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Droits d’auteur et longévité. La mort de la mort. Juillet 2019 . Numéro 124.

Il y a des gens qui pensent que sans la perspective de la mort, la vie n’a plus de sens. Mais vous savez, je regarde les jeunes enfants, ils sont pleins de joie de vivre, ils bondissent hors du lit le matin, ils veulent se rencontrer et jouer. Ils ne le font pas parce qu’ils pensent qu’ils vont mourir un jour. Ils vivent pour l’amour de la vie. Ils ne vivent pas pour l’amour de la mort. Et à mon avis, nous sommes tout à fait capables de trouver de nombreux sens à la vie, même s’il n’y a aucune menace de mort devant nous. David Wood, auteur de The abolition of aging. Sur la chaîne Skynews. 19 Juin 2019 (traduction).


Thème du mois : Un copyright pour la pilule de l’immortalité ?


Introduction

Il y a 26 siècles environ, les habitants de Sybaris, colonie grecque dans ce qui est aujourd’hui la Calabre, inventent le droit d’auteur.

Les sybarites étaient réputés pour leur goût du luxe à tous égards, notamment celui de l’alimentation. Ils octroyaient aux cuisiniers le droit exclusif à leurs recettes de cuisine. Selon Phylarque de Naucratis, grec égyptien du 2ème siècle avant Jésus-Christ : « si un cuisinier inventait de nouvelles et succulentes recettes, nul autre de ses confrères n’était autorisé à les mettre en pratique pendant une année, lui seul ayant le privilège de confectionner librement son plat. Le but avoué de la chose était d’encourager les autres cuisiniers à se concurrencer dans la confection de mets toujours plus raffinés« .

En 2019, les fictions juridiques que sont les droits intellectuels ont envahi la vie sociale mondiale, s’immisçant dans les domaines les plus improbables de nos activités: arts, écrits, paroles, danses, inventions, représentations et même beaucoup de ce qui est naturel mais théoriquement appropriable depuis certaines espèces vivantes jusqu’aux objets extra-terrestres. Sont « appropriables » notamment, les médicaments, les techniques médicales, les articles scientifiques de recherche pour une vie plus longue en bonne santé, les noms de produits…

Tout cela s’intègre dans un cadre où les signes, symboles et objets virtuels, occupent une place de plus en plus importante dans la vie sociale. La complexité, la volatilité et les contradictions qui en résultent, génèrent un processus de décision de plus en plus lent, processus qui prend malheureusement peu en compte les objectifs de longévité issus de recherches pour la santé et un meilleur environnement.

Les anciens grecs seraient probablement surpris de constater que malgré toute l’imagination de ceux qui font profession de monétiser toute production de l’esprit, les recettes de cuisine sont généralement considérées aujourd’hui comme non appropriables. Une recette diététique, variante du régime crétois, présumée utile pour la longévité, ne sera pas protégeable.

Mais il serait encore plus surpris de savoir que si une jeune fille de 20 ans écrit ce jour un beau texte pour la promotion de la santé et le publie dans ce qui est aujourd’hui la France, théoriquement, son texte pourra bénéficier financièrement à ses descendants (mais pratiquement à son éditeur) jusqu’au milieu du 22ème siècle, précisément jusqu’en l’an 2159 si la personne décède à 90 ans. Même dans un siècle, en théorie, ils pourront refuser une publication qu’ils considéreront comme ayant un but contraire aux idées de l’auteure. Et si les recherches pour la longévité permettent un jour une vie sans limitation de durée, le droit d’auteur n’aura plus de limite (sauf changement de législation bien sûr).

Droits intellectuels – Droit d’auteur – Copyright – Marques – Brevets

Voici une présentation résumée à l’extrême d’un domaine qui s’étend sur des millions de pages.

Les droits de propriété intellectuelle (en anglais Intellectual Property, IP) sont l’ensemble des droits qui permettent à des personnes de restreindre le droit d’autres personnes d’utiliser certaines choses, productions, oeuvres en raison d’une « propriété » intellectuelle. En théorie, ces droits protègent l’auteur. En pratique, ces droits protègent quasiment toujours les représentants de l’auteur, le plus souvent sans que l’auteur lui-même y gagne quoi que ce soit et ait eu un véritable choix par rapport au contrat. Par exemple une maison d’édition scientifique ou une société de gestion de droit peut empêcher un auteur de mettre ses connaissances au service de la collectivité, une entreprise ayant racheté des brevets médicaux peut empêcher l’inventeur d’une technique médicale nouvelle d’en faire bénéficier ceux qui en ont besoin…

Le droit d’auteur est le droit intellectuel le plus classique. Un article scientifique ou de vulgarisation médicale, sur papier ou en ligne, mais aussi la plupart des autres formes d’expression culturelle originale telles une photo, un schéma médical, une musique relaxante, une sculpture anatomique originale… fera en principe toujours l’objet d’une protection de droit d’auteur.

