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L’utopie. Hier et aujourd’hui. La mort de la mort. Novembre 2016. N° 92.

Car la vieillesse n’est-elle pas la mère de toutes les maladies? N’est-elle pas elle-même une maladie? Thomas More. L’Utopie.utopien_arche


Longévité utopiste 500 ans après Thomas More


C’est en 1516 que paraissait l’ouvrage  de Thomas More qui a donné son nom à un des concepts parmi les plus positifs de l’histoire de l’humanité: l’Utopie.

Avant la naissance du concept, le désir de perfection concernait le plus souvent le retour au passé, la redécouverte d’un paradis perdu créé en dehors de l’homme.

Avec l’utopie se répandit l’idée que les humains peuvent transformer leur environnement, le rendre meilleur avec une aspiration à la perfection. L’amélioration radicale n’est plus l’apanage des dieux ou du destin.

Durant des siècles, des auteurs se sont attachés à cet exercice. En fait, avec ou sans Thomas More, le désir d’un monde meilleur est presque universel. Qui n’a pas réfléchi un jour à un monde idéal, qui n’a pas au creux de son lit fait ce rêve?

Cependant alors que le monde permet des abondances dépassant nos rêves d’antan, les auteurs littéraires, les artistes, les prévisionnistes, sont le plus souvent soucieux de décrire des futurs qui déchantent. Le mot « utopie » est utilisé le plus souvent à contresens pour décrire un futur non souhaitable, une dystopie.

Imaginer le pire, cela peut être utile pour comprendre les risques. Mais imaginer le meilleur peut l’être aussi pour se fixer des idéaux. Dans cette lettre, nous proposons de courtes utopies, dans ce qu’il y a de potentiellement le plus beau: une vie sans limitation de durée, en belle et bonne santé et donc aussi sans vieillissement.

Avant de décrire ces utopies, il faut se rappeler que bien des avancées qui étaient inimaginables hier, bien des rêves inaccessibles du passé, sont devenus réalité aujourd’hui. Les aurions-nous atteints, en tout cas aussi rapidement, sans les avoir d’abord rêvés ? Les humains volent, les opérations chirurgicales se font sans douleur, « le lait et le miel » sont accessibles presque sans limite, la bibliothèque et la médiathèque universelle de l’honnête homme/femme tient dans la main et le paysan dans la majorité des pays ne laboure plus son champ à la sueur de son front que s’il le souhaite.

Ceci n’a pourtant pas suffi, loin s’en faut, à permettre le bonheur universel. Une des raisons (pas la seule) est que l’être humain ne goûte à la vie qu’un temps encore très limité. La vie est trop courte pour pouvoir en profiter pleinement. Mais nous pouvons imaginer un monde meilleur, bien meilleur. Le voici en quelques utopies.

Utopie longévitiste politique

Dans ce monde utopique, la vie sans limitation de durée est le droit de l’homme le plus absolu, la condition de tous les autres droits. L’article Premier de la déclaration universelle des droits humains est devenu « Les femmes et les hommes ont le droit inaliénable d’une vie sans sénescence. Les lois et les autorités étatiques sont tenues de garantir ce droit. Les citoyens et les institutions ont le devoir de porter assistance à toute personne en danger de vieillissement non souhaité. »

Utopie longévitiste technologique

Non seulement, comme aujourd’hui, les machines nous permettent de voler, de nous nourrir, de nous vêtir, de nous divertir presque sans limite, elles entretiennent aussi nos corps et nos cerveaux presque à la perfection. Les thérapies géniques, les nanotechnologies, les imprimantes biologiques 3D, les produits médicaux, l’ensemble des techniques médicales permettent que l’équilibre entre les différents processus biologiques rende le vieillissement impossible, sauf choix contraire.

Utopie du partage longévitiste

« Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », disait un proverbe africain repris par Senghor. Des milliards d’êtres humains vivant à satiété, ce sont les maladies d’Alzheimer et de Parkinson qui rejoignent la peste et le choléra dans la longue liste des extraordinaires atrocités que la nature avait créé. Nous gardons le plus beau, la vie et l’espoir d’étendre indéfiniment notre savoir. Nous jouissons donc d’un monde de connaissances plus accumulées et partagées que jamais.

Utopie longévitiste environnementale

La nature avait inventé, il y a des millions d’années, la vie sans sénescence des arbres. Les forêts sont des milieux qui peuvent réaliser une harmonie millénaire. Pour vivre dans un environnement plus durable que jamais, les femmes et les hommes qui le souhaitent choisissent collectivement et individuellement de vivre cet environnement durable dans des corps durables. La nature et l’humain se sont rejoints dans ce qu’ils ont de meilleur, pacifiés.

