Toutes les longévités ne progressent pas. N° 134. Mai 2020

C’est l’une des choses les plus remarquables que, dans toutes les sciences biologiques, il n’y ait aucun indice quant à la nécessité de la mort. Si vous dites que nous voulons faire du mouvement perpétuel, nous avons découvert suffisamment de lois en étudiant la physique pour voir que c’est absolument impossible ou que les lois sont fausses.

Mais il n’y a encore rien en biologie qui indique le caractère inévitable de la mort. Cela me suggère qu’elle n’est pas du tout inévitable, et que ce n’est qu’une question de temps avant que les biologistes ne découvrent ce qui nous cause des problèmes et que cette terrible maladie universelle ou le caractère temporaire du corps humain sera guéri.

Richard Feynman (1918 – 1989), prix Nobel de physique (traduction).


Thème du mois : Longévité moyenne et maximale. Progression et stagnation.


Longévité côté face

Nous vivons dans un confort et un état de santé qui auraient été inimaginables même pour les monarques du temps jadis. Nous nous déplaçons plus vite que dans les rêves les plus fous des navigateurs du temps de Christophe Colomb. Nous volons. Nous sommes allés sur la Lune. Nous avons dans notre poche un objet de 100 grammes qui est plus performant que les objets de science-fiction envisagés par les plus imaginatifs des écrivains, même d’un passé proche.

Grâce aux extraordinaires progrès de la médecine, de l’hygiène et de l’économie aujourd’hui, notre espérance de vie est trois fois celle d’il y a à peine deux siècles. Tant la rapidité du développement que les sommets atteints sont sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Jamais nous n’avons vécu aussi longtemps. Jamais nous n’avons vécu en aussi bonne santé. Jamais nous n’avons vécu aussi bien. Et n’en déplaise aux pessimistes, cette évolution ne se tarit pas ces dernières années, au contraire, elle s’est encore accélérée depuis le début du 21ème siècle : nous avons gagné environ 6 années d’espérance de vie depuis le début de ce millénaire. Aujourd’hui, même dans le pays avec l’espérance de vie à la naissance la plus courte au monde, celle-ci est de 53 ans (en République centrafricaine), soit de 6 ans supérieure à l’espérance de vie d’il y a deux siècles dans le pays où on vivait le plus longtemps (en Norvège).

Longévité côté pile

Mais, malgré les progrès de la médecine, de l’hygiène et les recherches scientifiques et médicales tous azimuts qui font progresser les sciences comme jamais, nous ne vivons guère plus longtemps que certains de nos ancêtres lointains. En l’an 6 de notre ère, s’éteignait à Rome Terentia, la veuve de Cicéron. Elle avait 103 ans. La personne la plus âgée au monde aujourd’hui a 117 ans, 14 ans à peine de plus que Terentia à son décès. Et, de par le monde, sur les presque 8 milliards d’habitants, à peine 100.000 ont atteint l’âge de Terentia.

Pour continuer sur cette  non-progression, voire même de régression, il faut signaler que Jeanne Calment, qui a vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité (sous réserve de quelques controverses) est décédée il y a près de 23 ans. Côté masculin, l’homme actuellement le plus âgé au monde n’est que 40ème dans la liste des hommes ayant vécu le plus longtemps.

Durée de vie moyenne – durée de vie maximale, deux concepts qui ne concernent pas seulement les humains

La différence entre la durée de vie moyenne, améliorable et la durée de vie maximale, frontière presque immuable, s’étend bien au-delà des humains.

Chez les animaux, la durée de vie moyenne dans la nature est beaucoup plus courte que la durée de vie maximale du même animal en captivité. Une souris vivra généralement moins d’une année dans la nature, alors qu’en captivité, elle peut vivre plus de deux ans. Une mésange charbonnière vivra deux ou trois ans, alors que dans une cage, elle pourrait chanter plus de 10 ans. 

En ce qui concerne les rats et les souris en laboratoire, la durée de vie moyenne est d’environ 2 ans et la durée de vie maximale de 3,8 années pour les rats et d’un peu plus de 4 ans pour les souris. D’innombrables expériences de laboratoire mesurent la longévité des rats et des souris après un traitement. Pour les rongeurs comme pour les hommes, si nous connaissons des traitements qui augmentent l’espérance de vie moyenne, la durée de vie maximale reste à ce jour une frontière quasiment infranchissable.

La stagnation et même la régression est ce qui a été appelé dans une lettre antérieure « le mystère des supercentenaires« .

Nous, humains, comme les autres mammifères et l’immense majorité des animaux, nous sommes des êtres à l’obsolescence programmée. Ce qui démontre notamment le caractère presque infranchissable de la limite, c’est le prix de la souris Mathusalem. Il est octroyé par l’organisation longévitiste SENS à celui qui permet à une souris de vivre plus longtemps qu’aucune autre souris. Ce prix n’a plus été octroyé depuis 2004.