Le copyright, c’est le même concept globalement mais en droit anglo-saxon, notamment aux Etats-Unis et en Grande=Bretagne. Ceci concerne la plupart des revues médicales et scientifiques prestigieuses (The Lancet, Elsevier, Springer, Nature…). Généralement, le droit d’auteur comme le copyright ne s’éteint que 70 ans après le décès de l’auteur (50 ans dans certains pays). Aujourd’hui, ce droit n’est plus soumis à aucune formalité, le célèbre signe © n’étant généralement plus une obligation.

Les marques bénéficient d’une protection qui va s’étendant dans des domaines parfois absurdes comme des objets courants (même une pomme ou des fenêtres !). Dans le domaine médical, une des nuisances nées de ce droit est que bien des médicaments similaires portent des noms variables pour pouvoir vendre plus, ce qui rend l’accessibilité moindre (par le manque de transparence, les confusions selon les noms des médicaments, les tarifications différentes, …).

Le brevet, c’est le droit intellectuel lié à une invention. Il permet au détenteur du droit de bénéficier de l’exclusivité des droits patrimoniaux issus de son exploitation. Le droit est beaucoup plus court que le droit d’auteur (20 ans parfois prolongeable de 5 ans) et nécessite une formalité, à savoir l’enregistrement. Les médicaments et les dispositifs médicaux sont généralement brevetés.

Des conséquences des droits d’auteur pour les médicaments et thérapies

A la question « Qu’est ce qui peut être utilisé pour les progrès médicaux sans crainte de recours juridique ? », la réponse courte est « Presque rien ». En effet, certains se font une spécialité des recours (sur base de l’ensemble du droit commercial, pas seulement les droits d’auteur) contre toute utilisation novatrice ou plus exactement pour tenter de retirer des bénéfices de toute utilisation novatrice. Une partie de ces démarches seraient comiques si elles n’étaient pas particulièrement nuisibles à la collectivité. Ainsi, des sociétés pharmaceutiques ont essayé de s’emparer de produits qui étaient utilisés par des peuples autochtones depuis des siècles. Très souvent, pour des raisons de droits d’auteur mais aussi pour des raisons fiscales, ces appropriations sont tentées par des entités avec des statuts juridiques de type « startup » et/ou avec une dimension internationale d’une grande opacité. Enfin, les aspects juridiques contribuent, dans un contexte administratif déjà extrêmement lourd, à un environnement d’une complexité souvent surréaliste générant des millions de formulaires d’accords de non divulgation (NDA), de contrats d’auteur et autres dispositions dont personne ne comprend l’ensemble des implications, même pas les avocats et autres juristes qui les écrivent.

Plus largement, il peut y avoir développement d’une évolution globale des désirs des chercheurs fait de l’appât du gain mais aussi de la recherche de la respectabilité née d’accords avec des entreprises privées. Sans startup, certains chercheurs risquent de penser (à tort) qu’ils ne sont rien. Ceci alors que le but d’origine, pour les chercheurs, est souvent d’apporter des bienfaits à la collectivité.

La conséquence négative la plus connue est la croissance de prix à des niveaux inaccessibles pour certaines thérapies car les sociétés doivent générer des bénéfices. Ceci concerne les traitements de maladies dites orphelines et aussi de nombreuses thérapies innovantes. Bien des malades pauvres en meurent. Et là où le système de soins de santé permet l’intervention publique, les coûts sociaux sont élevés.

De plus, pour que les produits se vendent bien, il est important de présenter les résultats de la manière la plus positive et de minimiser les résultats négatifs, ce qui nuit à la transparence.

Lorsqu’un produit pharmaceutique devient libre de droits, les sociétés qui disposaient de brevets seront poussées à faire des recherches visant à légèrement améliorer le produit dans un but nettement plus commercial que thérapeutique. Et surtout, en ce qui concerne les progrès « difficilement appropriables, vendables ou brevetables », la recherche sera très difficile à réaliser par des entreprises privées. Il en va ainsi des recherches prometteuses pour la lutte contre le vieillissement sur la metformine (dont le brevet est expiré).

Généralement, l’ADN et donc toutes les modifications génétiques, particulièrement chez l’humain, sont (heureusement) considérés comme non brevetables. Par contre, les moyens pour parvenir à une modification génétique le sont. Un affrontement juridique complexe oppose les différents chercheurs (et surtout les sociétés!) impliqués dans les recherches de type CRISPR. Si, un jour, une thérapie génique est découverte ayant un impact pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue, rendre cette thérapie accessible à tous devrait être plus facile juridiquement que de photocopier un album de Tintin pour votre petit cousin.

