Longévité et pollution atmosphérique. La mort de la mort. Avril 2019. N° 121. 

 

J’ai grandi en Nouvelle-Zélande et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 12 ans. Je me souviens d’une fois où ma grand-mère est venue nous rendre visite. Je n’avais jamais fréquenté quelqu’un de plus de 60 ans auparavant. Quand elle est arrivée, je me souviens avoir pour la première fois réalisé que, vous savez, quand j’allais jouer avec mon frère, je pouvais courir et être brutale. Mais pour ma grand-mère, seulement se lever d’une chaise, c’était vraiment douloureux. Cela m’a frappé. Oh elle a une maladie, nous devrions essayer de trouver un moyen de la guérir pour qu’elle puisse venir jouer avec nous.

Ensuite je me rappelle avoir demandé à mes parents quelle maladie était-ce. Ils m’ont dit : elle n’est pas atteinte d’une maladie, elle est vieille. Je leur ai demandé  quelle maladie c’était d’être vieux. Ils m’ont dit : Oh, non, non, tu ne comprends pas, c’est un processus naturel. Et en tant qu’enfant, vous vous dites : C’est stupide. Pourquoi y a-t-il un processus naturel que nous devrions tous attraper, une maladie qui nous rend tellement abimés ? Interview de Laura Deming, chercheuse et investisseuse longévitiste de 25 ans. The Fight against Aging. HT Summit 2017 (traduction).


Thème du mois : L’influence de ce que nous respirons sur le vieillissement.


Chaque jour, nous inspirons en moyenne environ 12.000 litres d’air soit 14 kilos. L’air se compose essentiellement d’azote (diazote), d’un tout petit peu de dioxyde de carbone (0,03 %) et d’environ 21 % d’oxygène, cette substance qui nous est indispensable mais qui, durant la majeure partie de l’histoire de la vie, fut un poison violent.

Une molécule de dioxygène qui pénètre dans le système respiratoire suivra un parcours débutant dans la trachée et s’achevant dans le sang, en passant par les alvéoles pulmonaires, c’est-à-dire environ 300 millions de tous petits sacs poreux de 2 millimètres carrés.

Outre les gaz cités, lors de la respiration, nous avalons aussi, de manière involontaire quantité de substances, dont certaines sont nuisibles à notre organisme. La plupart de ces substances seront rejetées soit presque immédiatement lors de l’expiration, soit par la toux ou encore dans le mucus que nous évacuons en nous mouchant. Mais certaines substances nocives s’installent durablement dans notre corps.

Même si le terme « pollution » couvre parfois des substances naturelles (par exemple celles libérées en cas d’éruption volcanique), la présente lettre examinera uniquement les effets nocifs de ce qui est produit par l’activité humaine.

Certaines de ces substances peuvent créer des troubles du système respiratoire ou du système nerveux et même provoquer la mort par effet direct.

C’est le cas des tristement célèbres gaz de combat ou d’extermination utilisés durant les deux guerres mondiales du 20e siècle, mais c’est le cas aussi de nombreuses autres substances chimiques.

Après la seconde guerre mondiale, en Europe, de la pollution atmosphérique pouvant être rapidement létale se développa, notamment suite à l’utilisation de charbon – qui dégage du dioxyde de soufre. Ainsi, ce qui fut appelé le grand smog de Londres durant l’hiver de 1952 (une pollution si forte que la visibilité fut parfois réduite à quelques mètres) provoqua la mort de milliers de personnes.

Globalement, aujourd’hui, la dispersion de produits ayant des effets si nocifs qu’ils conduisent  rapidement à la mort est rare. Des décès restent néanmoins à déplorer, principalement dans le cas d’accidents. La législation contemporaine à ce sujet est assez protectrice et une catastrophe comparable à ce qui s’était déroulé à Bhopal en 1984 avec plusieurs milliers de morts a peu de risques de se reproduire.

Une autre forme de pollution atmosphérique qui a quasiment disparu aujourd’hui est la pollution radioactive à doses fortes. Durant trois décennies, de 1945 à 1974, des centaines d’essais nucléaires furent réalisés en plein air libérant dans l’atmosphère des substances radioactives en quantité et selon des modalités que nous ne pourrions plus imaginer aujourd’hui. Il y eut notamment une centaine de tests nucléaires américains à 100 kilomètres de Las Vegas et un test nucléaire soviétique avec une arme 1.580 fois plus puissante que les bombes d’Hiroshima et Nagasaki réunies.

