Faut-il augmenter l’homme ? Si c’est pour l’ensemble de l’humanité, moi je suis preneur. Mais dans le contexte actuel, on nous promet chez les transhumanistes que tout cela va arriver (vers) 2020 ou 2030. Mais entre aujourd’hui et les 10 ans qui viennent, nous sommes déjà au coeur de changements extrêmement rapides. Et la question de l’homme augmenté doit nous permettre, je l’espère en tout cas, par-delà ces grands progrès de la médecine et de la technologie qui sont indéniables, qui vont nous apporter énormément de choses. Je pense qu’effectivement ceci ne sera possible, l’homme augmenté, que si c’est dans le cadre d’une humanité augmentée. Pascal Picq, paléoanthropologue et écrivain, source Le Figaro (vidéo de l’intervention), 1er octobre 2018.
Thème du mois : Réjuvénation et société
Très souvent, ceux à qui on parle de longévité humaine imaginent un monde de vieillards décrépits et sans énergie. Or, la recherche scientifique relative au vieillissement vise à réduire et même à interrompre les processus de vieillissement.
Si nous y parvenons, les femmes et les hommes pourront donc vivre beaucoup plus longtemps dans l’état de santé qui était le leur au moment du début du traitement.
Ou plutôt, cela pourrait aller bien au-delà, les recherches de thérapies permettant d’interrompre le processus pourraient être poursuivies et permettre un rajeunissement, une décroissance de l’âge visible.
L’espoir du rajeunissement par l’intercession de puissances divines, notamment dans le mythe de la Fontaine de jouvence, est probablement presque aussi ancien que celui d’une vie sans vieillissement.
Depuis des siècles, les femmes et les hommes rêvent également de produits susceptibles de rendre la beauté et la vigueur de la jeunesse. Aujourd’hui comme hier, dans l’industrie cosmétique, des centaines de milliards d’euros, de dollars et de toutes les monnaies de la planète sont dépensées pour la recherche de produits et plus encore pour la publicité de ces produits améliorant l’aspect physique. Mais tous ces agents cosmétiques n’ont en principe qu’une efficacité … cosmétique.
Enfin, l’espoir né de recherches purement médicales est également ancien, depuis les greffes de testicules jusqu’aux cellules-souches. Cependant, malgré bien des tentatives prometteuses et encore plus d’annonces fracassantes, en cette année 2018, aucune substance, aucune thérapie, n’a un effet de réjuvénation avéré sur une longue durée pour les êtres humains (ni d’ailleurs pour aucun mammifère).
Mais l’impossible d’aujourd’hui pourrait devenir la banalité d’après-demain. En 1900, des milliers de tentatives pour faire voler des « plus lourds que l’air » étaient restées sans succès. Vingt ans plus tard, au sortir de la 1ère guerre mondiale, les avions avaient servi à des usages innombrables, du largage de bombes au transport de passagers et de la cartographie pacifique au repérage de cibles militaires.
Dans la suite de cette lettre, quelques enjeux et les conséquences sociales, politiques et culturelles potentielles de techniques de réjuvénation seront abordés.
Quel âge choisirions-nous ? Aspect physiologique.
La mortalité, et aussi dans une moindre mesure la morbidité, croissent avec l’âge et de manière exponentielle. L’âge physiologique le plus souhaitable de ce point de vue est d’environ 20 ans.
Dans un monde au vieillissement facultatif, il y aurait probablement quelques personnes originales ne prenant pas de thérapie réjuvénatrice. Par contre, logiquement, ceux souhaitant « dépasser la nature » iraient probablement jusqu’à l’âge physiologique idéal et ne s’arrêteraient pas en chemin. Pour faire un parallèle avec la situation actuelle, il y a quelques (très rares) personnes ne cuisant pas leurs aliments ou n’utilisant pas de téléphones mobiles. Plus rares encore sont ceux qui cuisent leurs aliments à moitié ou utilisent un téléphone portable un jour sur deux.
Quel âge choisirions-nous ? Aspect esthétique.
Jamais nous n’avons encore pu « découpler » l’avancée en âge qui permet plus d’expérience et l’avancée en âge qui provoque la détérioration, puis la mort de tout être humain après au maximum 122 ans. L’écoulement du temps pour acquérir de l’expérience est bien sûr positive. Un célèbre proverbe africain dit qu’un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.
Il est donc envisageable que les femmes et les hommes du futur préféreront avoir une apparence physique d’une personne d’âge mûr plutôt que d’une personne jeune. Cependant, il se pourrait aussi que l’âge soit marqué par d’autres signes que ceux du corps, l’apparence vestimentaire par exemple. D’ailleurs, actuellement, les différences d’apparence physique entre l’âge de 25 – 30 ans et 45 – 60 ans tendent à s’amenuiser grâce aux progrès globaux en matière de santé publique (médecine, alimentation, hygiène de vie, …).
Les parents et grands-parents ressemblant physiquement aux enfants : est-ce que cela serait déconcertant ?
Certains pourraient regretter le « bon vieux temps » où les plus de 75 ans étaient si différents physiquement. Ils seraient privés du « beau spectacle naturel » de la dégradation progressive.
Théoriquement, nous pourrions également craindre une société d’humains « parfaitement jeunes et beaux », uniformes, fades et interchangeables.
