Sexe et longévité. La mort de la mort. Août 2019. Numéro 125.

Souverain, mon maître, la vieillesse est advenue, le grand âge s’est abattu, l’épuisement est arrivé, la faiblesse se renouvelle. Il passe chaque jour à dormir, comme retombé en enfance. La vue baisse, il devient dur d’oreilles, la force vient à manquer, le coeur est las, la bouche est silencieuse, elle ne parle plus, le coeur n’est plus, il ne se souvient plus d’hier, toute l’ossature fait souffrir, le bon se transforme en mauvais. Chaque goût disparaît. L’action de la vieillesse sur le genre humain est mauvaise sous tous rapports. Le nez est bouché, il ne respire plus, il est aussi pénible de se lever que de s’asseoir.

C’est ainsi qu’il y a 44 siècles, le vizir Ptahhotep, qui allait prendre un « bâton de vieillesse », c’est-à-dire un assistant, aurait décrit au roi Djedkarê Isési à 110 ans les infirmités qui commençaient à l’accabler. L’âge de 110 ans et la vieillesse chez les égyptiens. Gustave Lefebvre. 1944. Remarque : il est expliqué dans l’article qu’il s’agissait de durées de vie inventées, aucun égyptien de l’antiquité ne vécut probablement plus d’une centaine d’années.


Thème du mois : Vivre plus longtemps, une inégalité en faveur des femmes ?


Différences parmi les animaux

Chez bien des espèces animales, il y a des différences selon le sexe en ce qui concerne la durée de vie. Ces différences peuvent être spectaculaires par exemple en ce qui concerne les insectes sociaux. Certaines reines d’une espèce de fourmi peuvent vivre jusqu’à 30 ans alors que les mâles meurent rapidement après la fécondation, quelques jours après avoir atteint l’âge adulte.

Parmi les animaux en général, les différences entre les sexes ne sont généralement pas importantes. Il faut d’ailleurs distinguer la durée de vie moyenne, normale, en liberté, et la durée de vie maximale, protégé des éléments et des prédateurs en captivité. Pour la durée de vie à l’état sauvage, les animaux les plus forts (qui peuvent être les femelles où les mâles selon les espèces) vivent plus longtemps. En captivité, ce sont plutôt les animaux les plus petits qui vivent plus longtemps.

Chez certaines espèces, le moment de la reproduction est celui de la fin de la vie, l’exemple le plus connu et spectaculaire étant celui des saumons. Parfois, les femelles peuvent vivre plus longtemps afin de porter la génération suivante. Il en va ainsi de l’antechinus, une espèce de marsupial. La femelle survivra jusqu’à ce que les jeunes puissent devenir autonomes et parfois, la femelle pourra même avoir une seconde portée. Le mâle, lui, a la vie la plus courte parmi tous les mammifères, moins d’un an, vie qui se termine très peu de temps après la reproduction.

Ce qui pourrait créer une différence importante selon le sexe, à savoir le mécanisme de ménopause, n’existe, en dehors des humains, que chez certains cétacés dont les orques.

Différences entre femmes et hommes : le naturel et le culturel

Il est largement connu que les femmes vivent aujourd’hui en moyenne plus longtemps que les hommes. Ainsi, en France en 2017, l’espérance de vie atteignait 85,4 ans pour les femmes et 79,5 ans pour les hommes. C’est bien sûr entre autres grâce au fait que la mortalité maternelle à l’accouchement est devenue un évènement très rare. Alors qu’il naît un peu plus d’hommes que de femmes, le nombre de femmes sur la planète dépasse celui des hommes. Jusqu’il y a quelques décennies, la différence sexuelle se marquait d’abord dans les décès plus nombreux des jeunes garçons que des jeunes filles. Aujourd’hui, sauf dans les pays les plus pauvres, la mortalité infantile étant devenue faible voire négligeable, c’est surtout aux âges avancés que se marquent les différences. En France, en 2018, 58 % des personnes âgées de 80 ans étaient des femmes, 69 % des personnes âgées de 90 ans et 81 % des centenaires. Parmi les très rares personnes qui dépassent l’âge de 110 ans, il n’y a presque pas d’hommes. Les 10 personnes qui ont vécu (de manière prouvée) le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité sont d’ailleurs des femmes.

Dans tous les pays du monde sauf deux pays extrêmement pauvres (Mali et Eswatini, ex-Swaziland), les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, malgré qu’elles aient un niveau de vie, dont un accès aux soins, souvent moindre, particulièrement à un âge avancé, souvent synonyme d’isolement.

La durée de vie, tant moyenne que maximale, est donc un domaine où il est préférable de naître femme plutôt qu’homme.

Les causes de ces différences sont presque certainement biologiques, mais il y a aussi des raisons socio-culturelles :

  • moins de prise de risque, par exemple moins de décès dans les accidents de voiture;
  • moins de violence, notamment moins de meurtres (commis, mais aussi subis, malgré les féminicides);
  • moins de suicides aboutis; 
  • moins de consommation de tabac et d’alcool.

