¿ Viva la muerte ? La mort de la mort. Janvier 2019. N° 118.

Ludovic Mercier, journaliste : Dans une chanson, Freddie Mercury chantait « Qui veut vivre pour toujours ?« 
Aubrey de Grey. On peut se poser la question ! C’est comme demander à la cantonade : “Qui veut un million d’euros ?”. Tout le monde le veut mais personne n’ose répondre. Les gens aiment rendre cela trivial, car ça leur permet de ne pas s’investir émotionnellement. Comme la fenêtre de temps pour ce genre de recherches est très incertaine, comme pour toute technologie pionnière, ils mettent cela à distance. Mais au fond, personne ne veut développer un Alzheimer. Personne ne veut que quelqu’un d’autre développe un Alzheimer. Et tout le monde voudrait qu’il y ait un remède. Je crois que ça vous donne la réponse à la question. Nice-Matin, 18 décembre 2018.


Thème du mois : mortalisme, thanatophilie, dolorisme


De quoi s’agit-il ?

Jamais au grand jamais, pour l’immense majorité des humains et à l’égard de la grande majorité des humains, nous ne souhaiterons la mort d’une autre personne.

Si nous apercevons une personne en danger de mort et que nous sommes seuls à pouvoir agir, la plupart des femmes et les hommes tenteront de la sauver même s’il y a un petit risque pour sa propre vie, même si c’est quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré et même si c’est quelqu’un que nous n’aimons pas.

Le droit à la vie humaine est instinctivement sacré, dépassant tous les autres droits et nos agissements, dans ces cas-là, sont instinctifs.

Mais même si notre acte était raisonné, si nous étions avertis « Dans 10 minutes, vous allez être confronté à une situation où une personne est en danger de mort », nous agirions de même sauf que nous hésiterions probablement plus à risquer notre vie.

De même si l’annonce précisait: « Vous verrez une dame âgée de 80 ans qui tombera à l’eau », peu d’entre nous se diraient « 80 ans, c’est bien assez, il faut faire de la place pour ses petits-enfants. D’ailleurs cette dame n’a plus rien à apporter à la société. Qu’elle se noie ! ».

Cependant, ce type d’argument est utilisé abondamment par les opposants à la longévité pour expliquer pourquoi les personnes âgées considérées collectivement, abstraitement, ne doivent pas vivre plus longtemps.

Il ne s’agit pas dans cette lettre de s’étendre sur la validité des arguments, mais de comprendre pourquoi des citoyens, très respectueux des citoyens âgés individuellement, ne souhaitent pas les sauver collectivement.

Un mort, c’est un drame, un million de morts, une statistique.

Cette expression attribuée à Joseph Staline est la première dimension du paradoxe.

Durant presque toute l’histoire de l’humanité, nous avons vécu en groupes de petite taille. La solidarité s’y exprimait surtout par rapport à des personnes que nous côtoyions tous les jours. Ensuite, depuis qu’existent les civilisations, les échanges se sont élargis, mais les solidarités continuaient à s’exprimer, principalement avec des personnes avec qui nous étions en contact direct. Plus récemment, les solidarités se sont encore étendues vis-vis de personnes qui nous sont étrangères, mais avec des éléments d’identification. Les victimes d’un tremblement de terre ou d’une autre catastrophe naturelle peuvent être lointaines, mais des photos ou des films les rendent identifiables et le caractère exceptionnel nous mobilise.

Par contre, des causes de souffrance ou de mortalité qui existent depuis longtemps, sont moins mobilisatrices, que ce soit des maladies comme la malaria ou les affections liées au vieillissement.

Un mort identifiable, c’est un drame, un mort inconnu, c’est un simple concept.

Lorsque des technologies nouvelles permettent de sauver des vies, nous ne savons généralement pas d’avance quelles seront les personnes sauvées. Les vies épargnées le sont, de manière abstraite. De plus, les résultats des recherches n’apparaissent pas rapidement. Les découvertes médicales de demain ne donnent souvent des résultats qu’après-demain. Enfin, les décès suite au vieillissement sont un mécanisme lent, progressif, universel et aujourd’hui encore inéluctable.

Une expression parfois entendue pour parler de la mobilisation médiatique par rapport à des décès et donc par rapport à l’énergie mise pour les éviter est la loi du mort-kilomètre. Plus un décès est proche, plus il est médiatisé. En réalité, ce qui joue plus encore, c’est la capacité à créer de l’émotion. Les néerlandophones utilisent un mot spécifique aibaarheidsfactor qui pourrait être traduit par facteur de sympathie (« caressabillité »). Plus une personne en danger de mort est « photogénique », plus nous nous en préoccupons, jusqu’à l’absurde et au malsain (un enfant tombé dans un puits mobilisant des dizaines de caméras et des millions de personnes ne pouvant en rien l’aider). Inversément, moins la personne est “photogénique”, plus son risque de décès est banal, moins la mobilisation sera importante.

Les progrès médicaux sont incertains

Pour revenir à l’exemple individuel donné dans cette lettre, si nous nous trouvions devant une personne en danger de mort, mais sans certitude de pouvoir la sauver, nous tenterions quand même de la sauver, probablement avec plus d’énergie que si cela avait été une certitude.

Par contre, lorsqu’il s’agit de sauver des personnes indéterminées sans avoir de certitude, l’énergie est moindre.