Mais ce qui reste fort présent, et même parfois s’accroît, en Europe et plus encore en Asie, c’est la pollution due à des particules dites particules fines. Ces particules mesurant moins d’un millième de millimètre (un micromètre, familièrement un micron, symbolisée par le µ) s’introduisent jusqu’aux alvéoles pulmonaires. Les plus petites particules, plus nocives encore, peuvent même franchir les alvéoles et passer dans le sang. Lorsque ces particules s’accumulent, elles peuvent provoquer des inflammations, des maladies cardiovasculaires, des maladies respiratoires dont des cancers.

Par le passé, des particules de très petite taille ont déjà causé de nombreux décès (et en causent encore) comme dans le cas de la silicose des mineurs et celui de l’amiante.

Une très grande partie de la pollution par particules fines provient de substances diffusées à l’intérieur des habitations suite à la cuisson ou au chauffage. Selon l’OMS, cette pollution cause 3,8 millions de morts par an. Elle est peu abordée dans les médias de nos pays car elle concerne presque exclusivement les habitants des pays pauvres. Des progrès économiques et technologiques permettraient d’en diminuer rapidement l’impact pour autant que les choix de développement visent les populations défavorisées.

Toujours selon l’OMS, la pollution atmosphérique extérieure, qui elle, touche également les habitants des pays riches, cause 4,2 millions de morts, la majorité en Asie surtout en Inde et en Chine. Dans des pays comme la France, cette pollution tend à diminuer mais de manière assez lente.

L’effet de la pollution atmosphérique sur l’espérance de vie

L’impact important affirmé sur l’espérance de vie doit être précisé. Le nombre de morts comptabilisé par l’OMS, ce sont des morts « prématurées ». Théoriquement, une mort peut être « prématurée » seulement de quelques semaines ce qui a un impact faible sur l’espérance de vie.

D’autres études ne citent pas seulement des morts prématurées, mais fixent une perte moyenne d’espérance de vie importante, par exemple de 10 ans à New Delhi. Une étude de 1995 mesure l’impact de la pollution atmosphérique sur la mortalité comparée dans des villes des Etats-Unis. Cet impact est net, même si clairement plus faible que l’impact de la consommation de tabac. Cependant, lorsque l’on compare aujourd’hui les villes et régions où la pollution est plus forte avec d’autres villes et régions similaires mais moins polluées, les différences sont faibles et pas toujours en faveur des zones moins polluées.

Ainsi, la Flandre et les Pays-Bas ont une pollution atmosphérique beaucoup plus forte que d’autres régions, mais la durée de vie n’y est pas plus courte. Les habitants d’une grande ville assez polluée comme Bruxelles, malgré qu’ils soient plus pauvres que les habitants de la Wallonie vivent plus longtemps (espérance de vie en 2017 de 81,2 ans à Bruxelles et de 79,8 ans en Wallonie). La ville-région où la durée de vie est la plus longue au monde à savoir Hong Kong (espérance de vie de 84 ans en 2018) est aussi une ville avec une très forte pollution atmosphérique. L’état de Delhi, où la pollution est l’une des plus élevées du monde, est le second état de l’Inde pour la durée moyenne de vie (73 ans contre 67 ans pour la moyenne indienne).

La Nouvelle-Zélande est une des régions du monde où la pollution atmosphérique est la plus faible et c’est un pays avec un niveau de vie élevé et une bonne couverture sociale. Dans ce pays, l’espérance de vie (82 ans) est similaire à celle de pays équivalents où la pollution est forte.

Alors que le fait de fumer ou pas, d’être obèse ou pas, de vivre dans un pays riche ou pas, a un effet mesurable dans les statistiques relatives à l’espérance de vie, la variable pollution est peu visible sur le plan des comparaisons statistiques. Il y a pourtant peu de doutes que respirer des particules fines soit nocif. Le plus probable est que le taux de mortalité provoqué soit moindre qu’estimé aux doses actuelles de pollution. Une surestimation des effets néfastes d’actions anthropiques est assez courante dans le monde contemporain, alors que dans le passé, ces effets pouvaient être sous-estimés. Il se pourrait aussi que, globalement, vivre dans des grandes villes, généralement plus polluées que les campagnes, présente par ailleurs des avantages de santé (meilleure couverture médicale et sociale, vie plus active…).