Utopie longévitiste pacifiste

A propos de pacification, un monde sans limitation de durée de la vie humaine est devenu un monde pacifié. La violence n’est plus utilisée car chacun qui le souhaite peut vivre sans limitation de durée et la lutte pour la vie n’existe donc plus pour les humains. La violence n’est même plus concevable car avec la « mort de la mort » involontaire, l’idée même de tuer ou de faire souffrir son prochain est devenue impensable, inconcevable, inimaginable. Les mots existent encore mais en tant que concept abstrait. Nous disons encore « gravés dans le marbre » ou « il me tue » mais nous ne gravons plus et ne tuons plus.

Utopie longévitiste du bonheur

Une vie humaine naturelle ne conduisait pas au bien-être à satiété parce qu’elle était bien trop courte pour apprendre et vivre le bonheur pleinement et aussi parce que voir les autres mourir nous obligeait à nous couper des sensations les plus fortes. En permettant une vie sans crainte du surlendemain, l’utopie longévitiste permet à l’être humain petit à petit, crescendo, de se construire ce qu’il y avait de plus inaccessible: le bonheur. Cela c’est l’utopie la plus difficile à réaliser, elle a nécessité des améliorations qui ne sont pas que physiques mais également morales, techniques et éducationnelles. Cela restera peut-être un idéal inaccessible. Ou peut-être pas. Nous aurons des siècles et des siècles de vie beaucoup plus longue pour le découvrir.


La bonne nouvelle du mois : les recherches concernant la maladie d’Alzheimer progressent


C’est certainement dans le domaine des maladies neurodégénératives et particulièrement la maladie d’Alzheimer que les progrès de la lutte contre Le vieillissement sont les plus lents.


Une thérapie génique est en cours de test contre cette maladie. Mais pour le moment les tests se font uniquement sur des souris.

Des scientifiques britanniques ont injecté un virus qui contient un gène (appelé PGC-1-alpha) dans les régions du cerveau liées à la mémoire chez les souris. Selon les chercheurs, les souris qui avaient reçu le gène présentent très peu de plaques amyloïdes, par rapport aux souris non soignées et réussissent les tests de mémoire aussi bien que des souris saines.

Ces résultats positifs devront être confirmés et, surtout, il faudra examiner si ce type de thérapie est réalisable sur l’homme. Plusieurs thérapies relatives à Alzheimer prometteuses chez les rongeurs se sont malheureusement révélées inefficaces chez l’homme.

Par ailleurs, plus prometteur à court terme, aux Etats-Unis, le médicament « verubecestat » développé par la société américaine Merck qui semble efficace contre la maladie d’Alzheimer va être testé sur 3500 patients. Le médicament permet d’inhiber l’enzyme BACE1 qui est une des substances responsables du développement des plaques amyloïdes.

Si tout se passe pour ces tests à grande échelle comme pour les tests sur un plus petit nombre, ce médicament est sans effet secondaire important et il devrait ralentir le développement de la maladie.


Pour en savoir plus :

Déclaration de Bruxelles pour l’extension radicale de la durée de vie. Octobre 2016. Numéro 91. 

 

Le projet transhumaniste n’est pas absurde. Il s’agit de fabriquer une humanité qui serait à la fois jeune et vieille, qui réaliserait enfin l’adage: « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. » Cela dit, le transhumanisme est fondamentalement égalitariste. (…)  Après avoir corrigé les inégalités sociales, le transhumanisme veut corriger les inégalités naturelles. Interview de Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’éducation dans Le Point, 25 août 2016.


Thème du mois: L’Eurosymposium on Healthy Ageing se prononce vigoureusement pour la recherche pour la longévité


Près de cent chercheurs, activistes et spécialistes du vieillissement et de la lutte contre celle-ci se sont réunis durant trois jours pour l’Eurosymposium on Healthy Ageing. Ils participaient à des exposés scientifiques et des débats passionnants et parfois passionnés concernant les moyens envisagés pour lutter contre la première cause de souffrance et de mortalité du monde contemporain, la sénescence.

Le premier jour, les orateurs visaient surtout à décrire l’état des connaissances de l’épigénétique aux marqueurs du vieillissement et des cellules individuelles à l’être humain dans son ensemble.

Durant la seconde journée, les scientifiques exploraient notamment quelques-unes des innombrables pistes que suivent des spécialistes partout dans le monde pour lutter contre les maladies qui, aujourd’hui, nous empêchent tous, quel que soit notre santé et notre volonté de vivre plus d’une grosse centaine de printemps.

