La mort de la mort. N° 141. Les cosmétiques et la longévité. Décembre 2020

L’être humain est composé à 50% de micro-organismes qui l’aident à fonctionner. Cette découverte va nous permettre, dans les années à venir, de mieux comprendre comment la peau nous protège, évolue et vieillit.

 Véronique Delvigne, Lancôme.


Thème du mois : Les cosmétiques et la longévité


L’histoire des cosmétiques

C’est avant tout l’histoire d’un regard, le regard que nous portons sur nous-mêmes, le regard que nous portons sur les autres. De la Préhistoire à nos jours, ce regard a changé, dictant des modes et édictant des règles qui tour à tour paraissent obsolètes ou, bien au contraire, le comble de la modernité. 

Tout cela a commencé il y a environ 12.000 ans lorsque les anciens Égyptiens ont découvert les capacités de guérison des huiles parfumées. À partir de ce moment, leur industrie cosmétique s’est développée, au point où elle est devenue une partie importante de leur religion. Les dieux ont été honorés par l’ensemble de la population avec une large utilisation des cosmétiques. Presque tout le monde a utilisé des huiles, des eyeliners et des produits similaires, pour améliorer l’apparence. Même si certains de leurs ingrédients étaient toxiques, l’attrait des cosmétiques n’a pas diminué.

Les cosmétiques ont trouvé aussi leur chemin en dehors de l’Égypte. Ils ont atteint une grande popularité en Grèce et à Rome. Dans la “ville éternelle”, il fut même un temps où les femmes n’étaient pas considérées comme belles si elles ne portaient pas de cosmétiques. Cela a conduit à l’inflation des prix. Des femmes riches ont investi des fortunes dans des produits cosmétiques coûteux en provenance de l’Inde et du Moyen-Orient. Cependant, à un moment donné, beaucoup ont commencé à les considérer comme extravagants et non nécessaires. Pour lutter contre l’épidémie des cosmétiques, le Sénat romain a promulgué la loi “LexOppia” de 189 avant J.-C qui interdit les expositions publiques de produits cosmétiques et de vêtements féminins extravagants dans toutes les villes de la République romaine.

L’âge des ténèbres en Europe a été l’époque où les cosmétiques ont presque disparu de la pratique publique. En raison de la tradition des prostituées d’utiliser des quantités excessives de cosmétiques pour cacher leur âge et exagérer leur beauté, les cosmétiques ont été totalement abandonnés par la majorité de la population européenne pendant des siècles. Les rois et les reines ont fait des déclarations publiques pour dire que le port de cosmétiques n’était pas décent, les responsables de l’Église ont répandu la croyance que les cosmétiques sont utilisés uniquement par les païens et les adorateurs de Satan et, pendant très longtemps, seuls les acteurs de scène étaient autorisés à les utiliser, mais seulement pendant leurs représentations.

La cosmétique en quête de science

Les cosmétiques et les produits de soin occupent une place importante dans notre quotidien. Ainsi, chaque jour, le consommateur belge utilise près de 18 grammes de produits de soins

Jadis, la noble dermatologie ignorait la futile cosmétique. Mais aujourd’hui la cosmétique se médicalise tandis que la dermatologie profite des innovations des industriels de la beauté. Témoin de ce rapprochement : l’essor du terme dermocosmétique (en anglais cosmeceutical), promu par les industriels comme caution médicale à leurs produits.

Le virage de la cosmétique vers la recherche a été entamé au début des années 80, quand les biologistes ont fait irruption dans un domaine jusque-là aux mains des chimistes et des pharmaciens, portant sur la peau un regard différent : non plus une simple barrière séparant le corps de l’extérieur, mais un véritable organe aux propriétés immunologiques, sensorielles et physiologiques complexes.

Une série d’innovations a rythmé ce virage vers la recherche : introduction en 1984 de la vitamine A acide, aujourd’hui molécule reine des anti-âges, premières cultures de peau en 1985 et, l’année suivante, lancement par Dior des liposomes, ces vésicules lipidiques qui transportent le principe actif jusqu’à la zone à traiter. Cette cascade d’innovations s’est accompagnée d’un envol des dépenses en recherche et développement. L’Oréal, numéro un mondial de la cosmétique, a ainsi triplé son budget de recherche en dix ans pour atteindre 985 millions d’euros en 2019. En moyenne, le secteur de la cosmétique dépense 4 % de son chiffre d’affaires en recherche et développement. Attention, cela reste cependant négligeable par rapport aux dépenses publicitaires.