Durée de vie moyenne – durée de vie maximale, deux concepts de moins en moins différents pour les humains

Il y a plusieurs siècles, la durée de vie maximale n’avait rien à voir avec la durée de vie moyenne. En effet, de 30 à 60 % des individus mouraient en bas âge. Il y a un siècle, dans les pays riches, la mort des enfants était déjà relativement rare, mais les maladies infectieuses et les autres causes de mortalité tuaient la majorité des individus avant la vieillesse. Aujourd’hui, dans les pays riches, mourir avant 75 ans est souvent qualifié de « décès prématuré ». L’âge moyen du décès est de 80 ans et l’âge médian plus élevé encore.

Autrement dit, aujourd’hui pour la majorité des décès, ce qui met fin à nos vies, ce sont les maladies et les affections liées à ce qui était hier, l’extrême longévité d’une petite minorité.

Ceux qui disent que nous ne franchirons jamais certaines limites ont peut-être raison

Si nous projetons l’évolution du passé vers le futur, un bébé qui naît aujourd’hui dans un pays riche devrait vivre en moyenne environ 110 ans. Ceci sachant que nous vivons déjà en moyenne 80 ans et que nous avons gagné environ 30 années de vie ces 110 dernières années.

Mais pour cela, il nous faudrait d’abord briser un plafond de verre. Actuellement, même pour les recherches les plus prometteuses (sénolytiques, metformine, NAD+, …), il est surtout question de gagner des années de vie humaine en bonne santé dans nos limites biologiques actuelles. Les durées de vie maximale ne semblent pas près d’être dépassées, tant pour les êtres humains que pour les animaux.

Les longévitistes optimistes ont peut-être raison

Comme l’écrivait Richard Feynman, cité au début de cette lettre, il n’y a pourtant pas de frontière biologique infranchissable équivalente au mur du son où à la vitesse maximale de la lumière. Mais il y a le code génétique. Ce code génétique qui fait que jamais un homme n’a dépassé 116 ans, une femme 122 ans, une tortue des Galápagos environ 200 ans et une souris un peu plus de 4 ans. Cependant, ce code génétique, nous pouvons le modifier par des thérapies géniques. Nous le changeons d’ailleurs déjà pour un certain nombre de maladies,  même chez des personnes adultes.

Cet obstacle peut-être ultime de la santé pourrait aussi être un jour franchi par d’autres moyens, par exemple par la production de protéines normalement exprimée par certains gènes relatifs au vieillissement.

Et le jour où cette frontière sera franchie, d’abord chez des souris puis chez des humains, cela pourrait être comme la conquête du vol au tout début du 20ème siècle, comme la découverte de l’insuline en 1922 ou comme l’utilisation de la pénicilline à la fin de la seconde guerre mondiale. Un avant et un après, c’est-à-dire, cette fois, des horizons de longévité, radicalement au-delà du siècle.


Les nouvelles du mois : « Rajeunissement » de l’horloge épigénétique de rats grâce à un plasma. Progrès collectifs pour la lutte contre le Covid-19


Un article concernant l’utilisation d’un plasma donné à des rats âgés a soulevé un enthousiasme considérable dans la communauté longévitiste. Des rats de 2 ans ont reçu un plasma sanguin et leurs indicateurs physiologiques durant le test étaient quasiment devenus ceux de rats de 6 mois. Si c’est vrai, c’est une découverte extrêmement prometteuse. De plus, cet article est signé notamment par deux scientifiques renommés (Steve Horwath, spécialiste de l’épigénétique et Harold Katcher, de l’université de Maryland).

Malheureusement :

  • Aucun test de longévité proprement dite n’a été effectué (uniquement des marqueurs de longévité)
  • Seuls 6 rats ont bénéficié du traitement
  • L’article n’a pas encore été vérifié par des pairs
  • La composition du plasma n’est pas connue

Espérons que l’enthousiasme se traduira dans les tests de longévité annoncés. Ou que cela encourage d’autres recherches de réjuvénation radicale.

Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, des centaines de recherches sont en cours. La majorité des autorités et groupements qui s’expriment insistent sur la mise en commun des recherches et la mise à disposition future pour tous. « Grâce » au virus, l’attention à la santé et à la protection du système immunitaire, particulièrement des personnes âgées, est plus grande que jamais. Le 19 mai, l’assemblée générale a adopté une résolution de riposte à la maladie Covid-19.

Un communiqué de presse de l’OMS annonce la création, pour le 29 mai, d’une plateforme permettant de centraliser les données, le savoir et la propriété intellectuelle se rapportant aux produits sanitaires existants ou nouveaux contre la COVID-19. Il s’agit, suite à une proposition du Costa-Rica, de mettre des biens de santé publique mondiaux à la portée de tous dans tous les pays.

 

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