Des conséquences des droits d’auteur pour les publications

Le système de publication pour les articles scientifiques est largement reconnu comme aberrant. Quelques éditeurs privés disposent d’un monopole de fait pour l’édition des revues scientifiques prestigieuses accessibles en ligne. L’accès à ces revues est vendu extrêmement cher et est donc en principe presque inaccessible, non seulement pour les citoyens ordinaires, mais même pour les chercheurs sauf dans les universités « riches ». Heureusement, ces dernières années, des progrès considérables ont eu lieu avec les développements suivants:

De nombreuses publications se font sans le consentement des éditeurs afin de permettre l’accessibilité aux chercheurs. L’initiative la plus connue et la plus efficace est Sci-Hub créé par l’informaticienne kazakh Alexandra Elbakyan. Ces démarches sont généralement considérées comme illicites, même si l’on peut parfois considérer juridiquement que nécessité fait loi pour permettre les recherches qui sauvent des vies. En pratique, il y a de multiples autres moyens d’obtenir des documents de chercheurs, notamment en demandant l’accès aux intéressés.

Au niveau européen, le plan S a l’ambition d’obliger à partir de 2021 à ce que toutes les publications scientifiques financées par des moyens publics soient publiées dans des revues à libre accès. Ce plan s’inscrit dans une logique qui devrait être évidente : ce qui est payé avec des moyens publics doit être mis à disposition du public. Il est à noter, de manière assez surprenante, que la réglementation la plus « progressiste » dans ce domaine est la législation fédérale américaine qui prévoit que ce qui est réalisé par l’administration fédérale est en principe accessible à tous : depuis les photos de la terre par la Nasa jusqu’aux documents utiles à la recherche médicale.

Conclusion et perspectives

Malgré le tableau sombre qui précède, les droits d’auteur ont certainement eu certaines utilités pour la recherche médicale dans l’environnement social et économique actuel. Sans eux, bien des chercheurs n’auraient plus de revenus et bien des recherches pour des produits potentiellement utiles pour la longévité devraient être abandonnées.

Mais une mise en commun radicalement facilitée des projets et des résultats des recherches par des investissements, notamment publics, serait un facteur considérable d’avancée. Il serait utile d’avoir des dispositions légales simples et compréhensibles aboutissant à ce que les résultats des recherches soient « libres de droits » et que l’indemnisation juste des chercheurs et des partenaires privés ne puisse aucunement freiner la mise à disposition des thérapies aux citoyens.


La bonne nouvelle du mois : CHAI, Initiative californienne pour le vieillissement en santé pour un référendum au pays de la Silicon Valley


Des militants longévitistes de Californie et d’ailleurs soutiennent une initiative électorale visant à fournir 12 milliards de dollars en financement public pour la recherche sur la lutte contre le vieillissement au cours des 12 prochaines années. La Californie est l’un des États où les citoyens peuvent créer des lois directement de par leurs votes. En 2004, ce processus a été utilisé avec succès pour affecter trois milliards de dollars à la recherche sur les cellules souches. Mais recueillir des signatures et éduquer le public est une proposition coûteuse. Ils auront besoin d’une vaste coalition d’intérêts (probablement avec des centaines de milliers de signatures de citoyens) pour permettre que le référendum ait lieu.

C’est un enjeu considérable. Si le référendum se tient, cela serait la première fois que des millions d’électeurs seraient directement amenés à se prononcer à propos de recherche pour la longévité. Et quel meilleur endroit pour aborder ces questions que la Silicon Valley ?


Pour en savoir plus:

 

 

Epigénétique et vieillissement. La mort de la mort. Juin 2019. Numéro 123. 

Le pessimisme, c’est pour vendre; l’optimisme, c’est pour la lutte. (…) Si vous regardez l’espérance de vie, vous constatez que, vers les années 1850, elle était de 30 ans pour les femmes. Trente ans! Aujourd’hui, elle est de 85 ans. Ce n’est plus la même femme. Ce n’est plus le même corps. Michel Serres. Philosophe et historien des sciences. Le Soir lundi 3 juin 2019 cité suite à son décès.


Thème du mois: L’horloge épigénétique, marqueur du vieillissement 


Brève introduction à l’épigénétique

Pendant longtemps, les biologistes disaient que notre corps était composé de milliards de cellules toutes différentes, mais toutes avec le même code génétique. Il s’agissait bien sûr de l’ADN, une molécule en forme de très long ruban enroulé de manière complexe dans 23 paires de chromosomes et qui « déplié », mesurerait deux mètres de long. Dans la vision traditionnelle, tout se jouait au moment de la conception. Après celle-ci, les cellules se divisaient à de très nombreuses reprises et se spécialisaient, mais en gardant le même code, le même ADN. En principe, donc rien ne changeait  avant la création des cellules reproductrices.

Mais, cette compréhension du code fondamental du vivant s’est affinée. Nous savons aujourd’hui que de temps en temps, l’ADN des cellules qui nous composent change soit spontanément, soit sous l’impact de circonstances extérieures et que même les vrais jumeaux (monozygotes) n’ont pas exactement le même patrimoine génétique.  Au fur et à mesure de l’avancée en âge et lorsque les circonstances extérieures sont défavorables, ces modifications sont de plus en plus importantes. Les cellules disposent de moyens de réparation de l’ADN endommagé, mais les capacités de réparation semblent moindres pour les personnes en mauvaise santé.

