Les effets collatéraux d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue. La mort de la mort. Mai 2018. N° 110. 

Les difficultés pour un financement (de la lutte pour la longévité) sont dues au désespoir de presque tout le monde pour parvenir à oublier le vieillissement et prétendre qu’il s’agit d’une sorte de bénédiction déguisée, afin de pouvoir vivre sa vie misérable sans être préoccupé par le sort terrible qui l’attend. (…) Cette attitude est psychologiquement compréhensible mais moralement inexcusable. Aubrey de Grey, le biogérontologue le plus connu au monde et l’un des plus actifs, Varsity (périodique en ligne de Cambridge, Royaume-Uni)  interview du 27 avril 2018 (traduction)


Thème du mois. Les conséquences d’un monde à sénescence négligeable


Cette lettre ccerne les conséquences sociales, économiques et onculturelles les plus envisageables et souhaitables d’une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Elle se base sur l’hypothèse qu’une thérapie qui permet de rendre négligeable les mécanismes de sénescence est accessible à un prix modique (un peu comme le prix des vaccins ou d’une opération de l’appendice aujourd’hui). Il est également supposé que l’environnement technologique et culturel est similaire au nôtre. Si cette lettre était une nouvelle littéraire, cela serait de l’uchronie, de l’histoire alternative (que serait le monde si nous ne vieillissions plus aujourd’hui) plutôt que de la prospective, de l’histoire du futur (que sera le monde si nous ne vieillissions plus dans 30 ans).

Cette lettre se place délibérément dans l’optique d’évolutions positives. Une utilisation collective positive d’une avancée médicale et sociale n’est pas certaine. Une société de caste « d’amortels » et de mortels serviles est imaginable. La vaccination aurait pu être utilisée pour protéger des soldats envahissant des pays contaminés artificiellement, la transplantation d’organes pourrait se faire en exécutant des pauvres pour donner une vie meilleure aux riches, la transfusion sanguine pourrait être réservée aux travailleurs méritants pour les « booster ». Cependant, tout cela est peu envisageable dans un monde contemporain où le respect de la vie humaine s’étend.

Voici donc les effets collatéraux envisageables de l’amortalité dans un monde, par ailleurs, pas tellement différent du nôtre :

Les inégalités involontaires devant la mort sont rares, la longévité est acceptée par les représentants religieux, mais il y a des « Amish de la longévité »

Certains imaginent qu’une société où il est possible de ne pas vieillir se diviserait en deux camps : les modernes et les traditionnels. En fait rien n’oblige les « traditionnels » aujourd’hui à avoir l’électricité, l’eau courante, le chauffage central, un accès internet et un smartphone. Tout cela est radicalement « anti-naturel » et tout cela est très utile et est devenu ou est en train de devenir universellement utilisé. Rien n’oblige non plus les « traditionnels » à consulter un médecin quand ils sont gravement malades et pourtant presque tout le monde le fait. Rien n’obligerait à utiliser une thérapie de longévité. Dans un monde où des thérapies de longévité sont disponibles, il est probable qu’elles seront utilisées par presque tous avec ce petit vertige que nous ressentons parfois en voyant un documentaire historique ou en lisant un livre du passé où tout était tellement différent et, par bien des aspects, atroce.

Les représentants des religions ne s’y opposeraient pas plus qu’ils ne se sont opposés aux vaccinations, aux accouchements sans douleur, au don d’organes une fois qu’ils ont été répandus,… Bien sûr, rien de tout cela n’est explicitement prévu par les livres sacrés, mais rien de tout cela n’est explicitement interdit non plus. Les livres sacrés parlent de l’obligation de mourir de vieillesse et s’il n’y en a plus? Ces livres disent aussi que l’esclave doit obéir à son maître. Quand la mort de vieillesse n’existe plus, quand l’esclavage n’existe plus, il ne faut plus s’y soumettre. L’égalité et la longévité sont des concepts pour lesquels les grandes religions peuvent trouver aisément des bases théologiques.

Cependant, il y aurait probablement quelques personnes souhaitant continuer à vieillir. Dans les sociétés à tradition démocratique, cette diversité n’est pas seulement gérable, elle est souhaitable. Les Amish de l’est des Etats-Unis nous enseignent bien des choses sur une population réduisant l’accès à certaines technologies, des personnes qui souhaitent vieillir quand c’est évitable nous enseigneront les conséquences sociales, sanitaires et morales d’un monde par ailleurs disparu.

Beaucoup plus d’investissements pour la santé et la sécurité des personnes

Une vie humaine a un prix, même si cela s’envisage avec des précautions oratoires pour ne pas choquer. Il est même un terme technique très utilisé pour calculer cela, il s’agit des QALY pour « quality-adjusted life year ». C’est le nombre d’années à vivre pour une personne, pondéré par la qualité de la vie. Si le vieillissement est négligeable, la valeur financière d’une vie humaine est multipliée par un facteur 10 ou plus dans un pays comme la France. D’une part, l’espérance de vie se mesurerait non plus en décennies mais en siècles, d’autre part, la majorité des maladies incapacitantes (notamment la maladie d’Alzheimer) disparaitraient ou deviendraient exceptionnelles.

Ceci signifie, en termes purement économiques, qu’une vie humaine a plus de valeur et que les efforts financiers pour épargner des vies sont bien plus « rentables » économiquement. Autrement dit, plus d’argent et d’énergie seraient investis pour éviter les morts sur la route, pour limiter les accidents du travail et les accidents domestiques, pour prévenir les décès lors de catastrophes naturelles parce que la vie serait plus précieuse que jamais. Certains argumentent même que la vie sera trop précieuse, que les individus n’oseraient plus prendre aucun risque. Cela n’est pas inimaginable que certains se sentiront bridés par des mesures de sécurité, tout comme bien des citoyens ont rejeté par le passé les limitations de vitesse sur la route, les mesures anti-incendie. Mais il s’agit d’abord de protéger la collectivité contre les agissements de quelques-uns dans un monde dans lequel les progrès technologiques sont source de progrès sociaux mais entraînent également des risques considérables.

Beaucoup plus de moyens financiers

Cette lettre part de l’hypothèse qu’une thérapie de longévité sera peu coûteuse. Les raisons pour l’expliquer sont qu’une thérapie s’appliquant à des milliards de personnes a un coût marginal par individu très faible et que les thérapies médicales quelles qu’elles soient sont beaucoup plus coûteuses à découvrir qu’à appliquer. La recherche coûte cher, l’infrastructure médicale coûte cher, les sociétés pharmaceutiques et certains corps médicaux sont largement rémunérés mais les produits et thérapies eux-mêmes ont un coût très raisonnable.

Les dépenses seraient faibles alors que les économies en matière de coûts de santé seraient immenses. En effet, jusqu’à présent, l’essentiel des coûts de santé sont concentrés sur les traitements dus aux maladies liées au vieillissement durant les dernières années de vie. Dans l’hypothèse envisagée, cela ne concernera plus qu’un petit nombre de personnes. Les économies ne comprendront pas seulement les soins de santé proprement dits mais également une réduction radicale des coûts pour les maisons de retraite, des accompagnements de personnes âgées, des mesures permettant aux familles de s’occuper de parents en souffrance…

Certains s’inquiètent d’une possible « interdiction de choisir de vieillir” en raison des coûts économiques. En fait, vu les économies considérables qui seraient réalisées, les moyens financiers libérés pour ceux qui choisiraient de continuer à vieillir seraient considérables. Ces moyens financiers, dans un monde inchangé par ailleurs, permettraient également de libérer des millions de personnes qui pourraient se consacrer à d’autres tâches socialement utiles comme l’assistance aux personnes en difficulté psychologique. Cela permettrait également l’organisation d’une véritable « civilisation des loisirs » où les citoyens pourraient prendre du bon temps avec leurs « jeunes » parents plutôt que d’avoir la mauvaise conscience de les « abandonner » pendant les vacances.

Vie plus précieuse psychologiquement

Mourir, cela n’est rien, mais voir les autres mourir, oh! voir mourir… aurait pu écrire Brel. L’être humain est le seul être vivant conscient de l’inéluctabilité de sa fin. Nous sommes confrontés à notre propre finitude et aussi à celle de tous ceux que nous aimons, nos enfants, nos parents, nos proches. Nous ne pouvons survivre psychologiquement à cette situation qu’en nous ménageant des espaces d’indifférence. Mais nous ne voulons ou ne pouvons pas laisser voir cette indifférence par convention sociale ou pour ne pas faire souffrir des proches.