Mais une uniformité forte est improbable. Tant par les caractéristiques physiques que par les vêtements, sans parler de la personnalité, il serait logique que les citoyens marquent leur environnement socio-culturel, lequel comprend bien sûr entre autres la période durant laquelle nous avons grandi. Pour imaginer ce qui pourrait se passer, le film de science-fiction intitulé « Time Out » est intéressant. Dans ce film, les citoyens vivent une éternelle jeunesse physiologique (mais meurent si une horloge informatique l’ordonne). Pour le reste, la société est composée, comme aujourd’hui, de familles « nucléaires » (père, mère, enfants). Assez vite le spectateur « ressent » clairement qui sont les enfants et qui sont les parents alors que tous sont physiologiquement jeunes. Autrement dit, une société peut marquer aisément l’âge de ses citoyens sans que l’apparence physiologique ne soit nécessaire.
Il serait aussi envisageable que certains passent par des phases d’apparence physique différente, plus âgées puis plus jeunes ou l’inverse.
Changements rapides ou changements brusques ?
D’abord, il faut faire une remarque de pure logique. Quoi qu’il arrive, personne n’aura plus de 200 ans avant l’an 2100. C’est une évidence, mais qui échappe souvent à ceux qui s’inquiètent d’un caractère possiblement « bouleversant » de thérapies de réjuvénation. En effet, la personne la plus âgée au monde a 115 ans aujourd’hui et elle ne pourra, quoi qu’il arrive, atteindre 200 ans qu’en l’an 2103. Même si demain, une thérapie parfaitement efficace était découverte, il faudrait des décennies avant qu’un nombre important de citoyens vivent plus de 122 ans (la durée maximale de vie jamais atteinte aujourd’hui).
Parallèlement, si des thérapies permettent le rajeunissement, elles ne permettraient probablement que des modifications progressives. Et même si c’était techniquement possible de changer son apparence du jour au lendemain, il est probable que la majorité des citoyens préféreraient, pour eux-mêmes, des modifications progressives.
Rajeunissement obligatoire ou rajeunissement facultatif ?
Ceux qui s’opposent aux recherches en matière de longévité déclarent souvent que cesser de vieillir et de mourir de vieillesse est impossible (ils ont raison) et restera toujours impossible (ils pourraient bien avoir tort, mais seul l’avenir le dira). Cette affirmation est souvent complétée d’une déclaration un peu contradictoire de type « Je veux continuer à choisir de vieillir ».
Ce type de déclaration est illogique à deux niveaux.
D’abord, à ce jour, personne ne choisit de vieillir ou de ne pas vieillir. Nous ne pouvons pas plus choisir de vieillir qu’une pierre qui serait douée de conscience ne pourrait « choisir » de tomber.
Ensuite, et surtout, si des thérapies de rajeunissement voient le jour, elles ne seront pas plus obligatoires qu’il n’est aujourd’hui obligatoire de suivre un traitement lorsque nous sommes atteints d’une maladie. Au départ, peu de gens suivraient les thérapies. Puis le mouvement s’étendrait. Les thérapies de rajeunissement se généralisant, le droit fondamental à une vie en bonne santé devrait apparaître comme de plus en plus important. La détérioration due à la vieillesse pourrait devenir aussi peu souhaitable demain que la peste et le choléra aujourd’hui.
Dans ce cas de figure, un vieillard qui meurt deviendrait un événement exceptionnel. Nous aurions presque tous plus de temps pour accroître nos savoirs, nos collaborations, nos capacités, pour enseigner et coopérer avec les plus jeunes « chronologiquement ». Nous aurions aussi plus de temps pour veiller à ce que toute la planète soit un environnement durable pouvant permettre une vie longue. La vie deviendrait aussi un bien de plus en plus précieux, car nos horizons temporels s’étendraient.
En même temps, il serait aussi important, en termes démocratiques et pluralistes, de laisser ceux qui le souhaitent continuer à vieillir à l’instar des Amish des États-Unis qui n’utilisent pas certaines technologies.
Eternellement jeune, un ennui mortel ou un champ d’exploration plus large que jamais ?
Des millions d’hommes désirent ardemment l’immortalité alors qu’ils ne savent pas quoi faire un dimanche après-midi pluvieux écrivait la romancière britannique Suzan Ertz.
Il n’est pas impossible qu’un jour la longévité soit ennuyante et que certains donc décident de vieillir à nouveau. Mais en fait l’ennui touche autant, sinon plus les jeunes qui n’ont que « quelques années au compteur ». Les personnes âgées s’ennuient souvent moins, bien que leurs capacités physiques et leurs activités aillent en diminuant. Le goût de la vie serait plus grand encore si les personnes avançant en âge bénéficiaient de traitements de rajeunissement.
Un monde de femmes et d’hommes choisissant leur âge biologique ne rendrait cependant pas le monde parfait. Cela serait un monde à améliorer avec des défis environnementaux, technologiques, sociaux et culturels. Cela serait aussi un monde où nous pourrions nous « déhâter », prendre le temps, consommer moins frénétiquement, être moins en compétition et collaborer davantage les uns avec les autres.
La bonne nouvelle du mois : l’Eurosymposium on Heathy Ageing a été un succès
Du 8 au 10 novembre, une centaine de chercheurs et d’activistes des recherches pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue se sont réunis au centre de Bruxelles. Cela a été l’occasion d’échanges scientifiques de haut niveau, mais aussi de discussions à propos de perspectives financières (comment trouver des moyens budgétaires pour les recherches les plus prometteuses) et même de perspectives politiques.
Il se pourrait notamment qu’aux élections européennes de mai 2019, il y ait des candidats « pro-longévité ».
Pour en savoir plus :
- De manière générale, voir notamment: heales.org, sens.org, longevityalliance.org et longecity.org
- Photos : Antonin Kovar à 25 et 102 ans