A cette vision déjà fort complexe, il faut ajouter la dimension d’un phénomène qui était encore presque inconnu il y a une vingtaine d’années : l’épigénétique (du grec « épí », « au-dessus de »). Il s’agit des mécanismes modifiant l’expression des gènes sans en changer la séquence nucléotidique (ADN).

C’est l’épigénétique qui permet notamment d’expliquer que, alors que toutes les cellules d’un organisme multicellulaire ont (quasiment) le même patrimoine génétique, elles se développent de manière totalement différente selon la catégorie de cellules auxquelles elles appartiennent, ce qui fait qu’une cellule de la peau « sait » qu’elle ne doit pas se développer comme une cellule du coeur.

Que sont concrètement les modifications épigénétiques ?

L’épigénétique, ce n’est pas de la transformation de l’ADN proprement dit (qui constitue le code génétique), mais ce sont des modifications qui se déroulent également au niveau du noyau de la cellule et qui sont intimement liées à l’ADN. Certaines de ces modifications acquises au cours de la vie, peuvent être transmises à des générations suivantes par exemple suite à des traumatismes, ceci étant contraire au principe que l’on pensait absolu que seul l’ADN détermine comment sera la descendance.

Les altérations épigénétiques comprennent notamment trois mécanismes appelés la méthylation de l’ADN, les modifications d’histones et le remodelage chromatinien.

La méthylation de l’ADN conditionne l’expression des gènes dans chaque cellule. Des bases nucléotidiques peuvent être modifiées par l’addition d’un groupement méthyle. Cette modification de l’ADN est effectuée par des enzymes particulières appelées DNMTs (pour « DNA methyl-transferase »).

Les histones sont des protéines qui permettent la compaction de l’ADN. Par ce mécanisme, l’ADN est enroulé autour des histones comme du fil autour d’une bobine.

La chromatine est la matière composée notamment d’ARN et de protéines dans laquelle l’ADN se trouve empaqueté et compacté, un peu, ici aussi, comme une pelote de fil, mais en beaucoup plus complexe. Les parties les plus « empaquetées » ont le moins de contact avec l’extérieur et les gènes qui y sont situés s’expriment moins ou pas. Le remodelage chromatinien, ce sont les modifications de cet « empaquetage ». 

Ce qui précède est simplifié à l’extrême. C’est fascinant et vertigineux que chacune des dizaines de milliers de milliards de noyaux de cellules de notre corps constitue un petit univers. Chaque élément central de l’unité de base de notre corps contient donc non seulement presque tout ce qui est nécessaire à la création d’un être humain, mais aussi des composants organisant l’expression du patrimoine génétique, des différences subtiles et pourtant indispensables et des mécanismes innombrables que nous ne comprenons encore que très partiellement. 

Epigénétique et mesure du vieillissement

Tout comme il est aujourd’hui de plus en plus facile de déchiffrer le code ADN y compris les différences entre différentes cellules (par exemple les caractéristiques génétiques des cellules cancéreuses), il est aussi de plus en plus facile de mesurer les différences des composantes épigénétiques.

Ces composantes varient avec l’écoulement du temps, c’est pourquoi l’expression d’horloge épigénétique est employée.

Mais si les variations des composantes étaient uniquement proportionnelles à l’âge chronologique, la mesure des résultats de cette horloge n’aurait pas d’intérêt pour le calcul du vieillissement.

En fait, il est apparu que la rapidité avec laquelle l’horloge avance était fortement corrélée avec d’autres mécanismes de vieillissement. Une personne âgée (ou d’ailleurs une souris âgée) en plus mauvaise santé aura plus de modifications épigénétiques.

Il semble donc possible, simplement en examinant à intervalles réguliers le nombre de modifications épigénétiques dans les cellules d’un être humain, d’avoir une idée de la vitesse de son vieillissement.

Plus précisément, les modifications épigénétiques étant des mécanismes multiples, il y a de nombreux composants qui peuvent être mesurés. Il y a notamment ceux mesurés par le professeur californien Steve Horwath et ceux mesurés par un autre scientifique américain Gregory Hannum.

Comme dans bien des domaines liés aux causes et conséquences de la sénescence, il n’y a pas de consensus pour établir si les modifications épigénétiques sont d’abord une cause ou d’abord une conséquence du vieillissement. Selon certains gérontologues, les changements épigénétiques peuvent être considérés comme le moteur de la croissance et du développement du corps et le vieillissement comme la continuation du programme épigénétique. L’horloge épigénétique, bon prédicteur des causes de mortalité, ne serait donc pas seulement un biomarqueur parmi d’autres, ce serait une cause importante du vieillissement, voire la plus importante.

Un scientifique de la côte est des Etats-Unis, Josh Mitteldorf, a le projet ambitieux de mesurer pendant deux années des milliers de profils épigénétiques de citoyens volontaires qui suivent des traitements anti-vieillissements de toutes sortes dans tous les coins du monde. Ce projet est conçu particulièrement pour rechercher des combinaisons qui fonctionnent bien ensemble, qui interagissent de manière fortement positive. En deux années, à condition que Josh trouve un financement, nous pourrions avoir une vision globale de l’efficacité de centaines de traitements anti-âge. 

