Lettre mensuelle de Heales. La mort de la mort N°180. Avril 2024. Organes sur puce


L’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle générative par les professionnels de la santé doit se généraliser ; il serait contraire à l’éthique de se passer de l’aide de ces outils.

Principe éthique de l’Académie de médecine. Les systèmes d’IA générative dans le domaine de la santé : enjeux et perspectives, 5 mars 2024.


Le thème de ce mois-ci : Organes sur puce


Introduction

L’organe sur puce (OOC) est une technologie qui implique la création de dispositifs de culture cellulaire microfluidiques qui simulent les activités, la mécanique et les réponses physiologiques d’organes ou de systèmes d’organes entiers.

Ces puces contiennent généralement de petites chambres tapissées de cellules vivantes qui imitent la structure et la fonction d’organes spécifiques, tels que le cœur, le foie, les poumons ou les reins. L’objectif de la technologie des organes sur puce est de fournir un modèle plus précis de la physiologie humaine par rapport aux cultures cellulaires 2D traditionnelles ou aux tests sur les animaux.

En recréant le microenvironnement d’un organe, y compris des facteurs tels que la circulation des fluides, les forces mécaniques et les interactions cellule-cellule, les chercheurs peuvent étudier les mécanismes des maladies, tester l’efficacité et la toxicité des médicaments et même personnaliser la médecine. Chaque puce peut reproduire certaines fonctions de l’organe correspondant, ce qui permet aux chercheurs d’étudier les interactions entre les différents organes et systèmes du corps, ce que l’on appelle les systèmes « corps sur puce ». Cette technologie pourrait accélérer la découverte de médicaments, les tests toxicologiques et la médecine personnalisée en offrant des modèles plus fiables et plus pertinents pour l’étude de la biologie et des maladies humaines. Certains aspects liés au vieillissement ont été étudiés, mais il reste encore à suivre les interactions entre les organes sur le long terme et les aspects liés à la sénescence.

La différence entre un organe sur puce et un organoïde réside dans le fait que les organes sur puce sont des dispositifs microfluidiques imitant les réponses physiologiques d’organes entiers, offrant un contrôle précis des micro environnements pour les tests de médicaments et la modélisation des maladies, tandis que les organoïdes sont des amas cellulaires en 3D dérivés de cellules souches, reproduisant les structures et les fonctions d’organes spécifiques, servant d’outils précieux pour l’étude du développement, des maladies et de la médecine personnalisée, bien qu’avec un contrôle moindre des micro environnements.

Comparaison des caractéristiques des cultures cellulaires 2D et 3D

Types d’organes sur puce

Poumon

Une étude réalisée en 2021 montre que la technologie du poumon sur puce utilise une membrane biologique, extensible et biodégradable composée de collagène et d’élastine, qui simule un réseau d’alvéoles miniatures dont les dimensions sont proches de celles que l’on trouve in vivo. Cette membrane se biodégrade et peut être facilement personnalisée en termes d’épaisseur, de composition et de rigidité grâce à un processus de fabrication simple. La barrière air-sang est reconstruite à l’aide de cellules épithéliales alvéolaires pulmonaires primaires provenant de patients et de cellules endothéliales pulmonaires primaires. La membrane conserve notamment les marqueurs typiques des cellules épithéliales alvéolaires et préserve les propriétés de la barrière jusqu’à trois semaines.

Rein

En utilisant la technologie du rein sur puce, les chercheurs peuvent reproduire les conditions physiologiques que l’on trouve dans les organes humains. Divers modèles de rein sur puce ont été créés pour imiter le microenvironnement du tubule rénal, démontrant une plus grande précision dans la prédiction de la néphrotoxicité des médicaments par rapport aux méthodes traditionnelles. En utilisant des plateformes de rein sur puce, les chercheurs peuvent évaluer diverses réponses biologiques induites par les médicaments. À l’avenir, l’intégration des reins sur puce dans des systèmes multi-organes est prévue. En outre, le rein sur puce est prometteur pour la modélisation de la maladie et le développement de nouvelles thérapies de remplacement rénal.

Pancréas

La plateforme Pancréas-sur-puce émule la fonctionnalité native et les interactions cellulaires des cellules pancréatiques avec plus de précision que les modèles conventionnels de culture de cellules humaines. Cette puce facilite la reproduction de la dynamique de l’écoulement des fluides observée in vivo. L’utilisation du pancréas sur puce a permis de répondre à une question fondamentale concernant le diabète lié à la mucoviscidose (DFM) : la perte de la fonction CFTR dans les cellules épithéliales du canal pancréatique (PDEC) est-elle un facteur primordial dans le développement du DFM ? Une étude suggère qu’en effet, le dysfonctionnement de la CFTR dans les cellules épithéliales du canal pancréatique contribue de manière significative à l’apparition de la fibrose kystique. 

Cœur

Les maladies cardiovasculaires (MCV) constituent la première cause de mortalité dans de nombreux pays. Cependant, le développement de médicaments cardiovasculaires se heurte à des obstacles importants : (a) les modèles animaux pour les MCV ne permettent souvent pas de prédire les réactions humaines ; (b) les effets indésirables varient d’un organisme à l’autre ; et (c) le processus est long et coûteux. Des technologies d’organes sur puce ont été proposées pour reproduire les conditions dynamiques du système cardiovasculaire, en particulier le cœur et le système vasculaire général. Ces systèmes s’attachent particulièrement à reproduire l’organisation structurelle, la contrainte de cisaillement, la pression transmurale, l’étirement mécanique et la stimulation électrique.

