La mort de la mort N° 142. Tout ce qui ne te tue pas te renforce-t-il ? L’hormèse. Janvier 2021

J’évoquais (…) les travaux des prix Nobel de 2009, Blackburn, et Greider (…) qui dans leur conférence de presse sur les télomérases nous ont dit:  (…) On va vivre entre 300 et 600 ans. Je dis cela devant un parterre de patrons qui éclate de rire. (…). Vous les prendriez ces gélules ? Mais bien sûr, je les prendrais. Evidemment! Roselyne Bachelot (ancienne ministre de la santé) en 2016. Pourquoi Google veut-il nous rendre immortels ?  


Thème du mois : Tout ce qui ne te tue pas te renforce-t-il ? L’hormèse .


L’hormèse est un principe biologique qui nous permet d’améliorer naturellement les fonctions de notre corps, sa résistance, son immunité… C’est en fait une aide précieuse pour se maintenir en forme, face aux effets de l’âge.

C’est un sujet particulièrement d’actualité vu l’importance de bonnes défenses immunitaires pour éviter ou limiter l’impact des infections virales. Encore peu connue, l’hormèse fait l’objet de nombreuses études scientifiques depuis une vingtaine d’années.

L’hormèse, comment ça marche ?

À la base, l’hormèse est une stimulation des défenses biologiques d’un organisme vivant, en réponse à une faible dose de toxines ou d’un autre agent générateur de stress. Ceci existe chez tous les êtres vivants, à commencer par la simple cellule.

En pratique, la règle est simple : Soumettez votre corps à un stress intense et inhabituel, généralement de courte durée, suivi d’un temps de repos et de récupération, et il se renforcera, pour s’adapter et mieux résister la prochaine fois. Ceci illustre bien la citation de Nietzsche : « Ce qui ne tue pas, rend plus fort ».

Ce stress peut être une substance toxique, une exposition à une température extrême ou à des radiations, un effort musculaire inhabituel, une contrainte physique ou psychologique, une privation de nutriments ou d’oxygène, qui retentit directement sur le fonctionnement de nos cellules.

L’hormèse a pour conséquence paradoxale que le confort accru de notre vie quotidienne n’améliore pas toujours notre santé. Chauffage ou climatisation en permanence, nourriture « calibrée », déplacements motorisés, environnement aseptisé… notre confort moderne peut nous affaiblir. 

L’hormèse va tout d’abord améliorer nos fonctions d’adaptation à l’environnement et aux contraintes extérieures : régulation de la température du corps, résistance musculaire, utilisation des nutriments, création ou stockage d’énergie au sein de nos cellules …

Ce faisant, elle renforce d’autres grandes fonctions vitales (circulatoires, immunitaires, réparatrices, nerveuses…). 

Il ne faut pas confondre le stress de courte durée, plutôt salutaire, avec le stress chronique. Ce dernier accentue le vieillissement et débouche souvent sur la maladie (notamment le stress psychologique permanent, fréquent de nos jours).

Voici l’illustration du phénomène. En dessous d’un certain seuil, la stimulation par le stress est trop faible pour induire un renforcement de l’organisme, mais au-dessus d’un deuxième seuil, il existe un risque de toxicité ou de dégradation.

La « zone hormétique » varie selon les individus et dépend notamment de leur état de forme physique et psychologique.

La dose (ou l’intensité) d’un stress biologique ou d’un nutriment est donc essentielle pour déterminer si elle aura des effets bénéfiques ou toxiques. La citation célèbre de Paracelse au 16e siècle « Tout est poison et rien n’est sans poison; la dose seule fait que quelque chose n’est pas un poison. » a été complétée au 19e siècle selon la loi dite de Arndt-Schulz : « Pour toute substance, de faibles doses stimulent, des doses modérées inhibent, des doses trop fortes tuent.« 

À ce jour, on ne comprend pas complètement comment l’hormèse peut améliorer la durée de vie. Beaucoup de procédés dits « anti-âge » agiraient en fait par le mécanisme de l’hormèse (c’est le cas par exemple de la restriction calorique, ou de la prise de rapamycine).

L’hormèse s’applique-t-elle à toute substance ou action toxique à forte dose ? Probablement pas. Par exemple, pour les perturbateurs hormonaux, les études semblent démontrer qu’il y a accumulation des effets toxiques même avec des doses très faibles.

Les substances phytochimiques des plantes

Les substances phytochimiques telles que les alcaloïdes, les polyphénols et les terpénoïdes activent les mêmes processus que la restriction calorique, le jeûne et l’exercice. De nombreux effets bénéfiques des fruits et légumes peuvent donc être dus à l’activation des voies de résistance au stress par les substances que les plantes sécrètent pour se protéger.

La caféine, l’EGCG (thé vert), la curcumine, la glucosamine, les polyphénols, les polysaccharides, la quercétine (oignon), le resvératrol (raisin et vin), la spermidine (soja, champignon) et le sulforaphane (brocoli) sont des molécules qui produisent des effets hormétiques.