Lors de la dernière journée, ce sont  surtout les questions sociales, politiques et économiques liées aux recherches pour la longévité et aux perspectives d’une vie beaucoup plus longue qui furent abordées.

Enfin, les intervenants et participants de l’Eurosymposium on Healthy Ageing réunis d’abord en soirée dans un café typique de la capitale belge « La mort subite » (!) puis dans le cadre solennel de la Bibliothèque Royale de Belgique ont adopté une déclaration. Celle-ci se prononce clairement et radicalement (le terme a fait débat) pour un changement d’attitude en ce qui concerne les recherches pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue.

La déclaration a été formellement adoptée le 1er octobre. Cette date est importante car c’est, pour l’Organisation des Nations-Unies, la journée internationale des personnes âgées. Cette journée est également devenue, depuis quelques années, par extension, la journée internationale de la longévité.

Voici le texte adopté traduit en français:


Déclaration de Bruxelles pour l’extension radicale de la durée de vie


La défaite du vieillissement est à notre portée à tous. Il est temps de saisir cette remarquable opportunité.

Ce 1er octobre 2016, durant la Journée internationale de la longévité, l’Eurosymposium on Healthy Ageing, réuni à Bruxelles, proclame la possibilité et l’impératif d’un projet d’envergure planétaire pour surmonter toutes les maladies liées à l’âge dans les 25 prochaines années, en s’attaquant au vieillissement en tant que cause de ces maladies.

Le résultat sera un monde :

  • où les soins de santé seront beaucoup moins chers;
  • où le bien-être humain pourra être radicalement étendu;
  • où les gens accorderont une plus grande valeur à l’environnement et à la paix, grâce à leur espérance de vie beaucoup plus longue;
  • où le droit à la vie sera plus précieux que jamais, parce que la vie sera plus longue.

Les principales étapes de cette initiative seront les suivantes :

  • un changement de paradigme insistant sur la nécessité d’une recherche sur le vieillissement lui-même, plutôt qu’uniquement sur les maladies individuelles découlant de la vieillesse;
  • la suppression des barrières réglementaires et autres qui empêchent ou découragent les entreprises de développer des traitements concernant le vieillissement;
  • un programme accéléré pour tester les interventions anti-âge sur une échelle beaucoup plus grande que tout ce qui existe à l’heure actuelle.  De cette manière, des essais biotechnologiques de réel rajeunissement seront testés sur l’homme dès 2021.

Ces programmes nécessiteront un effort coordonné au niveau national et international, en intégrant diverses approches de recherche existantes et nouvelles. Ils doivent être financés par des organismes publics et privés et créer des solutions abordables, complètes et d’égal accès pour tous.


Bonne nouvelle du mois: Initiative Chan Zuckerberg pour mettre fin aux maladies


Mark Zuckerberg et Priscilla Chan ont un objectif de santé publique immense : mettre fin aux maladies et ceci encore avant la fin de la vie de leur fille (née fin 2015) en investissant 3 milliards de dollars. Les maladies citées sont surtout des maladies liées au vieillissement mais ce n’est pas mentionné dans la communication à ce sujet.

L’initiative s’est dotée d’un conseil scientifique. Ce conseil est composé de 9 personnes parmi lesquels un dirigeant de la société Google Calico. Rappelons que Calico a comme objectif de lutter contre le vieillissement. Les autres membres sont surtout des spécialistes de la génétique.


Pour en savoir plus:

 

 

Liberté, égalité, longévité. La mort de la mort. Septembre 2016. N° 90.

Si vous regardez les développements importants qui pourraient se produire à l’avenir, celui qui sera probablement de l’ordre de la plus grande discontinuité dans l’histoire de l’humanité est lorsque l’immortalité humaine sera réalisée. Ceci se produira sans aucun doute. Stephen Wolfram, scientifique britannique créateur notamment d’un moteur de recherche en 2014 dans une interview pour Inc. Video (traduction).


Thème du mois: longévité et inégalités


Situation – d’hier et d’aujourd’hui – des inégalités devant le vieillissement

En fait, les femmes et les hommes ne naissent ni ne meurent égaux en droits et opportunités. De toutes les inégalités, celle devant la mort est peut-être la plus injuste. Il est étrange que certains affirment que nous sommes tous égaux devant la fin de l’existence. Nous mourons tous de maladies liées à la vieillesse si nous échappons aux autres causes de décès, mais nous mourons à des moments très différents. Nous sommes inégaux, selon le patrimoine génétique, le sexe, l’environnement, le lieu de naissance,…

La majorité de ces inégalités sont fixées avant l’âge adulte et elles sont très souvent marquées par un avantage aux plus riches. Les principales de ces inégalités sont:

  • la condition sociale des parents (patrimoine et revenu)
  • l’éducation
  • le lieu de naissance puis le lieu de vie
  • le sexe et l’ensemble des autres caractéristiques génétiques

Il convient de rappeler que la mort par vieillissement crée aussi une inégalité forte de par l’héritage. Pour les plus pauvres, le décès des parents se fera plus tôt et sera rarement accompagné d’une transmission de patrimoine important. Pour les plus riches, le décès des parents sera souvent précédé d’une période plus longue d’assistance des parents aux enfants puis aux jeunes adultes (même si la situation peut s’inverser en fin de vie des parents). Au décès, l’enfant recevra un capital important, même s’il ne s’est jamais occupé de ses parents et que son seul « mérite » est d’avoir gagné à la loterie génétique.

Cette source d’inégalité forte qu’est l’héritage familial fait l’objet d’un consensus social très large, même parmi les tenants d’une gauche radicale et quel que soit le pays. Ceci s’explique probablement par le fait que transmettre son patrimoine aux générations suivantes est une façon symbolique de « vaincre » la mort.

Dans un monde dans lequel la durée de vie serait considérablement plus longue, voire sans limitation de durée, l’inégalité successorale – et tous les conflits qu’elle génère – pourrait perdre beaucoup de terrain.

Pour revenir aux vivants, il n’y a, bien sûr, pas que la naissance et l’enfance pour déterminer la durée de vie. Le comportement à l’âge adulte, la profession, l’alimentation, les pratiques sportives, … auront également un impact  important mais ces choix de vie sont eux-mêmes fortement influencés par les origines sociales. Par exemple, il n’est pas impossible que le fils d’une chirurgienne renommée et d’un cadre supérieur suisse diplômé d’Oxford finisse sa vie à 51 ans sans emploi sur un trottoir de Manille plutôt qu’à 89 ans dans une maison de retraite de Genève après une belle carrière universitaire. Il est néanmoins beaucoup plus probable que le premier destin décrit concerne des enfants nés sur des trottoirs philippins.

Aujourd’hui, l’âge moyen de décès des populations qui ont le moins de chance (les hommes pauvres des pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne) est d’environ 50 ans tandis que celle des plus chanceux est d’environ 85 ans (les femmes aisées de pays européens et asiatiques au niveau économique élevé). C’est dans le pays globalement les plus riches (les pays du Nord) et les plus égalitaires (notamment les pays scandinaves) que la durée de vie est la plus longue.

L’inégalité est profonde mais l’égalité a cependant considérablement progressé en ce qui concerne les différences selon les pays d’origine. En effet, la durée de vie moyenne progresse nettement plus rapidement au Sud qu’au Nord, même dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne où la situation est, encore aujourd’hui, très mauvaise.

Cependant, il semble que les différences d’espérance de vie selon les origines sociales à l’intérieur des pays riches ne diminuent pas, voire, selon certains, s’accroissent. Un exemple souvent cité est l’espérance de vie à Glasgow qui tombe à 54 ans pour les hommes dans le quartier le plus déshérité.

Qu’en est-il du futur des inégalités devant la mort ?

Les connaissances médicales relatives au vieillissement progressent rapidement dans de nombreux domaines: thérapies géniques, nanotechnologies, nouveaux produits, microchirurgies, imprimantes 3D médicales, intelligence artificielle dans le domaine médical,… Les chercheurs qui s’attaquent résolument au vieillissement sont presque exclusivement financés par le secteur privé. Par contre, les recherches dans le domaine des maladies neuro-dégénératives, où les progressions sont les plus difficiles et donc les plus lentes, sont le plus souvent publiques.

La recherche scientifique est de plus en plus collective. Aujourd’hui comme hier, les scientifiques sérieux passent un temps considérable à consulter les recherches de leurs collègues. Mais aujourd’hui, à la différence d’hier, il n’y a plus d’espace temporel entre la publication d’informations scientifiques et la consultation par les pairs. Une des conséquences positives en est que les recherches sont de plus en plus collectives et partagées. Une des évolutions négatives, dans le système économique actuel, est que les scientifiques sont amenés à des démarches de plus en plus nombreuses relatives à l’impact financier de leurs recherches. Ceci implique l’étude d’aspects juridiques complexes, évolutifs et très incertains et la création de structures juridiques d’autant plus complexes que les droits liés à la propriété intellectuelle des découvertes scientifiques varient considérablement selon les Etats et les périodes.

Pour les progrès médicaux liés à la longévité, l’enjeu est la vie ou la mort future de centaines de millions de personnes. La peur qu’un jour une thérapie ne soit accessible qu’aux riches est profonde.

Dans une mesure importante, cette peur est aussi excessive que la peur de ceux qui affirmaient à la fin du 20ème siècle que la communication mobile et l’accès internet seraient « bien sûr » réservés aux riches parce que les possédants n’avaient aucun avantage à ce que les pauvres aient l’accès aux connaissances. Aujourd’hui, la moitié des adultes de l’humanité ont un accès presque instantané à plus de connaissances que ce qui était accessible au plus érudits et aux plus puissants des humains d’il y a 40 ans seulement.

Cette peur est d’autant plus excessive que si, après-demain, des thérapies permettent une vie en bonne santé beaucoup plus longue, presque tout le monde y aura avantage. Les pressions morales, politiques, éthiques et sociales pour l’accessibilité seront énormes mais aussi les pressions économiques. Des individus se dégradant moins ou plus du tout avec l’avancée en âge, ce n’est pas seulement une bonne nouvelle pour les personnes qui ne souhaitent pas vieillir, c’est également une bonne nouvelle pour la société et pour les entrepreneurs en termes de coûts moindres de santé, de productivité accrue, de plus grande attention portée au long terme…

Cette évolution sera (fortement) facilitée si les thérapies sont découvertes dans un environnement juridique et social d’appropriation collective qui limite les tentations de faire primer l’intérêt financier individuel à court terme sur l’intérêt collectif à long terme. Cet environnement devrait également s’opposer aux différences devant la mort au nom d’idéologies inégalitaires.

Ceux qui, même à la gauche du champ politique, refusent des investissements accrus pour des recherches publiques pour la longévité représentent donc un frein à l’égalité à travers une vie beaucoup plus longue. Ils  rejettent, ce qui peut se comprendre, la domination des sociétés privées non européennes dans la recherche médicale. Pour cela, ils arguent souvent de la nécessité d’un débat démocratique. Mais ils refusent aussi, de manière illogique, que la recherche publique en France et en Europe fasse l’objet, après un débat démocratique, de choix de priorités positives de santé pouvant bénéficier à tous.


La bonne nouvelle du mois: du 1er septembre au 1er octobre, un mois pour la longévité


Les activités scientifiques et sociales relatives à la longévité se multiplieront tout au long du mois de septembre. Elles culmineront avec deux conférences internationales simultanées, l’une à Bruxelles du 29 septembre au 1er octobre, l’Eurosymposium on Healthy Ageing, l’autre à l’Université de Stanford (Californie) du 30 septembre au 2 octobre, la conférence de l’International Society on Aging and Disease (ISOAD).

Le 1er octobre ayant été décrété journée internationale des personnes âgées, par l’ONU, cette journée est devenue, par extension, la journée internationale de la longévité et fera l’objet d’activités internationales relatives à la lutte contre le vieillissement: Longévitistes de tous pays, unissez-vous!


Pour en savoir plus:

 

 

Source de la photo

Le temps contracté. La mort de la mort. Août 2016. N° 89.

Nous sommes dans une civilisation où le développement de l’individu est extrêmement lent – l’enfance comme l’adolescence semblent se prolonger sans fin. Ce n’est qu’au terme de nombreuses années qu’on arrive à se connaître soi-même, à force d’erreurs maintes fois répétées, de corrections, de révélations sur ce qu’on est. Mais lorsqu’on est en situation de tirer un enseignement de ce parcours chaotique, on est déjà presque un vieillard ! Ce serait sans aucun doute un progrès considérable pour l’humanité de pouvoir vivre « jeune » pendant cent ou cent cinquante ans: on disposerait du temps suffisant pour engranger des expériences et en tirer un art de vivre – ce dont nos contemporains manquent cruellement.

L’homme et la mort – Edgar Morin. Source: Article d’Ouverture, « La mort et l’immortalité, Encyclopédie des savoirs et des croyances », 2004


Thème du mois : Le temps modifié


Ô temps suspends ton vol!

Et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours

écrivait Lamartine dans le poème « Le Lac » en 1820.


Nous savons que la perception du temps qui passe est un mécanisme complexe. Ainsi, durant le sommeil, une durée de plusieurs heures peut sembler ne représenter que quelques instants. Nous ignorons d’ailleurs généralement totalement, si le réveil est spontané et dans l’obscurité, à quelle heure nous nous réveillons.


Il est bien connu également que, dans certaines circonstances, nous avons l’impression que le temps passe plus vite ou au contraire ralentit.