Le point sur les dernières avancées anti-âge…

Décryptage biologique

Chaque année apporte son lot d’innovations quant au vieillissement de la peau. Mais les chercheurs font actuellement de telles découvertes que la cosmétique anti-âge pourrait s’en trouver complètement bouleversée : « Nous avons d’un côté le séquençage de l’ADN, de toutes nos cellules et de notre microbiome, qui nous donne de nouvelles informations capitales sur le fonctionnement de la peau. Et de l’autre, la bio-informatique qui nous permet aujourd’hui de compiler (via de super-ordinateurs) des milliards de données biologiques provenant d’études réalisées sur toute la planète, résume Véronique Delvigne, directrice de la communication scientifique de Lancôme.

Microbiome 2.0

Les connaissances évolutives sur le microbiome nous donnent une lecture totalement différente de notre fonctionnement et de celui de la peau en particulier. Nous savons aujourd’hui que nous sommes à 50% composés de micro-organismes (bactéries, levures, virus) et que ce microbiote nous protège des agressions, synthétise des antioxydants, renforce notre système immunitaire et aide à la cicatrisation. Il communique aussi avec toutes les cellules de notre corps, et donc de notre peau, pour leur dicter leur conduite. Chez L’Oréal, 9 centres de recherche et 50 chercheurs planchent déjà sur le sujet.

Pilotage microscopique

Le microbiote serait effectivement capable de contrôler nos déséquilibres internes, les zones d’inflammation, les brèches de la peau ou les attaques de radicaux libres. L’idée étant d’apprendre justement à piloter les micro-organismes pour qu’ils aillent réparer les zones abîmées ou irritées. La société Seed affirme que ses probiotiques seraient « dressés » pour se greffer sur les intestins et agir sur les zones enflammées au lieu de les traverser inutilement.

Kit de prévision du vieillissement

Aux États-Unis, la banalisation des kits de décodage ADN permet désormais de traiter le vieillissement dermatologique comme un classique problème de santé. L’état de la peau est décrypté non seulement à partir de son capital génétique, mais aussi de l’état de son microbiote du moment, de son moral et de son mode de vie… Les résultats donnent une vision de chacun à 360°, compressée sous forme d’une banque de données. Passée aux filtres de l’intelligence artificielle, cette base d’informations permet de prédire les zones à risque, les niveaux d’inflammation ou l’efficacité des différentes familles de probiotiques. À domicile, les kits permettent déjà de découvrir nos prédispositions à certaines allergies, maladies ou à la façon dont on va vieillir. Les tests de Lifenome, par exemple, sont supposés prédire une aptitude naturelle pour la course à pied ou une tendance à la ptôse cutanée avec, à la clé, des recommandations ultra-ciblées de fitness, nutrition ou soin de peau. Les kits d’EverlyWell, quant à eux, se concentrent sur les allergies alimentaires, les niveaux de DHA et le métabolisme du corps.

Crème anti-âge à base de sénolytiques

Les cellules sénescentes nuisent au fonctionnement et à la santé des tissus lorsqu’elles s’attardent et se multiplient, comme c’est le cas avec l’âge. Elles contribuent à l’inflammation chronique associée à la sénescence. Dans la peau, les cellules sénescentes sont très probablement responsables d’une fraction importante du vieillissement cutané, perçu comme plus problématique à partir de la cinquantaine.

Ainsi, OneSkin met à disposition un traitement sénolytique. Ceci des années avant l’approbation par la FDA de l’un des programmes visant à détruire les cellules sénescentes dans tout le corps.

Le collagène, la protéine qui maintient jeune

Le collagène est une protéine qui donne résistance et élasticité à la peau, aux os, aux muscles, aux cartilages et aux ligaments.

Elle est aujourd’hui l’objet d’un marketing intense : crèmes de beauté, boissons, poudres, compléments alimentaires. Évidemment ! Chacun aimerait être à nouveau bourré de collagène comme les enfants avec leurs joues douces, leur peau de pêche et leurs articulations souples.

Malheureusement, notre production de collagène décroît avec l’âge. De plus, les protéines de collagène présentes dans notre corps se dégradent sous l’effet des rayons solaires, de la pollution, des radicaux libres et de la malbouffe.

Le collagène, en particulier, est vulnérable à l’excès de sucre. Il s’abîme aussi beaucoup sous l’effet des AGE (Advanced glycation end-products). Les AGE sont des molécules toxiques contenues dans le « grillé » des viandes et des fritures, que nous consommons trop.

À cause du non-renouvellement du collagène, les personnes âgées subissent une sorte de délabrement général de l’organisme. Cela pose problème à tous les niveaux : ostéoporose, arthrose, vieillissement des tissus (rides).