Par exemple, une faible dose de sulforaphane protège les cellules contre le stress oxydant, une dose plus élevée de ce composé a des effets toxiques sur les cellules qui entraînent la mort cellulaire. De même, une faible dose de resvératrol (2 mg/kg) réduit les ulcères d’estomac induits par l’inflammation chez les souris, alors que des doses plus élevées (5 et 10 mg/kg) augmentent la formation d’ulcères et des marqueurs de l’inflammation.

Hormèse et polluants

Les molécules chimiques PFAS, également surnommées polluants perfluorés ou polluants éternels, font partie de notre quotidien. Il a été montré depuis les années 2000 que ces éléments contaminent les écosystèmes, et ce même dans des zones très éloignées des activités humaines, telles que les régions Arctiques.

Or, une étude du Centre d’études biologiques de Chizé et de ses partenaires norvégiens a montré que l’exposition à ces polluants est associée à une plus faible érosion des télomères et à une survie accrue chez un oiseau marin de cette zone. Ces résultats surprenants ont été publiés en juillet 2020. Cette étude est la première à faire le lien entre les télomères, mécanisme majeur du vieillissement, la longévité et la contamination par ces polluants, de plus en plus présents en Arctique.

Hormèse et radiations

Selon l’hypothèse de l’hormèse des radiations, de faibles doses de radiations peuvent stimuler l’activation de mécanismes de réparation qui protègent contre les maladies et qui ne sont pas activés en l’absence de radiations ionisantes.

Par faible dose, on entend ici des petites doses supplémentaires comparables au rayonnement de fond normal (10 µSv = dose quotidienne moyenne reçue du fond naturel). Étant donné qu’à fortes doses, les effets négatifs sont irréfutables, il doit exister un seuil entre les effets bénéfiques et les effets négatifs des rayonnements. Ce seuil est connu sous le nom de point équivalent zéro (ZEP).

Hormèse et augmentation de l’immunité

Notre système immunitaire se renforce avec les expositions répétées aux agents microbiens (par exemple, les enfants jouant dans la terre ont moins d’infections que ceux qui vivent dans un environnement plus « aseptisé »).

Le principe d’hormèse se retrouve aussi dans les traitements de désensibilisation des allergies ou de vaccination. On expose les sujets à une très faible quantité d’agent pathogène pour que leur corps apprenne à y résister. Un peu comme le roi Mithridate qui, craignant d’être empoisonné, buvait une petite quantité de poison chaque matin.

Il a été montré que l’hormèse déclenchée par l’exposition au chaud (sauna), pouvait améliorer l’immunité générale. Celle déclenchée par l’exposition brève au froid peut rendre le système immunitaire capable de mieux répondre aux infections et toxines bactériennes.

Certains médicaments ont une action de protection contre les maladies infectieuses, fonctionnant selon ce principe, qui augmente la résistance à l’infection. Les dégâts infectieux sur les tissus du corps sont alors diminués, sans que la substance n’ait eu d’action directe sur les agents pathogènes .

Les remèdes dits « adaptogènes » (comme le ginseng) agiraient dans ce sens, en demandant au corps un effort d’adaptation au produit, qui sera suivi d’un renforcement de l’immunité et d’une amélioration générale de la capacité d’adaptation au stress.

Fabrication de fibres musculaires

L’effort intense, même de courte durée, va stimuler la fabrication de muscles. Cette synthèse musculaire qui s’étiole avec l’âge et ses modifications hormonales, trouvera dans l’hormèse une aide précieuse.

La circulation sanguine et lymphatique

L’hormèse peut contrer la diminution progressive du volume sanguin circulant qui est liée au vieillissement, et source de maladies et de dégénérescence. Si l’on parle le plus souvent d’efforts physiques ou intellectuels brefs et répétés comme déclencheurs, l’apport de certaines substances nutritionnelles (notamment végétales et appelées « hormétines »), induisent un stress digestif qui peut aussi lancer l’hormèse. En fait elles demandent un effort particulier à notre tube digestif car elles sont tout simplement difficiles à digérer.

Hormèse et  capacités cognitives

Les phénomènes liés à l’hormèse luttent contre la neurodégénérescence du sujet âgé. Ainsi, dans certaines conditions, la cigarette pourrait avoir un effet protecteur contre la neurodégénérescence comme la maladie de Parkinson ou d‘Alzheimer. Attention, cet exemple est extrême et les effets négatifs de la consommation de tabac l’emportent (bien sûr) largement sur les effets positifs.

La production des substances réactives de l’oxygène, lorsque des réactions d’oxydation  ont lieu dans notre corps, peut aussi déclencher une hormèse bénéfique. On sait pourtant que l’oxydation est liée au vieillissement, mais il faudrait, a priori, faire la différence entre des phénomènes d’oxydation ponctuels et ce que l’on appelle le « stress oxydatif » durable. Dans ce dernier cas, le corps se défend avec ses anti-oxydants.

