Lettre mensuelle de Heales. La mort de la mort N° 153. Décembre 2021. Si les humains ne mouraient pas de vieillesse, regretterions-nous cette situation ?

Imaginez une souris plutôt éduquée qui se demanderait s’il est théoriquement possible de vivre plus que deux ans et demi son espérance de vie moyenne? Mais bien sûr que oui, dira-t-elle, regardez l’espèce humaine (…) , mammifères comme nous qui vivent trente à quarante fois plus longtemps! Au-delà de nos limites biologiques: Les secrets de la longévité. 2011. Miroslav Radman.


Thème du mois : Si les humains ne mouraient pas de vieillesse, regretterions-nous cette situation ?


Introduction
Imaginons un monde pas tellement différent du nôtre. Cependant, les humains et la plupart des animaux n’y connaîtraient pas le vieillissement.

Dans ce monde, souhaiterions-nous à nous-mêmes et à nos enfants la sénescence, c’est-à-dire que la dégradation progressive jusqu’à la mort soit inévitable ?

Imaginons par exemple, un environnement biologique un peu plus « Lamarckien » que celui dans lequel nous vivons. Les évolutions épigénétiques, les caractères acquis seraient plus transmissibles. Un animal plus âgé aurait, comme ici, des avantages en termes d’expérience. De plus, les descendants bénéficieraient d’une transmission accrue de caractères acquis. Dans ce cas, la sélection naturelle aurait moins « besoin » de sénescence puisque l’évolution des espèces pourrait se produire du fait des changements survenus au cours de la vie des individus. Imaginons que la probabilité de mourir de causes naturelles soit de ce fait relativement stable, d’une année à l’autre, une fois l’âge adulte atteint. Imaginons donc une planète sans mort de vieillissement (et aussi sans dégradation dûe au vieillissement) pour la plupart des espèces vivantes.

Pour le reste, les « lois de la nature » s’appliqueraient: sélection du plus adapté, évolution des proies, prédateurs et parasites, concurrences et coopérations animales, végétales, bactériennes, fongiques… Les animaux vivraient plus longtemps, sans vieillissement, mais mourraient quand même de toutes les autres causes. L’immortalité biologique n’est pas l’immortalité tout court.

Un monde sans vieillissement ne serait pas paradisiaque mais…
Évidemment, il est impossible d’imaginer toutes les conséquences. Concentrons-nous sur les humains. Théoriquement, certains pourraient vivre depuis des milliers d’années. Mais cela serait extrêmement rare avant le développement des civilisations car les épidémies, la prédation, les violences frapperaient tous les individus.

Mais une fois les civilisations apparues, l’environnement serait radicalement différent. L’accumulation des connaissances serait plus rapide, des philosophes, des scientifiques, des dirigeants pourraient être influents durant des siècles. Les religions existeraient, mais elles seraient logiquement plus apaisées, moins axées sur l’au-delà, plus préoccupées par les corps et les âmes ici que par l’après-mort.

Assez rapidement, dans les régions les plus prospères, le contrôle des naissances se développerait. Assez rapidement, la science et la médecine pourraient se concentrer plus sur les causes de mortalité évitables. En effet, les enjeux positifs de la maîtrise de maladies seraient plus grands, il y aurait plus d’années de vie à gagner.

Comme pour ces humains, les capacités ne diminueraient pas avec l’âge, les mécanismes de nostalgies, de replis sur le passé, seraient moindres. En effet, la nostalgie, c’est souvent le regret de la jeunesse suite à la perte des énergies, de la santé, du goût, des autres sens… La nostalgie suite à la perte des êtres chers s’amoindrirait également. 

Dans notre monde contemporain, la philosophie est parfois définie comme « apprendre à mourir » (et à mourir vite). Là où la mort ne serait plus inéluctable, en tout cas à l’échelle des siècles, la philosophie serait plus d’apprendre à vivre, un apprentissage du respect des autres et de soi. Dans un monde plus stable, la nécessité notamment d’un équilibre environnemental est plus une évidence.

L’avancée en âge serait, comme dans notre monde,  synonyme de sagesse. Ce serait une sagesse avec moins d’aigreur et de regret du passé et donc plus d’ouverture sur le futur.

Dans ce lieu où la mort n’est plus inéluctable et devient rare grâce aux progrès technologiques et médicaux, il est permis d’imaginer que toute mort infligée, tout assassinat ne serait plus seulement inacceptable, il deviendrait inimaginable. Tout comme aujourd’hui tuer un enfant est presque inimaginable, car il a « toute la vie devant lui » alors qu’autrefois l’infanticide était souvent toléré et parfois totalement admis, notamment parce que beaucoup d’enfants mouraient en bas âge.