Une des fonctions les plus connues (et les plus recherchées) du collagène concerne les rides. Une sur des femmes de 35 à 55 ans a montré une augmentation de l’élasticité de la peau en 4 semaines, sous l’effet d’un complément d’hydrolysat de collagène. Le même fabricant a fait une autre étude qui a montré une diminution des rides en huit semaines.

Le « bien-vieillir », une évolution de l’anti-âge avant d’aller plus loin ?

L’anti-âge est la tendance fondamentale du secteur qui se retrouve chez toutes les marques sous forme de crèmes de jour/nuit, sérums, masques, sprays, maquillage, etc. Les consommateurs sont amateurs de produits de soin permettant de réduire leurs rides, d’unifier et d’illuminer leur teint, d’atténuer les taches pigmentaires, en résumé : de limiter, voire réparer les signes de l’âge.

Cependant, les produits cosmétiques restent dédiés à un usage quotidien de surface qui permet d’améliorer l’apparence de la peau pour un temps limité. Ce ne sont pas des médicaments ou des actes chirurgicaux invasifs qui permettent d’inverser totalement les effets de l’âge. Les revendications anti-âge des marques sont d’ailleurs de plus en plus contrôlées avec des pays, comme les États-Unis, le Canada et de nombreux pays d’Europe, qui réglementent l’apparition de ces revendications sur les emballages et limitent l’étendue des termes utilisés.

La tendance actuelle est à l’acceptation de soi, au respect de son corps et à son accompagnement au quotidien dans le bien-être. Dans ce contexte, les articles se multiplient sur la notion de « bien-vieillir » qui vient nuancer le classique « anti-âge ».

Depuis des milliers d’années, les femmes et les hommes cherchent à préserver des ans l’irréparable outrage, pour leur apparence physique comme pour leur santé. La cosmétique n’a eu à ce sujet qu’un rôle … cosmétique. Pour aller plus loin, les connaissances, notamment en termes de génétique, d’analyse massive de données, de compréhension de l’ensemble des organismes qui nous composent, sont nécessaires à des avancées radicales pour une durée de vie en bonne santé beaucoup plus longue.


La bonne nouvelle du mois :


Les données massives dans le domaine de la santé sont de plus en plus interconnectées. Ceci est positif pour progresser contre les maladies liées au vieillissement. Il s’agit notamment de comprendre mieux pour mieux lutter contre la Covid 19 qui poursuit malheureusement sa croissance meurtrière ces dernières semaines.

L’évolution positive globale se remarque notamment:

En France, la  Plateforme des données de santé ou Health Data Hub permet la mise en commun de très nombreuses données de santé. Certains projets concrets progressent. Mais il faudrait plus de confiance du public. Ainsi, Emmanuel Bacry Chief Scientific Officer du Hub, déclarait le 9 décembre 2020: << Je pense que c’est extrêmement important de bien expliquer aux citoyens ce que cela signifie de partager les données, leur expliquer vraiment quel serait le véritable risque du partage de données, mais aussi son avantage, qu’est-ce qu’on peut en espérer. (…) Il peut y avoir des fantasmes positifs. Grâce à l’intelligence artificielle, je vais vivre jusqu’à 200 ans. Il y a des fantasmes négatifs. Mes données vont être prises par les sociétés d’assurance et on va m’évaluer, me noter. »

En Finlande, depuis quelques mois, l’ensemble des données de santé sont reliées via un organisme public appelé FinData. Il faut noter le vaste consensus qui existe lorsque les garanties de la puissance publique, de l’intérêt scientifique et de l’absence d’intérêt commercial sont intégrés dans le projet. Le système prévoit que les citoyens qui le souhaitent peuvent ne pas être « répertoriés (« opt out »). Mais, au 10 novembre 2020, moins de 200 personnes sur environ 6 millions de citoyens finnois ont souhaité que leurs données ne soient pas accessibles – selon Johanna Seppänen, directrice de l’institution.

Au niveau européen, les avancées concernant « l’espace européen de données » sont rapides. Un texte relatif à de nouvelles règles pour le partage de données au sein de l’Union est en cours d’élaboration, avec un texte relatif à la santé projeté pour début 2021. L’avancée la plus positive est peut-être plus en termes d’idées qu’en termes techniques. L’union européenne propose un nouveau concept celui de « base de données altruiste » géré par des organisations sans but lucratif.

Aux États-Unis, le projet « All of Us » a pour but de mettre en commun des données étendues de santé d’un million de volontaires. Des résultats liés aux échantillons biologiques de 270.000 personnes déjà actives sont depuis peu accessibles aux chercheurs et aux volontaires eux-mêmes.


Pour en savoir plus :