Ceci aurait une immense utilité, pour limiter des recherches dans des directions qui s’avèrent inefficaces et surtout pour intensifier les recherches de ce qui fonctionne pour permettre à des millions de citoyens avançant en âge de prendre des traitements préventifs et curatifs adéquats.


La bonne nouvelle du mois : Projet public français pour la longévité


Un projet baptisé ExtenSanté est actuellement examiné par des citoyens, des décideurs  et des scientifiques afin de favoriser des recherches et des traitements pour lutter contre les maladies liées au vieillissement. La campagne déjà en cours comprend un texte d’explication de la démarche (Travaillons sur les causes plutôt que sur les conséquences), des informations de fond fournies par différents groupements et des affiches


Pour en savoir plus:

 

 

 

L’erreur de Tithon. La mort de la mort. Mai 2019. Numéro 122.

La Bank of America déclare que la durée de vie humaine pourrait bientôt dépasser 100 ans grâce aux techniques médicales. Titre (traduit) d’un article de la chaîne télévisée américaine CNBC du 8 mai 2019. La seconde banque des États-Unis estime également que ceci va ouvrir un marché financier d’au moins 600 milliards de dollars d’ici 2025.


Thème du mois : Le mythe de Tithon.


Dans la mythologie grecque, Tithon est un prince, être humain d’une grande beauté. Il est tellement beau qu’Éos, la déesse de l’aurore, l’enlève et engendre deux fils avec lui. Éos est une déesse, à la vie sans fin alors que Tithon doit vieillir et mourir comme un humain.

Souhaitant garder Tithon pour toujours, Éos demande à Zeus l’immortalité pour son amant. Zeus la lui accorde, mais il omet volontairement ou il oublie (les versions divergent) de lui accorder la jeunesse éternelle. Tithon vivra alors non pas une vie éternelle surhumaine, mais un vieillissement, un dessèchement sans fin.

L’idée qu’une vie beaucoup plus longue n’est pas un bienfait mais une malédiction est exprimée bien souvent par des opposants aux progrès médicaux. C’est une des nombreuses variantes de croyances selon lesquelles un progrès visible doit obligatoirement avoir pour « contrepoids » des inconvénients au moins aussi importants que les avantages. Dans la tradition grecque, encore très présente au fond de la pensée occidentale, cela illustre l’idée selon laquelle obtenir ce qui ne relève pas de la condition humaine mais de celle des dieux – l’hybris, est un péché de démesure qui peut être sanctionné de la plus sévère des sentences.

Une vie plus longue mais en mauvaise santé, mythes et réalités

Dans la nature, globalement, les êtres vivants qui vivent le plus longtemps, ne sont pas les plus fragiles et les plus décrépits. Que ce soit les baleines, les séquoias ou encore les espèces d’oiseaux comme des albatros et des perroquets qui peuvent vivre beaucoup plus longtemps que la plupart des autres êtres vivants, la durée de vie en bonne santé est longue.

En ce qui concerne l’être humain, il est certain que les dernières années de vie sont généralement vécues dans un état de santé moins bon que le reste de l’existence. Mais, avec les progrès de la longévité, cette situation s’aggrave-t-elle?

D’abord, plus la vie est longue, plus les dernières années de vie en mauvaise santé surviennent tard et moins cela représente une part importante de la durée de vie totale. Les 3 dernières années d’une vie de 90 ans, c’est environ 3 % de la durée de vie. Les 3 dernières années d’une vie de 60 ans, c’est environ 5 % de la durée de vie.

Ensuite, bien des maladies et affections invalidantes du passé sont devenues rares ou presque inexistantes aujourd’hui. Nous ne croisons plus guère en France, en Belgique ou au Canada de vieillards perclus de rhumatismes, obligés de marcher avec une canne ou courbés presque à 90 degrés. Les hommes et les femmes ne meurent plus lentement de tuberculose se traînant d’un sanatorium à l’autre. La fièvre typhoïde dont on mourait ou dont on devenait idiot comme aurait dit Mac Mahon, ne frappe plus guère. De manière générale, les maladies infectieuses ne sont presque plus jamais invalidantes et les affections touchant le système cardiovasculaire ou respiratoire ainsi que les cancers bien soignés permettent une vie en de meilleures conditions qu’autrefois.

Il y a cependant un domaine où les progressions de la durée de vie en mauvaise santé sont importantes, ce sont les maladies neurodégénératives, particulièrement la maladie d’Alzheimer. Les recherches et les soins de santé aujourd’hui ne permettent que de ralentir un peu la maladie. Comme l’environnement social et de santé est meilleur, les femmes et les hommes atteints vivent plus longtemps mais pas en meilleure santé qu’auparavant.