Dans de nombreux pays riches à l’espérance de vie longue, l’espérance de vie des hommes progresse plus que celle des femmes et donc la différence de durée de vie entre femmes et hommes tend à diminuer. Ceci s’explique probablement par une raison culturelle, à savoir que les comportements des personnes des deux sexes s’uniformisent, mais peut-être aussi parce que, sans progrès médical de rupture, nous ne pouvons plus guère progresser dans l’espérance de vie et donc ceux et surtout celles qui sont « au sommet » ne grimpent plus guère.

Enfin, également beaucoup moins positif, selon les statistiques relatives à la durée de vie en bonne santé, la partie de la vie sans problème important de santé est généralement moindre chez les femmes. En ce qui concerne l’inégalité devant la souffrance et les maladies non mortelles, une partie des explications est certainement culturelle, notamment la moins bonne couverture médicale et assistance des femmes âgées. Mais des différences biologiques peuvent aussi expliquer cette situation, particulièrement les profondes transformations qui se produisent lors de la ménopause. Selon une étude récente provenant de chercheurs autrichiens, il apparaît d’ailleurs que le visage des femmes se modifie plus rapidement que celui des hommes après 50 ans, l’âge moyen de la ménopause.

La castration, une recette de longévité ?

Ce paragraphe est à prendre au second degré. Comme disent les anglophones Don’t try this at home. Selon certains, la suppression d’hormones mâles aurait un effet positif sur la longévité. Une étude de 2012 avait établi que les eunuques vivaient plus longtemps que les autres personnes dont l’âge du décès était connu dans les palais royaux coréens. Cependant, ceci pourrait être dû d’abord au meilleur traitement de ces personnes par rapport aux membres « ordinaires » de l’entourage des dirigeants coréens du passé.

De manière beaucoup moins invasive, certains ont proposé l’injection d’hormones pour favoriser la longévité. Mais les effets sur l’apparence physique étant importants, il n’y a pas eu d’expérimentations larges d’hommes prenant des hormones féminines.

A noter, à propos de sexe et de longévité, que l’abstinence sexuelle a souvent été proposée comme un moyen de longévité, de « préserver l’énergie », ceci complémentairement à de nombreux aspects religieux, par exemple le taoïsme. Il semble en fait qu’une pratique sexuelle modérée favorise la longévité.

Aujourd’hui, un nombre beaucoup plus important que par le passé de personnes changent de sexe. Il est encore trop tôt pour en estimer l’impact sur l’espérance de vie. Et les circonstances psychologiques et sociales auront très probablement un impact important à ce sujet, avant l’aspect proprement physiologique.

Les pistes du futur pour une vie en bonne santé beaucoup plus longues des femmes … et des hommes.

La différence d’espérance de vie s’explique notamment par de meilleurs comportements, une meilleure hygiène de vie, malgré des conditions globalement moins favorables. Des gains de longévité modestes sont possibles en examinant les différences et en imitant ce que font les femmes.

Or, trop souvent, les expérimentations médicales ne concernent que les hommes. Et même en ce qui concerne les expérimentations sur des animaux, très souvent, elles ne sont effectuées que sur des animaux mâles. C’est évidemment nuisible pour les femmes de ne pas observer les questions de santé spécifiques, mais aussi potentiellement pour tous les humains.

Pour des gains de longévité importants, la différence de la durée d’espérance de vie maximale s’explique par des raisons in fine génétiques. Les femmes diffèrent des hommes. Nous savons que de nombreux gènes sont associés à la longévité et nous savons que les femmes et les hommes diffèrent par la présence de deux chromosomes Y chez les femmes et un chromosome X et un chromosome Y chez les hommes.

A ce jour, aucun « gène de longévité » ayant un impact important n’a été découvert sur les chromosomes X ou Y (ni d’ailleurs sur aucun gène). Il s’agit probablement plutôt de la combinaison de gènes. Les recherches qui portent sur le séquençage potentiel de millions de personnes permettront peut-être d’en détecter.


La bonne nouvelle du mois : L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) interroge les citoyens à propos d’une décennie de « vieillissement en bonne santé »


L’OMS a annoncé que la décennie 2020-2030 serait consacrée au vieillissement en bonne santé (mais le terme longévité serait préférable à celui de vieillissement). Elle invite les citoyens et les organisations à prendre position à ce sujet. Plusieurs organisations internationales se sont prononcées pour inscrire la recherche biomédicale pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue comme étant la priorité pour les progrès dans ce domaine.

Si vous le souhaitez, vous pouvez soutenir ou vous inspirer de la position de l’International Longevity Alliance pour émettre sur le site de l’OMS, jusqu’au 8 septembre 2019, votre point de vue à ce sujet.


Pour en savoir plus: