Le point sur les expérimentations humaines. La mort de la mort. Octobre 2017. N° 103.

Il est en fait impossible de donner un consentement éclairé dans le cas d’une recherche jugée intrinsèquement très risquée, même si vous voulez le faire et que vous savez ce qui est en jeu et quelles sont les chances que vous souffriez d’une hémorragie cérébrale ou quoi que ce soit d’autre. Professeur Steve Fuller, philosophe et sociologue britannique. (vidéo de Virtual Future 2017, traduction)


Thème du mois: Recherche expérimentales de longévité de femmes et d’hommes (âgés)


La liste est longue des produits, méthodes et traitements pour lesquels il a été affirmé qu’il était possible de vivre (beaucoup) plus longtemps. Aujourd’hui, les recherches avec des applications à court ou moyen terme envisageables pour les humains concernent notamment les thérapies géniques, les cellules-souches, des produits (metformine, rapamycine, statines, sénolytiques…), les nanotechnologies, l’alimentation, l’exposition aux substances toxiques et le mode de vie.

Les efforts pour la longévité semblent parfois désordonnés, vains, ridicules et anti-naturels, tout comme semblaient désordonnés, vains, ridicules et antinaturels, les essais pour faire voler des plus lourds que l’air à la fin du 19è siècle.

Comme pour l’aviation, le chemin du succès passera par des essais difficiles. Mais nous avons aujourd’hui bien plus de moyens qu’au tournant du 20è siècle et l’enjeu potentiel ne concerne pas les touristes aériens du siècle à venir mais des milliards de femmes et d’hommes avançant en âge aujourd’hui.

Garanties à apporter

Études en double aveugle

Pour qu’une étude thérapeutique démontre son efficacité de manière indiscutable, il est en règle nécessaire qu’elle se déroule en « double aveugle ». Généralement, cela se fait de la manière suivante:

  • Un groupe de sujets d’expérience est constitué puis divisé en deux parties égales de manière aléatoire (par tirage au sort)
  • Chaque groupe est traité d’une manière qui apparaît comme identique tant pour les sujets de l’expérience que pour ceux qui administrent le traitement. Cependant, seule une moitié des personnes reçoivent un vrai traitement, les autres reçoivent un simulacre de traitement.

Ceci est nécessaire pour diminuer le risque de fraude mais aussi pour contrer les effets placebo et nocebo. Par exemple, les personnes recevant un traitement peuvent se sentir mieux (l’effet placebo) alors que les personnes ne recevant rien pourraient se sentir exclues et donc mal (effet nocebo). Il ne suffit pas que les patients ne sachent pas ce qu’ils reçoivent. Ainsi, un infirmier pensant donner un produit « miracle » sera plus attentif, souvent de manière inconsciente, pour le patient porteur d’espoir que pour le patient « contrôle ».

Réaliser une expérience en réel double-aveugle est souvent complexe (et même parfois impossible). Par exemple une pilule placebo n’a pas la même consistance et le même goût qu’une pilule avec des produits actifs. Il peut également se poser des problèmes éthiques, si la thérapie envisagée est lourde. Ainsi, faire une intervention simulée similaire à une opération thérapeutique lourde, n’est pas admissible aujourd’hui.

Il faut préciser que, pour  des tests en double aveugle portant sur des personnes souffrant de maladies, le groupe « placebo » n’est pas laissé sans soin. Deux cas sont envisageables :

  • un groupe reçoit la thérapie traditionnelle et un autre groupe reçoit la thérapie nouvelle
  • un groupe reçoit la thérapie traditionnelle et un autre groupe reçoit la thérapie traditionnelle et la thérapie nouvelle

Tout ce qui précède concerne des thérapies avec des effets relativement limités. Si les résultats sont très nets et rapides, des tests peuvent être utiles même s’ils ne sont pas en double aveugle et s’ils se font seulement sur quelques personnes.