Quelques raisons des croyances en un vieillissement nécessairement de plus en plus en mauvaise santé

Le concept d’année de vie en bonne santé est un concept assez subjectif. Nous sommes beaucoup plus exigeants aujourd’hui que par le passé en ce qui concerne la santé. De plus, nous avons souvent tendance à imaginer un « bon vieux temps » qui n’a jamais existé. Inversement, nous imaginons souvent que des progressions technologiques sont plus nocives qu’elles ne le sont (rappelons-nous combien nos ancêtres avaient peur de l’électricité, des premières locomotives, …). Tout cela est positif car nous sommes plus attentifs à la bonne santé qu’auparavant mais cela conduit à surestimer le temps de vie en mauvaise santé d’aujourd’hui par rapport au passé.

De manière plus générale, comme aujourd’hui, nous n’avons aucun choix, comme nous ne pouvons pas interrompre le mécanisme qui mène à la mort de vieillissement, c’est moins difficile psychologiquement de se dire que ne pas mourir serait pire, que nous en souffririons « mille morts ». Nous sommes comme le renard de la fable d’Esope qui tente d’attraper de beaux raisins et qui, n’y arrivant pas, se dit « Ces raisins doivent être acides ».

Jusqu’ici, pour l’humain (et aussi pour les animaux de laboratoire comme les souris), il reste impossible de dissocier, sauf très temporairement, avancée en âge et usure des corps. L’interruption du vieillissement reste impossible et donc presque inimaginable. Lorsque nous parvenons à l’imaginer, nous n’y arrivons que partiellement, nous envisageons la mort de vieillissement vaincue mais pas le mécanisme de sénescence lui-même.

Enfin, il y a une confusion entre le concept de vieillissement biologique et le concept d’entropie. Beaucoup de gens diront que la dégradation et le vieillissement sont inévitables car tout système dynamique, être vivant ou autre, finit forcément par se « dégrader ». Il est exact que tout doit s’arrêter, s’épuiser un jour, vu l’entropie mais il s’agit d’échelles de temps totalement différentes de l’échelle de temps du vivant. Les espèces vivantes, tels les séquoias ou encore les coraux qui n’ont pas de mécanismes de vieillissement ne « s’épuisent » pas par entropie. Ils ne « s’épuisent » pas non plus comme une montre parvenant au bout de son ressort ou de sa pile.

En effet, les êtres vivants ne sont pas des systèmes « fermés ». Ils absorbent des substances extérieures et ceci peut se faire pendant des millénaires. Les êtres vivants contemporains ne sont pas concernés par l’entropie qui n’aura de conséquence que dans des temps géologiques. Pour des millions et même des milliards d’années à venir, une source d’énergie de facto illimitée vient contrer l’entropie sur notre planète. Il s’agit de l’énergie du soleil.

Une vie amortelle serait presque certainement une vie en bonne santé

Le concept d’amortalité, c’est par définition la suppression des mécanismes de vieillissement provoquant le décès.

Il est théoriquement imaginable que, grâce aux progrès médicaux, un jour, nous parvenions à stopper le mécanisme de vieillissement et empêcher les décès, mais seulement pour des personnes affaiblies par l’âge.

C’est théoriquement imaginable mais, en pratique, très peu probable. Si un jour, nous parvenons à stopper les mécanismes de vieillissement, l’objectif suivant ou concomitant des chercheurs et des corps médicaux sera évidemment d’améliorer la situation physique et mentale des personnes concernées, de permettre une réjuvénation. Lorsque, dans le domaine médical, nous parvenons à vaincre une maladie (sida, cancer, …), nous cherchons aussi à obtenir une convalescence complète et nous y arrivons de plus en plus souvent, même si aujourd’hui, c’est encore pour un temps limité.

Cette évolution est souhaitable pour des questions de qualité de vie des personnes âgées et d’égalité des droits entre jeunes et vieux, mais aussi en termes économiques. Une population en croissance et en mauvaise santé serait bien plus difficile à prendre en charge par la société qu’une population avançant en âge et dont la santé s’améliore.


La bonne nouvelle du mois, une histoire personnelle : Comment je vivrai plus de 57 ans grâce aux progrès médicaux de ces dernières décennies


Le 8 mai 2019 aurait probablement été le dernier jour de l’existence de l’auteur de ces lignes (auteur principal de cette lettre) sans l’efficacité des systèmes de secours et du système de santé belge et sans les progrès technologiques de ces dernières décennies.

J’ai eu la « chance » de faire un infarctus à Bruxelles, où j’habite. L’ambulance que j’avais appelée est venue en quelques minutes et m’a emmené dans un hôpital public proche où des chirurgiens m’ont sauvé la vie par un quintuple pontage coronarien au cours d’une opération de plus de cinq heures. Et moins de vingt jours plus tard, grâce aux soins post-opératoires également brillants et à la chance que j’ai de disposer d’un bon état de santé « restant », je peux avoir des activités sociales normales, marcher des kilomètres… écrire cette lettre.

