La mort de la mort N° 149. Août 2021. Longévité et altruismes.

“Ainsi, pendant des millénaires, la tâche des hommes du peuple et des philosophes rêveurs a été de se demander : « Que se passe-t-il si nous mourons ? ». “Aujourd’hui, nous sommes chargés d’un objectif bien plus ambitieux : celui d’examiner ce qui se passe si nous vivons. […] Et si, pour la première fois dans l’histoire, nous construisions une civilisation dont l’amélioration repose non pas sur la mort, mais sur le déploiement de technologies éthiques ?” Raiany Romanni, chercheuse en bioéthique, Harvard Medical School (traduction). Source.


Thème du mois : Longévité et altruismes


Introduction


L’importance de vouloir le bien des autres, pour les autres (et non pour une raison religieuse ou une obligation morale) est un concept qui a bien plus d’importance aujourd’hui qu’hier. Le mot altruisme lui-même a moins de deux siècles. Il fut créé par Auguste Comte, comme antonyme du mot égoïsme, en 1850. Nous n’aborderons pas dans cette lettre les questions d’ordre philosophique sur les raisons profondes de l’altruisme. L’important dans le cadre de cette lettre est que les solidarités conscientes sont une des raisons des gigantesques progrès sociaux et de longévité. Ainsi, jamais dans l’histoire de l’humanité, nous ne nous sommes plus préoccupés des autres à commencer par les plus âgés, donc les plus faibles, que durant l’épidémie de Covid actuelle.

L’altruisme chez les animaux

L’altruisme ne désigne pas seulement la mobilisation consciente humaine pour autrui. En biologie, l’altruisme fait référence au comportement d’un individu qui augmente la valeur sélective d’un autre individu tout en diminuant ses propres capacités reproductives (fitness). Les comportements altruistes en biologie apparaissent le plus manifestement dans les relations de parenté, comme la sélection de parentèle. Ils peuvent également être observés dans des groupes sociaux plus larges, comme chez les insectes sociaux.

Ils permettent à un individu d’augmenter le succès de transmission de ses gènes en aidant les individus apparentés qui partagent ces mêmes gènes.

L’altruisme dit obligatoire est la perte permanente de capacité directe (avec un potentiel de gain indirect). Par exemple, les abeilles ouvrières peuvent chercher de la nourriture pour la colonie (coût individuel, mais gain collectif).

L’altruisme facultatif est une perte temporaire de capacité directe (avec un potentiel de gain indirect d’une reproduction personnelle). Par exemple, un geai des broussailles de Floride peut aider au nid, puis gagner un territoire parental.

Exemples :

  • Les loups et les chiens sauvages apportent de la viande aux membres de la meute non présents lors de la mise à mort. 
  • Les mangoustes soutiennent les animaux âgés, malades ou blessés.
  • Les suricates ont souvent un garde pour avertir en cas d’attaque de prédateurs pendant que les autres se nourrissent.
  • Les babouins mâles menacent les prédateurs et couvrent l’arrière pendant que la troupe se retire.
  • Des bonobos ont été observés en train d’aider des congénères blessés ou handicapés.
  • Les chauves-souris vampires régurgitent généralement le sang à partager avec des compagnons de gîte malchanceux ou malades qui n’ont pas pu trouver de repas, formant souvent un système de “copinage ».
  • Les lémuriens de tous âges et des deux sexes prendront soin des nourrissons qui ne leur sont pas apparentés.
  • Les dauphins soutiennent les animaux malades ou blessés, nageant sous eux pendant des heures et les poussant à la surface pour qu’ils puissent respirer.
  • Chez de nombreuses espèces d’oiseaux, un couple reproducteur reçoit un soutien pour élever ses petits de la part d’autres oiseaux « aidants », y compris une aide pour nourrir ses oisillons. Certains iront même jusqu’à protéger des prédateurs les petits d’un oiseau non apparenté.

Être altruiste, c’est peut-être bon pour la santé !

Et si aider les autres n’était pas qu’un geste altruiste ? Une étude parue en 2006 dans Evolution and Human Behavior suggère que les comportements d’aide envers les enfants, petits-enfants, ou l’entourage plus lointain donneraient un coup de pouce à la longévité.

Les scientifiques de l’université de Bâle en Suisse ont étudié 500 personnes âgées de 73 à 103 ans. Ils ont remarqué que ceux qui prennent soin de leurs petits-enfants vivent plus longtemps que les autres : la moitié des aidants sont encore en vie dix ans après le début de l’étude, tandis que la moitié des grands-parents moins dévoués décèdent dans les cinq ans.

En l’absence de petits-enfants, l’aide apportée directement aux enfants, comme les tâches ménagères, a les mêmes effets sur la longévité. Un comportement pro-social des grands-parents envers les enfants et petits-enfants permettrait de montrer l’exemple de l’altruisme pour les générations futures et d’inscrire ce modèle dans leur système nerveux et hormonal.