Garanties du point de vue du coût de l’expérimentation pour les patients

Il est souhaitable que les personnes de l’expérience soient bénévoles : payer des personnes, au-delà d’une indemnisation des frais, pour effectuer des essais, pourrait avoir pour conséquence que des personnes accepteraient de prendre des risques non pas par « consentement éclairé » mais plutôt pour gagner de l’argent. Les garde-fous mis en place pour éviter des expériences trop dangereuses seraient donc diminués.

Certains souhaitent faire payer des personnes pour tester. Accepter cela a pour conséquence que des thérapies innovantes sont réservées à ceux qui en ont les moyens. Les partisans de ce paiement insistent cependant sur le fait que les riches testant ces produits seraient des « cobayes » utiles à la collectivité et particulièrement bien informés.

Garanties juridiques

Dans l’Union européenne, aux Etats-Unis et dans les pays socio-économiquement similaires, les législations sont de plus en plus exigeantes sur le plan de la santé, ce qui est positif. Elles sont aussi de plus en plus complexes, abondantes et exigeantes techniquement notamment pour les expérimentations. Ceci mène à rendre (quasiment) impossible qu’un volontaire informé puisse tester certaines thérapies même si

  • il souhaite le faire par intérêt personnel;
  • il souhaite le faire par désir de faire avancer « la science » pour une vie en bonne santé;
  • il est très âgé et sait qu’en l’absence de thérapie efficace nouvelle, il ne lui reste probablement que quelques années à vivre;
  • il pourrait parfaitement et en toute légalité en dehors du laboratoire prendre des risques pour sa santé infiniment plus importants; rien ne lui interdit de se remettre à fumer, de boire cinq cognacs par jour et d’avaler tout ce qui se vend sans ordonnance en pharmacie sans se soucier des effets nocifs et sans personne pour l’avertir des risques.

Permettre à des volontaires informés de participer plus aisément à des recherches est donc souhaitable pour le bien des volontaires et pour le bien des frères humains qui après nous vivez.

Devoir d’information, même en cas d’échec

Le but des recherches est une vie meilleure pour tous. Il va de soi que l’effet n’est pas atteint si une découverte positive reste secrète. Dans ce cadre, il y a la question des brevets et des droits de propriété qui a été notamment abordée dans la lettre de mars 2017.

Mais il est également utile que les recherches sans amélioration soient connues. Il est même extrêmement important que les pratiques scientifiques et les législations prévoient leur communication parce que :

  • il est tentant pour des raisons psychologiques, sociales, économiques, … de dissimuler des échecs
  • et ce alors que la collectivité a tout intérêt à connaître ce qui ne « fonctionne » pas (pour ne pas reproduire inutilement des expérimentations) ainsi que les erreurs d’expérimentation commises (pour ne pas les renouveler).

Qui pourrait tester ?

À quel âge tester des thérapies nouvelles ?

La plupart des expérimentations médicales se font aujourd’hui chez des personnes relativement jeunes. La raison de ce choix est éthique, pratique et économique :

  • il s’agit de prendre des individus « solides » qui risquent moins en cas d’accident (raison éthique);
  • Il faut éviter que les sujets d’expériences aient des problèmes de santé autres que ceux pour lesquels le test est fait sinon il serait difficile de distinguer effet négatif éventuel d’une thérapie et autres problèmes de santé, en tout cas si le groupe test est de petite taille (raison pratique et économique).

Or, de plus en plus, et surtout dans les pays les plus riches, nous ne mourrons plus que de maladies liées au vieillissement. Nous vivons généralement en bonne santé de plus en plus longtemps au moins jusqu’à 65 ans, et souvent jusqu’à 75 ou même 80 ans. De plus en plus, les décès avant 75 ans sont qualifiés de décès « prématurés ». Par contre la limite supérieure de la durée de vie progresse beaucoup moins rapidement et même stagne.