Une vie beaucoup plus longue rendrait évitable ou nettement plus rare cette attitude schizophrénique. Plus nous vivrons longtemps, plus les proches ou les moins proches vivront longtemps, plus nous pourrons nous aimer, nous entraider. Pour mieux comprendre ce monde plus agréable possible, rappelons-nous combien les nourrissons et jeunes enfants étaient bien moins « précieux » qu’aujourd’hui. Ce n’est pas parce que nos aïeux étaient incapables d’aimer leurs enfants qu’ils s’y attachaient beaucoup moins, mais c’est parce que les enfants très souvent ne survivaient pas. S’y attacher, c’était souffrir trop. Aujourd’hui, nous nous aimons et respectons bien plus les uns les autres qu’hier, mais pas encore assez. Un monde sans sénescence serait un monde où nous serions plus humains, plus empathiques, plus compassionnels, plus facilement et plus longtemps.

Vie plus calme, plus épanouie, moins stressante

L’être humain vit à la fois comme s’il allait vivre toujours et comme s’il allait disparaître très bientôt. Nos comportements sont fréquemment illogiques. Parfois, nous brûlons la chandelle par les deux bouts, parfois nous économisons comme si nous allions vivre des siècles. Une vie sans sénescence sera plus calme, plus épanouie et sans urgences dues à notre fin et à celle des autres. Certains s’inquiètent que les couples ne seront plus « pour la vie » parce que la vie sera beaucoup plus longue. Il semble quand même préférable de voir un couple interrompu par une rupture que par la mort d’un partenaire, considérant d’ailleurs que, déjà aujourd’hui, la plupart des couples ne durent pas « pour la vie ».

Des enfants plus désirés et moins nombreux

Nous savons déjà qu’une vie plus longue est étroitement corrélée à une diminution du nombre d’enfants par femme. Une thérapie contre la sénescence permettrait aux femmes une fertilité sans limitation de durée. Cela signifierait très probablement que les femmes auraient à court et moyen terme beaucoup moins d’enfants.

Cela signifierait aussi que les enfants seraient plus désirés et plus aimés, que jamais dans l’histoire de l’humanité. Plus aimés parce que moins nombreux, plus aimés parce que nous saurons que nous pourrons vivre ensemble plus longtemps.

Conclusion

Vivre mieux, plus longtemps et bonne santé: qui serait contre ? Presque personne. Pourtant à l’idée que nous pourrions vivre beaucoup mieux, beaucoup plus longtemps et en nettement meilleure santé, beaucoup s’inquiètent. Pourquoi ? Pas parce que c’est « anti-naturel », « mal », « immoral », mais parce que l’espoir d’un futur meilleur rend la réalité du présent difficile à supporter. Pourtant, il nous faut accepter et profiter du présent tant que nous ne pouvons pas le changer. Et il nous faut améliorer la communauté humaine, lorsque cela devient possible, comme l’ont fait avant nous des milliers de générations.


La bonne nouvelle du mois : Budget européen pour la recherche en croissance et annonce par le commissaire européen Carlos Moedas de projets « Moonshot » notamment de santé


Les annonces positives pour la recherche se multiplient, particulièrement dans le domaine de la santé et avec des moyens publics.

La commission européenne a annoncé pour la période 2021-2027 un budget pour la recherche atteignant 100 milliards d’euros, c’est une croissance importante.

Carlos Moedas, Commissaire européen à la recherche, à l’innovation et à la science a notamment précisé à ce sujet la nécessité de projets passionnants de type «moonshot» pour faire rayonner l’imagination des Européens sur l’avenir et les inciter à se sentir inspirés plutôt que pessimistes. Il a donné à Euronews comme exemple la volonté de guérir la maladie d’Alzheimer ou de transformer le cancer en maladie chronique. Lors du Horasis Global Meeting au début du mois de mai, il a parlé de la façon dont nous avons doublé l’espérance de vie au cours des 100 dernières années et a affirmé qu’il était « incroyablement excitant » de penser à la prochaine innovation passionnante qui transformera nos vies.


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