Le futur d’un temps subjectif plus long, approches modérées


De manière générale, lorsque des personnes sont invitées à mesurer le temps qui passe sans l’aide d’instrument de mesure, les personnes plus âgées auront tendance à sous-estimer le temps passé. Autrement dit, pour les personnes âgées, une minute, une heure, une journée, une année semblent se passer plus rapidement.

Une explication de ce phénomène est que les personnes les plus jeunes accumulent plus d’expériences nouvelles (on ne mange sa première fraise qu’une fois), ce surplus de découvertes donnant une impression de temps plus long parce qu’il est plus intense.


Par ailleurs, généralement, nous dirons que le « temps passe plus vite » lorsque la période est agréable et, inversément, que nous trouvons le « temps long » lorsque les occupations sont ennuyeuses.


Un exemple encore plus fort de temps allongé est celui de personnes qui disent avoir vu leur vie défiler alors qu’elles pensaient qu’elles allaient mourir. Cependant, est-ce réellement le temps qui est subjectivement plus long ou bien les souvenirs qui sont reconstruits a posteriori, il n’est pas possible de le savoir actuellement.


Mais il y a d’autres moyens subjectifs plus positifs « d’allonger le temps » que de se faire souffrir! Si l’intensité des émotions, des sensations, qu’elles soient agréables ou pas, est plus forte, alors le temps passe moins vite. C’est ainsi que, lorsque nous regardons un spectacle passionnant, nous sommes « suspendus » au spectacle. L’action se passe parfois comme au ralenti, le temps passe moins vite.


Globalement, le temps nous apparaît donc plus long lorsqu’il a été vécu avec plus de variété. Une raison de plus pour vivre une vie intéressante et diverse. A moins que vous ne préfériez allonger le temps long en vous ennuyant… à mourir.


Le futur d’un temps subjectif plus long : approches hypothétiques


Un certain nombre de drogues notamment le LSD ont un effet sur la perception de la durée du temps. Ces effets sont cependant surtout temporaires et ces drogues ont – bien sûr – des effets secondaires non négligeables.


Des chercheurs ont envisagé un futur dystopique dans lequel il serait possible, grâce à des drogues, « d’enfermer » des êtres conscients pour un temps presque infini. C’est étrange combien certaines personnes ont la capacité à imaginer, pour tout progrès technologique, un futur désagréable et cela dans des cas très spécifiques avant même d’envisager de possibles avantages.


Pour avoir une vie subjective plus longue, théoriquement, nous pourrions également envisager de renoncer au sommeil. Le phénomène étrange et complexe qu’est cette perte quotidienne de conscience, et donc de perception de l’écoulement du temps, a été approché dans une lettre mensuelle de janvier 2016.


La durée moyenne de sommeil est moindre qu’autrefois notamment parce qu’aujourd’hui, l’éclairage artificiel permet d’avoir des activités la nuit presque sans limitation. Nous pouvons donc vivre avec un peu moins de sommeil. Par contre, un rythme de sommeil nettement moindre est néfaste pour la santé, pour notre équilibre physiologique et plus encore pour notre équilibre psychologique. Une suppression du sommeil pour avoir plus de temps conscient n’est absolument pas envisageable à court ou à moyen terme. Le sommeil est indispensable aux processus neurologiques et, tout simplement, à notre vie.


Ici, nous passons maintenant à des hypothèses beaucoup plus hypothétiques. Pourrions-nous un jour contracter notre perception du temps, avoir une perception du temps qui passe plus longue et donc avoir l’impression de vivre plus longtemps?


Pour ce qui concerne le fonctionnement du cerveau, cela signifierait accélérer la vitesse des processus neuronaux. Cela n’est pas envisageable dans un avenir prévisible et cela l’est d’autant moins que nos processus mentaux sont adaptés aux autres rythmes biologiques et que ces rythmes biologiques sont, à leur tour, adaptés à l’environnement extérieur.


Nous avons décrit, dans une lettre de mai 2016, les conceptions de « téléchargement de l’esprit ». C’est actuellement totalement hypothétique mais il est imaginable, dans un futur assez lointain, que nous soyons capables de reproduire nos cerveaux sur un support informatique.


Dans cette vision vertigineuse, qui nécessite notamment que le transfert de conscience soit possible et que les ressources en puissance informatique soient énormes et stables, une des possibilités ouvertes serait un écoulement différent du temps. Une minute de temps réel pourrait correspondre à un temps subjectif informatique d’une heure ou au contraire de quelques secondes.