Dolorisme

Le dolorisme concerne celles et ceux qui se complaisent dans leur douleur, qui y trouvent plaisir et justification. Tout dolorisme n’est pas lié à la mort et des progrès médicaux ont eu lieu dans l’atténuation des souffrances, mais la dimension d’une sorte « d’accomplissement » par une fin douloureuse reste forte.

Des milliers de pages ont été écrites par tous ceux qui considèrent que la mort en général et la mort par vieillissement en particulier est ce qui donne du sel à la vie. Il faut remarquer que, chez la plupart des croyants, ce point de vue de la beauté d’une vie courte et douloureuse est assorti d’un immense paradoxe puisque, après la mort, il y a une vie éternelle et souvent paradisiaque (chrétiens, musulmans, juifs) ou un retour à des cycles qui peuvent être innombrables et extrêmement longs (bouddhistes, hindouistes).

Comme déjà écrit, sauf dans de très rares cas, ce raisonnement est d’abord un raisonnement collectif. Presque personne ne prétend souhaiter la mort de ses parents ou de ses proches. C’est également un raisonnement affecté d’un biais de statu quo. Presque personne ne prétend que la vie serait meilleure si elle était plus courte, aussi courte que ce qu’elle était il y a deux siècles, par exemple. Par contre, beaucoup s’opposent à allonger la vie « démesurément ».

Mortalisme et thanatophilie

Pour désigner ceux qui souhaitent que la vie ne soit pas (trop) allongée par les progrès médicaux; les anglophones longévitistes utilisent généralement le terme Deathism qui peut être traduit par mortalisme. Il s’agit de l’acceptation de la mort (par vieillissement) qui n’est pas seulement perçue comme inévitable, mais aussi comme nécessaire, un moment désagréable à passer mais dont le bénéfice existe.

Le terme thanatophilie peut aussi être utilisé dans un sens qui met plus l’accent sur le désir de mort. Ceux qui estiment la mort nécessaire diront cependant généralement qu’ils s’agit d’un évèmement utile, mais pas désirable en soi.

Théorie de la gestion de la terreur – Mortality salience

En fait, il est envisageable que la raison profonde qui pousse à être mortaliste, c’est que nous n’avons, aujourd’hui, pas le choix. Si nous échappons aux autres causes de mortalité (qui deviennent de plus en plus rares), nous mourrons de vieillesse. Mourir de vieillesse est un sort insoutenable et inévitable. Le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face (La Rochefoucauld). Donc, en même temps, nous tentons d’oublier notre sort final et nous tentons de le transformer en quelque chose de positif. Attention, ce processus est inconscient. Lorsque nous commençons à nous en rendre compte, son impact diminue. Ce phénomène, abordé dans une lettre de 2010, est appelé Théorie de la gestion de la terreur ou encore Mortality salience.

C’est nécessaire à notre équilibre psychologique que nous sachions vivre avec l’inéluctable. Mais aujourd’hui, alors que nous progressons dans la lutte contre les maladies liées au vieillissement, être apologétique de la mort de vieillesse et des douleurs causées par la sénescence peut avoir pour effet de ralentir les recherches contre le vieillissement.

Conclusion

Si vous lisez cette lettre durant une journée de 2019, au cours des dernières 24 heures, environ 110.000 personnes sont mortes de maladies liées au vieillissement. Elles sont souvent décédées dans des conditions que vous n’imposeriez pas à votre pire ennemi si vous en aviez la possibilité.

Si vous lisez cette lettre quelques décennies après 2019, peut-être que le vieillissement a rejoint la peste, le choléra, les famines, dans le grand concert des souffrances devenues de plus en plus rares.

Le théologien Reinhold Niebuhr, dans sa Prière de la Sérénité, demandait la grâce d’accepter les choses qui ne peuvent être changées, (d’avoir) le courage de changer celles qui devraient l’être, et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre.

Les progrès technologiques vertigineux rendent ces distinctions plus complexes. Il faut accepter avec sérénité la situation d’aujourd’hui, et tenter de la changer demain. Une mobilisation médiatique et psychologique entraînant des progrès scientifiques, environnementaux, d’hygiène, d’investissements sociaux,… pourrait permettre à des millions de femmes et d’hommes âgés de vivre mieux et plus longtemps dans un avenir pas si lointain. Peut-être même  pourrons-nous mieux accepter les souffrances d’aujourd’hui en sachant que demain nous les subirons moins.


La bonne nouvelle du mois : Plus de moyens financiers pour les recherches pour la longévité


Comme l’indique l’excellent périodique en ligne Fight Aging, de plus en plus d’argent est investi dans des entreprises de biotechnologie dans le domaine de la science de la longévité.

Il y a des fonds de capital-risque traditionnels, comme le Longevity Fund, des fonds technologiques comme Kizoo Technology Ventures et Felicis Ventures, il existe aussi des sociétés de capital-investissement et de développement commercial (private equity / business development companies) comme Juvenescence et Life Biosciences.

Ce sont des centaines de millions de dollars et d’euros qui sont investis dans des buts lucratifs, mais aussi pour des progrès de santé potentiellement utiles à tous, surtout si les pouvoirs publics se mettent également à investir pour notre avenir, celui de nos enfants, voire celui de nos parents.


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