Je vous avouerais que dans l’ambulance qui m’emmenait vers ma survie, je ne me suis pas demandé si c’était bien moral de bénéficier de progrès médicaux alors qu’une personne habitant loin d’une grande ville en Afrique ou ailleurs serait très probablement morte (ou même toute personne qui n’aurait simplement pas pu atteindre les secours). Il est parfois reproché aux longévitistes d’être égoïstes. En ce sens, j’ai été égoïste. Pour le futur, qui se poursuit pour moi après le 8 mai, comme pour le passé, une de mes préoccupations reste cependant que la longévité concerne tous ceux qui le souhaitent aussi rapidement que possible.

Dans l’ambulance et à l’hôpital, je me suis dit et redit combien aujourd’hui était le meilleur moment de l’histoire de l’humanité pour vivre en meilleure santé. J’ai vu aussi combien les soins, surtout les soins d’urgence, sont remarquables. Je me suis dit aussi, aujourd’hui, plus encore qu’hier, qu’il est urgent de poursuivre les recherches, d’investir plus d’argent dans la lutte contre le vieillissement pour que de plus en plus de gens échappent à une mort « naturelle ». C’est tellement plus utile que de dépenser temps et énergie à des questions administratives, de prestige, à des questions littéralement ou littérairement cosmétiques ou encore à des conflits en comparaisons microscopiques (sachant que je ne suis certainement pas immunisé contre ces « gaspillages d’énergie », même après mon aventure aux confins de la vie!).

Je souhaite que dans un avenir le plus proche possible, ce qui a été possible pour moi le devienne pour tous sans distinction d’âge et de résidence. Je suis persuadé que si les questions de santé, de longévité et plus largement tout ce qui rend l’homme plus résilient, devenaient la priorité incontournable de ce début de 21ème siècle, les progrès pourraient être fulgurants.


Pour en savoir plus :
Voir notamment : Heales.orgsens.orglongevityalliance.org et longecity.org
Photo : Éos (l’Aurore) poursuivant Tithon

 

Longévité et pollution atmosphérique. La mort de la mort. Avril 2019. N° 121. 

 

J’ai grandi en Nouvelle-Zélande et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 12 ans. Je me souviens d’une fois où ma grand-mère est venue nous rendre visite. Je n’avais jamais fréquenté quelqu’un de plus de 60 ans auparavant. Quand elle est arrivée, je me souviens avoir pour la première fois réalisé que, vous savez, quand j’allais jouer avec mon frère, je pouvais courir et être brutale. Mais pour ma grand-mère, seulement se lever d’une chaise, c’était vraiment douloureux. Cela m’a frappé. Oh elle a une maladie, nous devrions essayer de trouver un moyen de la guérir pour qu’elle puisse venir jouer avec nous.

Ensuite je me rappelle avoir demandé à mes parents quelle maladie était-ce. Ils m’ont dit : elle n’est pas atteinte d’une maladie, elle est vieille. Je leur ai demandé  quelle maladie c’était d’être vieux. Ils m’ont dit : Oh, non, non, tu ne comprends pas, c’est un processus naturel. Et en tant qu’enfant, vous vous dites : C’est stupide. Pourquoi y a-t-il un processus naturel que nous devrions tous attraper, une maladie qui nous rend tellement abimés ? Interview de Laura Deming, chercheuse et investisseuse longévitiste de 25 ans. The Fight against Aging. HT Summit 2017 (traduction).


Thème du mois : L’influence de ce que nous respirons sur le vieillissement.


Chaque jour, nous inspirons en moyenne environ 12.000 litres d’air soit 14 kilos. L’air se compose essentiellement d’azote (diazote), d’un tout petit peu de dioxyde de carbone (0,03 %) et d’environ 21 % d’oxygène, cette substance qui nous est indispensable mais qui, durant la majeure partie de l’histoire de la vie, fut un poison violent.

Une molécule de dioxygène qui pénètre dans le système respiratoire suivra un parcours débutant dans la trachée et s’achevant dans le sang, en passant par les alvéoles pulmonaires, c’est-à-dire environ 300 millions de tous petits sacs poreux de 2 millimètres carrés.

Outre les gaz cités, lors de la respiration, nous avalons aussi, de manière involontaire quantité de substances, dont certaines sont nuisibles à notre organisme. La plupart de ces substances seront rejetées soit presque immédiatement lors de l’expiration, soit par la toux ou encore dans le mucus que nous évacuons en nous mouchant. Mais certaines substances nocives s’installent durablement dans notre corps.

Même si le terme « pollution » couvre parfois des substances naturelles (par exemple celles libérées en cas d’éruption volcanique), la présente lettre examinera uniquement les effets nocifs de ce qui est produit par l’activité humaine.

Certaines de ces substances peuvent créer des troubles du système respiratoire ou du système nerveux et même provoquer la mort par effet direct.

C’est le cas des tristement célèbres gaz de combat ou d’extermination utilisés durant les deux guerres mondiales du 20e siècle, mais c’est le cas aussi de nombreuses autres substances chimiques.