Le temps subjectif pourrait s’étendre de manière presque infinie. Dans cette hypothèse, lointaine, étrange, hypothétique et qui peut faire peur, si la simulation informatique de la réalité est (presque) parfaite, les citoyens du temps contracté pourraient dire, à l’instar de Nino Ferrer dans un rêve devenu réalité:On dirait le Sud
Le temps dure longtemps
Et la vie sûrement
Plus d’un million d’années
Et toujours en été

La bonne nouvelle du mois : Festival pour la longévité à San Diego (Etats-Unis)


Le RAAD Festival s’est déroulé du 4 au 7 août. Cet événement rassemblait des longévitistes venus de tous les horizons. Du célèbre biogérontologue Aubrey de Grey et d’Alex Zhavoronkov, dirigeant d’Insilico Medicine au chercheur, futurologue et directeur de l’ingénierie de Google Ray Kurzweil et au spécialiste de l’intelligence artificielle Ben Goertzel, des fondateurs du transhumanisme comme Max More et Natasha Vita-More au candidat « symbolique » présidentiel Zoltan Istvan qui veut faire de la longévité LA priorité des Etats-Unis et d’ailleurs, tous défendaient l’objectif d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue pour celles et ceux qui le souhaitent.


Ce festival annonce que la révolution contre le vieillissement et la mort démarre avec vous. Sachez que cette révolution est déjà en marche: elle reçoit le soutien d’un nombre croissant de scientifiques, de mécènes, d’industriels et de citoyens ordinaires. Elle devra trouver le moyen d’apaiser la peur, tenace chez certains, de la longévité, de la vie, d’un futur « trop beau pour être vrai”. Cela ne sera pas nécessairement facile mais c’est négligeable par rapport à l‘enjeu fondamental de santé publique, de bien-être individuel et collectif et de résilience que représente l’allongement de la vie en bonne santé.

Pour en savoir plus :

 

 

 

La mort de la mort. Lettre de juillet 2016. Numéro 88.

La convergence NBIC repousse des limites que l’on croyait figées et permet d’envisager aujourd’hui de combattre efficacement les maladies chroniques et le vieillissement. (…) Nous vivons aujourd’hui cet instant « darwinien » où l’homme peut agir sur sa condition, sa longévité et son biotope, pour le meilleur ou pour le pire.

Laurent Alexandre, Thierry Berthier, Bruno Tibault le 23 mai 2016 à propos de l’élection présidentielle française de 2017.


Thème du mois : Les arbres qui ne vieillissent pas.

Une des affirmations fausses souvent entendues à propos de la sénescence, c’est que le vieillissement est indissociable de la vie.


Dès le commencement de l’histoire du vivant et pendant des centaines de millions d’années, les organismes qui peuplaient la planète ne connaissaient probablement pas le vieillissement. Ils se développaient, se divisaient et mouraient lorsque les conditions devenaient défavorables.


Plus tard, beaucoup plus tard, apparut ce phénomène, par bien des aspects étrange, qu’est le vieillissement. Parmi les innombrables explications envisagées pour l’expliquer, il y a celui de la diversité biologique. Si les êtres vivants  meurent rapidement, leur descendants auront un patrimoine génétique différent et plus adapté à des modifications de l’environnement. Les êtres vieux doivent céder la place pour permettre la diversité! La diversité génétique forte, c’est aussi ce qui peut expliquer la débauche d’énergie qu’est la reproduction sexuée, par rapport à une simple reproduction par division. En ce sens, le sexe et la mort sont bien en relation l’un avec l’autre.


Cependant, ni le sexe, ni le vieillissement ne sont indissociablement liés à la vie. La reproduction asexuée est un phénomène assez courant dans la nature. Nombreux sont les invertébrés qui se reproduisent sans que des mâles et des femelles soient nécessaires. Même parmi les vertébrés, certaines espèces de poissons, d’amphibiens et de reptiles peuvent se reproduire de manière asexuée.


Par contre, les espèces animales qui échappent à la sénescence sont rares, très rares. L’observation scientifique rigoureuse n’existant que depuis un ou deux siècles, une dose d’incertitude importante subsiste, mais il semble bien qu’aucun vertébré ne puisse vivre plus de 250 ans et que, de manière générale, très peu d’animaux dépassent le siècle.


L’intérêt du vieillissement est-il moins important pour des êtres vivants qui ne peuvent pas se déplacer? En tout cas, les seuls animaux dont nous sommes certains qu’ils peuvent vivre plus de deux siècles sont des animaux qui ne se déplacent pas ou très peu, sauf au stade larvaire. Il s’agit notamment du quahog nordique (sorte de palourde), d’une espèce d’éponge appelée baril de rhum et de certains coraux.