Le mystère des supercentenaires s’expliquerait-il par l’air du temps?

Ce qui précède concerne l’impact de la pollution sur l’espérance de vie moyenne, pas sur la durée de vie maximale. La pollution atmosphérique pourrait bien être un des facteurs d’explication du « mystère des supercentenaires« , à savoir le fait que la durée de vie maximale des femmes et des hommes ne progresse plus depuis des décennies. Il se pourrait que l’accumulation de microparticules et l’effet prolongé de l’exposition à des substances toxiques anthropiques contrebalance les progrès médicaux.

Il y a peut-être même un « tueur silencieux » que nous n’avons pas encore détecté et qui a un effet surtout sur le très long terme. Il pourrait s’agir de matières à la toxicité peu connue qui se combineraient progressivement dans le corps pour former des « cocktails » toxiques.

Cependant, dans cette hypothèse, il reste à expliquer pourquoi il n’y a pas de longévités extrêmes plus longues dans les zones les moins polluées de la planète ayant une bonne couverture médicale. Selon l’OMS, seuls 9 % de la population du globe vit dans des zones exposées à une pollution moindre que les normes conseillées. Il s’agit notamment de la Nouvelle-Zélande déjà citée, où pourtant la personne la plus âgée vivante actuellement n’a « que » 110 ans, alors que, par exemple, la bruxelloise la plus âgée a 111 ans.

Des recherches à poursuivre pour un but commun : une vie en bonne santé beaucoup plus longue qu’autrefois

Comme il a été écrit dans cette lettre, bien du chemin reste à parcourir dans la recherche relative aux pollutions atmosphériques. Un des aspects les plus inconfortables de la recherche concernant les substances toxiques est la question des faibles doses. Selon certains, toute dose de certaines substances est nocive sans qu’il n’y ait d’effet de seuil; selon d’autres, des produits nocifs à fortes doses n’ont pas d’effet, voire même ont un effet positif (hormèse) à faibles doses.

Les débats à ces niveaux sont sensibles. Les partisans du « laisser faire » sont prompts à affirmer qu’il y a exagération des risques et utiliseront rapidement les doutes quant aux effets à moyen et long terme des faibles doses pour refuser toute mesure. Il en va particulièrement ainsi pour l’exposition à des particules fines. Ce refus est d’autant plus « tentant » pour certains que les zones les plus polluées sont globalement les plus pauvres.

Dans ce domaine comme dans d’autres, le principe de précaution doit s’appliquer dans un sens proactif. Il ne s’agit pas de ne rien faire et d’interdire les changements, mais bien d’examiner, de mieux comprendre puis de prévenir les impacts négatifs et positifs des substances libérées dans l’air tant par les technologies existantes que par celles envisagées. Des lettres mensuelles prochaines pourront aborder le sujet pour fournir plus d’information.

C’est notamment par une meilleure hygiène et de meilleures conditions environnementales que la durée de vie moyenne a été plus que doublée depuis le 19e siècle. La diminution de la pollution atmosphérique a joué un rôle positif jusqu’ici. Eviter l’exposition à de nouveaux éléments nocifs issus des progrès technologiques, voire, qui sait, découvrir un jour des éléments respirables utiles, concerne des millions de vies aujourd’hui et demain et est un des aspects indispensables de la réflexion pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue.


La bonne nouvelle du mois : Undoing Aging à Berlin, la plus grande conférence scientifique longévitiste à ce jour


Du 28 au 30 mars, s’est tenu à Berlin, Undoing Aging, la conférence avec le plus grand nombre de participants qui se soit jamais tenue concernant les perspectives en matière de recherche pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Les scientifiques parmi les plus réputés n’ont pas seulement échangé entre eux mais aussi avec des journalistes, des activistes et de nombreux investisseurs potentiels. Attention cependant, affirmer que les géants de la Silicon Valley veulent tous « vaincre la mort » et en sont proches est exagéré. Si le bouillonnement d’idées, d’enthousiasmes et de bonnes volontés de Berlin et d’ailleurs est utile et se répand, les investissements actuels devront croître, particulièrement ceux des instances publiques.


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