En fait, cette hormèse là serait la résultante de plusieurs facteurs métaboliques dont la stimulation de l’autophagie, ce processus régénérant de nos cellules qui se déclenche notamment lors du jeûne. Notons, par la même occasion, que nombre de facteurs favorables à l’hormèse sont aussi favorables à l’autophagie : jeûne, exercice intense, substances adaptogènes.

Hormèse et alimentation

On classe aujourd’hui les jeûnes dans les inducteurs de l’hormèse. Au niveau cellulaire, notre corps possède en effet de puissants mécanismes d’adaptation à la privation de nutriments.

La restriction calorique, ou encore la restriction protéique sont des méthodes pour améliorer la longévité en bonne santé. Ainsi, en situation de privation de nutriments, le corps s’adapte en mettant en jeu plusieurs voies métaboliques, dont l’autophagie et se renforce en conséquence.

Un stress généré par une alimentation réduite (sans aller jusqu’à la malnutrition), voire par des périodes de jeûne, peut améliorer la santé et la longévité, au moins partiellement, au travers des processus d’hormèse.

Cependant, les effets de la restriction alimentaire semblent plus importants chez les animaux à vie courte et sont donc vraisemblablement assez limités chez l’humain, outre que la restriction calorique est fort difficile à suivre.

Hormèse et respiration

Priver nos cellules de leur oxygène vital leur crée un grand stress. Toutefois, si cela ne dure pas trop longtemps, l’hormèse va enclencher des mécanismes fort intéressants pour la santé. Dans l’autre sens, une hyperventilation qui va accroître le taux d’oxygène sanguin, peut aussi activer l’hormèse.

Il a été montré, par exemple que réduire momentanément la circulation sanguine (comme on le fait souvent avant une chirurgie cardiaque), pouvait protéger le coeur et le cerveau.

Hormèse et esthétique du corps

On cherche bien entendu beaucoup à améliorer la peau par des soins esthétiques. Depuis longtemps, ces soins pour revitaliser et avoir un effet rajeunissant sur la peau utilisent les principes de l’hormèse. Divers soins exfoliants (comme les peelings), les microtraumatismes répétés par piqûres et autres claques du visage, sont proposés pour lutter notamment contre le relâchement cutané.

L’hormèse en pratique

Mettre en pratique l’hormèse, c’est sortir de sa zone de confort pour une durée limitée et ensuite récupérer avec un temps de repos où le corps se renforce … à condition   de respecter certaines doses. 

Par exemple :

  • Exposition au froid : certains prendront un bain glacé de 3 minutes, d’autres se doucheront simplement à l’eau froide.
  • Exposition à la chaleur par le sauna.
  • Exercice de haute intensité : L’effort est totalement différent d’une personne à l’autre, selon ses capacités physiques et son état du moment. De même pour la musculation, le yoga…).
  • Alimentation : certains sauteront un repas (jeûne intermittent), d’autres ne mangeront pas pendant plusieurs jours. Pour d’autres, certains alcools à petite dose ont un effet positif.

Conclusion et perspectives

Le proverbe « Tout ce qui ne te tue pas, te renforce » est joli, rassurant pour ceux qui ont subi des traumatismes, mais est malheureusement faux si les doses adéquates ne sont pas respectées.

Ainsi, les personnes qui ont survécu à la famine du dernier hiver de la seconde guerre mondiale aux Pays-Bas et même leurs descendants ont eu une moins bonne santé. Ainsi surtout aujourd’hui, les personnes qui ont été atteintes de la Covid auront presque certainement une espérance de vie moins longue.

Votre grand-mère vous le disait peut-être déjà: Ni trop, ni trop peu. Mais le dosage, le « fine tuning » des substances et actions utiles à la longévité nécessite des recherches considérables.

Déterminer si des substances toxiques le sont ou pas à très faibles doses et à partir de quelles doses est très important. D’autant qu’il y a des intérêts financiers, politiques et idéologiques considérables en jeu.

Ici, comme dans d’autres domaines, le débat sur le principe de précaution devrait rejoindre celui sur le principe de « proactivité ». Il ne s’agit pas seulement d’empêcher ce qui pourrait être dangereux, mais de déterminer ce qui pourrait être utile et comment. Les données massives de santé (big data), les expérimentations rigoureuses nouvelles avec des volontaires informés et l’étude scientifique et médicale des mécanismes physiques, physiologiques, génétiques, etc., le permettent. Ils devraient nous faire progresser vers une vie en bonne santé beaucoup plus longue.


Les bonnes nouvelles du mois : Soutien financier aux recherches par des citoyens et livres relatifs à la lutte contre le vieillissement


La campagne de dons “Unlock Longevity” organisée par la SENS Foundation  a récolté plus de 2 millions de dollars de donations privées pour soutenir les recherches les plus prometteuses !

Deux ouvrages font le point et défendent les avancées pour la réjuvénation. Dans le monde anglophone, le livre Ageless: The New Science of Getting Older Without Getting Old du docteur Andrew Steele a notamment été commenté dans le Guardian. Dans le monde francophone, l’ouvrage La mort de la mort. Les avancées scientifiques vers l’immortalité de José Cordeiro et David Wood, a largement été abordé dans la presse.


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