Dans un monde sans dégradation dûe à l’âge, inventerions-nous le vieillissement ?
Certains philosophes, certains responsables religieux pourraient souhaiter que les plus âgés disparaissent. Certains pourraient affirmer que c’est nécessaire pour renouveler la population, pour avoir des enfants sans risque de surpopulation.

Les représentants de ce courant de pensée voudraient-ils tuer les personnes les plus avancées en âge ? Et si oui, créer un système où la mort est lente, insidieuse, progressive, douloureuse, inéluctable… plutôt que par exemple créer une euthanasie obligatoire pour certains?

Cela semble improbable dans un univers de moindre violence. Aujourd’hui déjà, même les régimes les plus sanguinaires ne pratiquent (presque?) plus officiellement la torture comme moyen de pression. Alors infliger le vieillissement puis la mort…

Et si le verre était à moitié plein ?
Imaginons enfin un environnement où les humains ne sont pas amortels, mais vivent deux fois plus longtemps une fois adultes. La force de l’âge serait à 100 ans et Jeanne Calment aurait vécu 245 ans.

Personne ne proposerait vraisemblablement de mettre fin à la vie après 80 ou 90 ans. C’est la situation allant bien au-delà qui serait « normale » et apparaîtrait à presque tous comme souhaitable… jusqu’à un changement de situation.

Tout comme personne ne propose aujourd’hui de mettre fin à la vie à l’âge de 50 ans, alors que c’était la durée de vie maximale « normale » durant la majeure partie de l’histoire de l’humanité.

Conclusion
Si le vieillissement n’existait pas, il ne faudrait pas l’inventer. Toutes choses étant égales par ailleurs,  nous ne l’envisagerions probablement pas, même pour notre pire ennemi. Nous ne souhaiterions pas des années et parfois des décennies de dégradation insoutenable se terminant par la mort.

De plus, si nous vivions dans un monde sans vieillissement, la vie humaine, mais également la vie des êtres sentients (capables de souffrance) serait bien plus précieuse. Même les individus les plus irrespectueux des autres, élevés dans cet univers, auraient des difficultés à imaginer infliger les affres d’une torture sans fin appelée le vieillissement. Tout comme aujourd’hui, même un violent voleur récidiviste  ne songera probablement pas à brûler les pieds d’une personne âgée pour lui faire avouer où est son argent, puis à l’assassiner, pratique courante en France et ailleurs jusqu’au début du 19ᵉ siècle.

Le vieillissement est aujourd’hui inévitable. Nous avons déjà réussi à considérablement l’humaniser. Nous parvenons aussi à le ralentir un peu. Demain, nous pourrons peut-être l’arrêter. Selon toute vraisemblance, nous ne le regretterons pas plus que l’éradication de la peste et du choléra.


Les bonnes nouvelles du mois


  • Des scientifiques japonais développent un vaccin pour éliminer les cellules responsables du vieillissement. L’équipe, dont Toru Minamino, professeur à l’Université Juntendo, a confirmé que les souris auxquelles le vaccin avait été administré présentaient une diminution du nombre de cellules zombies, connues médicalement sous le nom de cellules sénescentes. L’équipe a identifié une protéine trouvée dans les cellules sénescentes chez l’homme et la souris et a créé un vaccin peptidique basé sur un acide aminé qui constitue la protéine. Cette nouvelle a fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Elle s’inscrit dans les espoirs nombreux relatifs aux produits sénolytiques. Cependant l’expérience ne concerne que des souris. De plus, l’espérance de vie maximale a été vérifiée sur des souris « progéroïdes » (à la vie beaucoup plus courte), mais pas sur des souris « normales ».
  • Début à Boston du premier essai clinique d’un vaccin nasal contre la maladie d’Alzheimer. Ce vaccin, formulé à partir d’une substance qui stimule l’immunité (le Protollin), est destiné à prévenir et à ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, la maladie liée au vieillissement pour laquelle les progrès de la recherche médicale sont les plus lents… Un essai de phase 1 implique 16 participants, âgés de 60 à 85 ans, tous atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce, mais en bonne santé générale. Ils recevront deux doses du vaccin. L’équipe de recherche mesurera l’effet de Protollin nasal sur la réponse immunitaire, en particulier ses effets sur les globules blancs, en examinant les marqueurs de la surface cellulaire, les profils génétiques et les tests fonctionnels.

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