées par des moyens publics soient publiées dans des revues à libre accès. Ce plan s’inscrit dans une logique qui devrait être évidente : ce qui est payé avec des moyens publics doit être mis à disposition du public. Il est à noter, de manière assez surprenante, que la réglementation la plus « progressiste » dans ce domaine est la législation fédérale américaine qui prévoit que ce qui est réalisé par l’administration fédérale est en principe accessible à tous : depuis les photos de la terre par la Nasa jusqu’aux documents utiles à la recherche médicale.

Conclusion et perspectives

Malgré le tableau sombre qui précède, les droits d’auteur ont certainement eu certaines utilités pour la recherche médicale dans l’environnement social et économique actuel. Sans eux, bien des chercheurs n’auraient plus de revenus et bien des recherches pour des produits potentiellement utiles pour la longévité devraient être abandonnées.

Mais une mise en commun radicalement facilitée des projets et des résultats des recherches par des investissements, notamment publics, serait un facteur considérable d’avancée. Il serait utile d’avoir des dispositions légales simples et compréhensibles aboutissant à ce que les résultats des recherches soient « libres de droits » et que l’indemnisation juste des chercheurs et des partenaires privés ne puisse aucunement freiner la mise à disposition des thérapies aux citoyens.


La bonne nouvelle du mois : CHAI, Initiative californienne pour le vieillissement en santé pour un référendum au pays de la Silicon Valley


Des militants longévitistes de Californie et d’ailleurs soutiennent une initiative électorale visant à fournir 12 milliards de dollars en financement public pour la recherche sur la lutte contre le vieillissement au cours des 12 prochaines années. La Californie est l’un des États où les citoyens peuvent créer des lois directement de par leurs votes. En 2004, ce processus a été utilisé avec succès pour affecter trois milliards de dollars à la recherche sur les cellules souches. Mais recueillir des signatures et éduquer le public est une proposition coûteuse. Ils auront besoin d’une vaste coalition d’intérêts (probablement avec des centaines de milliers de signatures de citoyens) pour permettre que le référendum ait lieu.

C’est un enjeu considérable. Si le référendum se tient, cela serait la première fois que des millions d’électeurs seraient directement amenés à se prononcer à propos de recherche pour la longévité. Et quel meilleur endroit pour aborder ces questions que la Silicon Valley ?


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