Attention, cependant, il se peut aussi que les différences s’expliquent parce que seuls les grands-parents en bonne santé peuvent s’occuper de leurs petits-enfants, parce que les personnes en mauvaise santé ont moins d’enfants et donc de petits-enfants, moins de contacts, moins d’activités …

Selon des chercheurs américains, le sentiment de bien-être agit sur nos gènes et booste notre système immunitaire. Mais le bonheur se différencie en deux types différents et seul l’altruisme serait capable d’influencer l’épigénome humain.

Le système immunitaire des personnes altruistes se révèle plus développé que celui de personnes ressentant un bien-être hédonique (c’est-à-dire qui consiste à cultiver ses propres émotions afin de se sentir heureux), révèlent les chercheurs dans leur étude publiée par la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (Pnas).

Concrètement, après avoir effectué des prélèvements sanguins sur 80 volontaires en bonne santé, les chercheurs ont observé que le génome humain semble répondre à un état psychologique positif. En cas d’altruisme, les gènes inflammatoires baissent et les gènes antiviraux augmentent, afin de protéger le corps.

Altruisme efficace


La phrase « C’est l’intention qui compte » paraît sympathique, mais elle est en fait moralement peu défendable. Nos actions altruistes doivent être mesurées à l’aune de leur efficacité. Les altruistes efficaces défendent l’idée qu’il faut estimer le rapport « coût – bénéfice » de nos actions pour les autres. Ainsi apporter de la nourriture valant une certaine somme peut être moins altruiste que d’investir la même somme pour une meilleure production agricole par des paysans.

Dans le domaine de la santé, le financement de soins et de médicaments pour diminuer les effets de maladies liées au vieillissement est un acte utile, mais moins que le financement de recherches permettant de mettre fin à ces maladies.

Évidemment, le résultat de ces investissements n’est pas certain et l’avantage est à plus long terme. Le plus souvent, les altruistes efficaces investissent dans des projets assez facilement mesurables et donc pas pour des efforts globaux comme ceux de la recherche. Pourtant les avantages d’avancées globales sont considérables. Un euro pour des soins dans une maison de retraite bénéficiera à quelques personnes. Un euro pour une thérapie pour une vie en bonne santé peut bénéficier à tous.

Le devoir d’altruisme

Aider son prochain dans certaines circonstances est un devoir pour la plupart des courants philosophiques et religieux. C’est aussi une obligation légale chaque fois qu’une personne est en danger dans certains pays comme la France ou l’Allemagne. Cela s’appelle le devoir d’assistance à personne en danger.

Il est arrivé que des personnes soient poursuivies pour ce type de délit parce qu’elles n’avaient pas agi correctement compte tenu des progrès scientifiques. Si la demande et la pression sociale devenaient suffisamment fortes, nous pourrions de même considérer que ne pas investir pour des recherches pour la longévité en bonne santé est un délit. L’État, au moins, pourrait être sommé, juridiquement, voire constitutionnellement, de faire ces investissements (de la même manière qu’il est aujourd’hui sommé de garantir la santé des citoyens).

À noter que le fait que le résultat de l’assistance est incertain n’exonère pas du devoir. Une personne qui refuse d’aider un blessé ne pourra pas se justifier en disant qu’il serait de toute façon probablement mort. Donc le fait que le résultat de recherches soit incertain, ne signifie pas l’absence d’obligation.

La jurisprudence considère généralement que seul l’effet nécessitant une action immédiate doit être considéré. Mais cela pourrait changer.

Altruisme à long terme

Beaucoup de citoyens, notamment écologistes, insistent à raison sur le souci des générations futures. En fait, il s’agit aussi des générations actuelles, car les changements climatiques et les pollutions auront déjà des impacts  de notre vivant. Ils en ont même déjà aujourd’hui. Mais la préoccupation, l’altruisme pour le futur, c’est aussi offrir une vie en meilleure santé et beaucoup plus longue aux enfants qui naîtront demain. 

Enfin, nous pourrions dire qu’il y a même une forme d’altruisme vis-à-vis de cet autrui qui est soi-même à long terme. Beaucoup de nos comportements sont un choix entre intérêt à court terme (« mal » manger, fumer, se distraire…) et intérêt à long terme (faire de l’exercice, étudier,…). Le choix de travailler pour une vie plus longue en meilleure santé est à mon sens un altruisme pour son moi futur.


Bonne nouvelle du mois. Potentialités des thérapies géniques.


C’est le patrimoine génétique qui détermine assez précisément la durée maximale de vie d’un humain, de tout autre mammifère et de la plupart des animaux. Les potentialités des thérapies géniques pour la longévité s’étendent et se précisent. Le célèbre scientifique Georges Church a donné une interview à ce sujet pour l’organisation Lifespan.io.

Pour en savoir plus :