Autrement dit, aujourd’hui :

  • l’essentiel des conséquences mortelles du vieillissement se passe en 15 à 20 ans d’un peu moins de 80 ans à environ 95 ans pour les hommes et d’un peu plus de 80 ans à un peu moins de 100 ans pour les femmes ;
  • alors que l’essentiel des essais thérapeutiques se fait chez des sujets jeunes c’est-à-dire qui n’ont pas besoin de thérapie.

Tester des thérapies nouvelles sur des personnes âgées de moins de 75 ou 80 ans ne permettrait donc pas de faire des constatations importantes en termes de mortalité avant une décennie, surtout si le groupe de personnes testées est réduit. Bien sûr, il y a des marqueurs biologiques qui permettent de donner des indications relatives au rythme de vieillissement, mais aucun de ces marqueurs n’est actuellement considéré comme le mesurant clairement.

Il serait même plus souhaitable encore de réaliser des tests en double aveugle sur des femmes et des hommes très âgés (hommes de plus de 90 ans, femmes de plus de 95 ans), en bonne santé pour leur âge et ayant donné un consentement informé. Attention, il ne s’agirait pas de tester une thérapie pour un groupe et de laisser l’autre groupe sans rien mais d’avoir deux groupes (voire plusieurs groupes) bénéficiant tous de soins élevés dont certains recevraient en plus une thérapie nouvelle (et d’autres un placebo).

Dans ce cas de figure, du seul fait de l’expérimentation et de son but (recherche médicale pour vivre plus longtemps en bonne santé), la durée de vie moyenne et la durée de vie moyenne en bonne santé se trouverait presque certainement allongée même pour le groupe ne recevant pas de thérapie nouvelle (car ils bénéficieraient tous de soins adaptés, dans un environnement favorable, ….).

Ce qui se fait réellement aujourd’hui

Aujourd’hui, selon les informations disponibles dans la presse, seules trois expérimentations sont connues. Aucune n’est directement organisée par une institution publique.

Le projet TAME a pour objectif de tester sur des milliers de personnes âgées américaines en bonne santé l’effet positif pour la longévité de la metformine (un médicament utilisé notamment pour le traitement du diabète).

La société Ambrosia veut expérimenter l’utilisation chez des personnes âgées américaines les effets réjuvénateurs de l’injection de sang de personnes jeunes.

Liz Parrish de la société Bioviva se définit comme le « patient 0 » (la première patiente) pour des thérapies de réjuvénation. Elle a utilisé une thérapie génétique pour l’allongement des télomères de ses cellules et un inhibiteur de myostatine pour renforcer ses capacités musculaires.

Ce qui peut se faire demain

En octobre 2017, comme chaque mois, plus de 3 millions de personnes sont décédées des suites de maladies liées au vieillissement. Chaque jour, des milliards d’euros sont consacrés pour les soins de santé aux personnes âgées dans le monde et c’est très bien pour ceux qui en bénéficient (malheureusement beaucoup de personnes âgées ne bénéficient d’aucun soin). Durant la même période, les expérimentations humaines concernant l’amélioration de la longévité n’ont concerné que quelques personnes et les investissements sont dérisoires.

Des citoyens seraient certainement volontaires pour participer à des recherches et expérimentations. Le droit des citoyens à chercher comment gagner des années de vie en bonne santé pour les autres et pour eux-mêmes pourrait être développé plus rapidement si la mobilisation à ce sujet s’accroissait.


La bonne nouvelle du mois : avancées pour les recherches relatives aux cellules sénescentes


Les recherches sur les sénolytiques (produits détruisant les cellules sénescentes) sont de plus en plus nombreuses et prometteuses. Le prestigieux magazine Nature vient de publier un article consacrée à la réjuvénation grâce à la suppression des « cellules zombies » (To stay young, kill zombie cells). L’article annonce notamment que des essais sur des êtres humains sont très proches.

Pour en savoir plus:

De manière générale, voir notamment: heales.orgsens.orglongevityalliance.org et longecity.org

A propos d’expérimentation humaine (pas seulement médicale) : en.wikipedia.org/wiki/Human_subject_research

Photo