Un cœur battant sur puce a été conçu avec des tissus cardiaques de micro-ingénierie hautement fonctionnels, permettant de prédire les changements hypertrophiques dans les cellules cardiaques. Ce dispositif innovant démontre la capacité de produire des microtissus cardiaques avec un couplage mécanique et électrique amélioré entre les cellules voisines. En outre, le modèle présente un effet chronotrope positif lorsqu’il est exposé à l’isoprénaline, ce qui suggère son utilité potentielle pour la découverte de médicaments et les études de toxicité.

Entreprises impliquées dans le développement de la technologie

Plusieurs grandes entreprises sont à la tête du développement de modèles d’organes sur puce dans le monde entier. En Europe, nous avons Mimetas, dont le siège est aux Pays-Bas, qui offre une large gamme de modèles d’organes sur puce, y compris les reins, les intestins, les tumeurs et autres. Elvesys, basée en France, se concentre sur le développement de systèmes microfluidiques. AlveoliX, située en Suisse, est spécialisée dans les modèles de poumons humains sur puce. TissUse, basée en Allemagne, propose des solutions multi-organes sur puce. Enfin, BiomimX, basée en Italie, est reconnue pour son expertise dans la génération de modèles prédictifs d’organes et de pathologies humaines pour les tests de médicaments.

Emulate, l’une des principales entreprises dans ce domaine, est basée aux États-Unis et se spécialise dans la création de modèles avancés tels que les poumons sur puce, les intestins sur puce et les systèmes de barrière hémato-encéphalique sur puce. AxoSim, basée aux États-Unis, se consacre à la création de puces microfluidiques spécialisées dans la lutte contre le cancer. TaraBiosystems, une autre société basée aux États-Unis, est connue pour ses modèles de cœur sur puce. Nortis Bio, basée aux États-Unis, est spécialisée dans les modèles de reins sur puce. BioIVT, également basée aux États-Unis, fournit des modèles établis tels que les îlots pancréatiques et l’épithélium des voies respiratoires pulmonaires.

Utilisation d’organes sur puce dans les études de longévité

Les organoïdes et la technologie des puces microfluidiques représentent des avancées significatives en biologie moléculaire. Les organoïdes, modèles miniatures d’organes générés à partir de cellules souches, imitent efficacement la morphologie et la fonction des organes réels. D’autre part, les organes sur puce utilisent des tunnels sculptés de manière complexe sur des surfaces en plastique ou en polymère pour héberger des cellules et stimuler la circulation sanguine dans le corps humain. Ces technologies sont apparues comme des solutions aux défis posés par le développement de médicaments, qui est souvent lent, coûteux et susceptible d’échouer en raison d’outils prédictifs inadéquats. En combinant les organoïdes et les organes sur puce pour créer des « organoïdes sur puce », les chercheurs peuvent tirer parti de la précision biologique des organoïdes et des capacités dynamiques des puces microfluidiques, ce qui permet d’étudier plus précisément les caractéristiques des maladies et les réactions aux médicaments. Par exemple, l’intégration d’un système vasculaire fonctionnel dans les organoïdes améliore leur complexité et leur pertinence physiologique. Le potentiel des organoïdes sur puce va au-delà du dépistage des médicaments et s’étend à des applications en médecine régénérative et en recherche biologique fondamentale. Ces technologies pourraient révolutionner la recherche médicale et les pratiques de développement de médicaments, en remplaçant éventuellement les tests sur les animaux dans les études toxicologiques et en développant des thérapies personnalisées.

BIOFABICS, une start-up portugaise financée par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne, est pionnière en matière d’outils de conception personnalisés pour la biofabrication, en particulier dans le domaine émergent de la technologie des organes sur puce (OOC). L’objectif de l’entreprise est d’exploiter les processus de personnalisation automatisés pour permettre aux utilisateurs de créer de vastes réseaux de modèles d’organes interconnectés. Actuellement, BIOFABICS se consacre principalement à la recherche préclinique.

En 2022, la NASA, en collaboration avec les National Institutes of Health (NIH), la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) du ministère de la santé et des services sociaux et la Food and Drug Administration (FDA), a sélectionné 8 projets de recherche visant à accroître la longévité des puces tissulaires 3D à un minimum de 6 mois. Cet effort multi-agences vise à prolonger la viabilité des tissus et la fonction physiologique grâce à des capacités d’ingénierie automatisées, permettant des lectures en ligne en temps réel dans des modèles humains in vitro complexes, tels que les puces tissulaires ou les systèmes microphysiologiques. Les objectifs scientifiques de cette initiative étaient notamment de mieux comprendre les modèles de maladies, de faciliter le développement de médicaments, d’optimiser la conception des essais cliniques, de comprendre les expositions chimiques et environnementales et les contre-mesures, et d’étudier les changements physiologiques induits par l’environnement des vols spatiaux. La caractérisation approfondie des puces tissulaires, en particulier la distinction entre les expositions aiguës et chroniques, est essentielle à la réussite de ces projets et marque une avancée significative dans l’évolution de ces technologies.


La bonne nouvelle du mois : Rajeunir l’immunité des personnes âgées en éliminant les cellules souches à tendance myéloïde


Des chercheurs de l’université de Stanford (Etats-Unis) ont découvert que l’épuisement des cellules souches hématopoïétiques à base myéloïde (my-HSC) chez des souris âgées rajeunissait leur système immunitaire, en stimulant les progéniteurs lymphocytaires, les cellules T naïves et les cellules B. Cela a conduit à une amélioration des réponses immunitaires aux infections virales. Ceci laisse entrevoir une approche potentielle pour lutter contre le déclin immunitaire et l’inflammation liés à l’âge.


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