Mais le monde du vivant ne se limite pas au monde animal. Pour ce qui concerne les arbres, la longévité élevée de certaines espèces est connue de tous, tout comme est également connu de tous, la datation la plus courante d’aprèsles cernes de l’arbre. La capacité d’êtres vivants presque immobiles à résister à toute agression est extraordinaire. Pendant des siècles, voire des millénaires, ils subsisteront malgré des modifications de température extrêmes, la cohabitation forcée avec des millions d’animaux et de plantes qui se nourriront à leurs dépens, les tempêtes et les orages, des pluies diluviennes ou des sécheresses uniques dans l’histoire humaine, des pollutions naturelles et plus récemment artificielles de l’air, de l’eau et de la terre.


Voici quelques types de plantes qui ont pour point commun de pouvoir vivre plus de 250 ans, c’est-à-dire largement plus que tout être humain, plus longtemps que la République française et plus longtemps que n’importe quel vertébré dont la durée de vie est connue (baleines bleues, tortue des Galapagos, poissons des profondeurs…).


Le chêne est probablement l’espèce la plus connue pour sa longévité. C’est un symbole de solidité qui a été utilisé à des fins politiques comme emblème de  stabilité et de justice. Le chêne du village d’Alouville a au moins 800 ans.


Le séquoia est l’être vivant de plusieurs records: taille, poids et longévité. Il peut s’élever à plus de 100 mètres du sol et créer une masse organique de plus de 1.000 tonnes. Le séquoia Général Sherman a plus de 2.000 ans d’âge et s’élève à 110 mètres.


Certains pins Bristlecone (nom scientifique Pinus longaeva) vivent depuis encore plus longtemps. Ainsi le pin Mathusalem a environ 5.000 ans. Il a vécu bien plus longtemps que la durée de vie supposée du personnage biblique et est né bien avant que les premiers textes de la Bible ne soient écrits.


D’autres espèces sont aussi renommées pour leur longévité: l’olivier en Grèce et ailleurs sur le pourtour méditerranéen depuis l’Antiquité, l’if dans la Gaule antique, le baobab en Afrique subsaharienne, le figuier en Inde et le Ginkgo biloba en Chine et au Japon.


L’énumération ne s’arrête pas là. Il y a encore bien d’autres arbres (et arbustes) pouvant vivre des siècles et des siècles notamment l’aubépine, le châtaignier, le cèdre, le hêtre, le tilleul, l’Araucaria du Chili, le genévrier des Rocheuses, le kaori néo-zélandais et le platane d’Orient.


Enfin, de nombreux arbres et arbustes se développent de manière clonale. Ceci signifie qu’à partir de la même plante, d’autres troncs que le tronc d’origine vont se développer, généralement via les racines. Si les nouvelles pousses sont considérées comme une entité commune avec la plante d’origine, alors, les durées de vie maximales des végétaux sont encore bien plus importantes.


Un épicéa suédois appelé Old Tjikko est l’arbre survivant d’un organisme apparu il y a près de 10.000 ans. Ceci a été établi par la datation au carbone 14 d’une partie de la racine.


Un créosotier californien baptisé King clone (arbuste à propriété médicinales) a, également selon la datation au carbone 14, des racines de plus de 13.000 ans.


Une colonie de peupliers faux-trembles en Utah aux États-Unis, appelé Pando, semble âgée de 80.000. Cet âge est cependant établi de manière indirecte.


Les écologistes, parmi bien des citoyennes et des citoyens, considèrent à raison les arbres comme un symbole de la force de la nature. La raison pour laquelle l’évolution n’a pas créé de sénescence pour ces êtres, en tout cas pas à une échelle humaine, ne nous est pas connue. Tout ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon. Tout ce qui est bon n’est pas nécessairement naturel. Mais l’absence de dégradation rapide par la sénescence créée naturellement peut donner des merveilles dont nous pouvons nous inspirer.



La bonne nouvelle du mois : 10 millions de dollars d’un mécène longévitiste pour la recherche de l’organisation SENS (d’Aubrey de Grey)


L’entrepreneur allemand spécialisé en nouvelles technologies et santé Michael Greve a promis dix millions de dollars pour soutenir durant les cinq prochaines années la Recherche et le Développement de SENS (Stratégies pour l’ingénierie d’une sénescence négligeable). Les projets soutenus concernent l’expression des gènes mitochondriaux et le clivage enzymatique de réticulation de glucosepane. Des recherches désignées par des termes complexes mais dont le but est très concret: allonger la vie en bonne santé de l’être humain.


Le soutien aux recherches pour la longévité des entrepreneurs américains s’étend vers un entrepreneur européen. Est-ce un signe de prise de conscience européenne à ce niveau? L’avenir nous le dira.



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