Après la seconde guerre mondiale, en Europe, de la pollution atmosphérique pouvant être rapidement létale se développa, notamment suite à l’utilisation de charbon – qui dégage du dioxyde de soufre. Ainsi, ce qui fut appelé le grand smog de Londres durant l’hiver de 1952 (une pollution si forte que la visibilité fut parfois réduite à quelques mètres) provoqua la mort de milliers de personnes.

Globalement, aujourd’hui, la dispersion de produits ayant des effets si nocifs qu’ils conduisent  rapidement à la mort est rare. Des décès restent néanmoins à déplorer, principalement dans le cas d’accidents. La législation contemporaine à ce sujet est assez protectrice et une catastrophe comparable à ce qui s’était déroulé à Bhopal en 1984 avec plusieurs milliers de morts a peu de risques de se reproduire.

Une autre forme de pollution atmosphérique qui a quasiment disparu aujourd’hui est la pollution radioactive à doses fortes. Durant trois décennies, de 1945 à 1974, des centaines d’essais nucléaires furent réalisés en plein air libérant dans l’atmosphère des substances radioactives en quantité et selon des modalités que nous ne pourrions plus imaginer aujourd’hui. Il y eut notamment une centaine de tests nucléaires américains à 100 kilomètres de Las Vegas et un test nucléaire soviétique avec une arme 1.580 fois plus puissante que les bombes d’Hiroshima et Nagasaki réunies.

Mais ce qui reste fort présent, et même parfois s’accroît, en Europe et plus encore en Asie, c’est la pollution due à des particules dites particules fines. Ces particules mesurant moins d’un millième de millimètre (un micromètre, familièrement un micron, symbolisée par le µ) s’introduisent jusqu’aux alvéoles pulmonaires. Les plus petites particules, plus nocives encore, peuvent même franchir les alvéoles et passer dans le sang. Lorsque ces particules s’accumulent, elles peuvent provoquer des inflammations, des maladies cardiovasculaires, des maladies respiratoires dont des cancers.

Par le passé, des particules de très petite taille ont déjà causé de nombreux décès (et en causent encore) comme dans le cas de la silicose des mineurs et celui de l’amiante.

Une très grande partie de la pollution par particules fines provient de substances diffusées à l’intérieur des habitations suite à la cuisson ou au chauffage. Selon l’OMS, cette pollution cause 3,8 millions de morts par an. Elle est peu abordée dans les médias de nos pays car elle concerne presque exclusivement les habitants des pays pauvres. Des progrès économiques et technologiques permettraient d’en diminuer rapidement l’impact pour autant que les choix de développement visent les populations défavorisées.

Toujours selon l’OMS, la pollution atmosphérique extérieure, qui elle, touche également les habitants des pays riches, cause 4,2 millions de morts, la majorité en Asie surtout en Inde et en Chine. Dans des pays comme la France, cette pollution tend à diminuer mais de manière assez lente.

L’effet de la pollution atmosphérique sur l’espérance de vie

L’impact important affirmé sur l’espérance de vie doit être précisé. Le nombre de morts comptabilisé par l’OMS, ce sont des morts « prématurées ». Théoriquement, une mort peut être « prématurée » seulement de quelques semaines ce qui a un impact faible sur l’espérance de vie.

D’autres études ne citent pas seulement des morts prématurées, mais fixent une perte moyenne d’espérance de vie importante, par exemple de 10 ans à New Delhi. Une étude de 1995 mesure l’impact de la pollution atmosphérique sur la mortalité comparée dans des villes des Etats-Unis. Cet impact est net, même si clairement plus faible que l’impact de la consommation de tabac. Cependant, lorsque l’on compare aujourd’hui les villes et régions où la pollution est plus forte avec d’autres villes et régions similaires mais moins polluées, les différences sont faibles et pas toujours en faveur des zones moins polluées.

Ainsi, la Flandre et les Pays-Bas ont une pollution atmosphérique beaucoup plus forte que d’autres régions, mais la durée de vie n’y est pas plus courte. Les habitants d’une grande ville assez polluée comme Bruxelles, malgré qu’ils soient plus pauvres que les habitants de la Wallonie vivent plus longtemps (espérance de vie en 2017 de 81,2 ans à Bruxelles et de 79,8 ans en Wallonie). La ville-région où la durée de vie est la plus longue au monde à savoir Hong Kong (espérance de vie de 84 ans en 2018) est aussi une ville avec une très forte pollution atmosphérique. L’état de Delhi, où la pollution est l’une des plus élevées du monde, est le second état de l’Inde pour la durée moyenne de vie (73 ans contre 67 ans pour la moyenne indienne).

La Nouvelle-Zélande est une des régions du monde où la pollution atmosphérique est la plus faible et c’est un pays avec un niveau de vie élevé et une bonne couverture sociale. Dans ce pays, l’espérance de vie (82 ans) est similaire à celle de pays équivalents où la pollution est forte.

Alors que le fait de fumer ou pas, d’être obèse ou pas, de vivre dans un pays riche ou pas, a un effet mesurable dans les statistiques relatives à l’espérance de vie, la variable pollution est peu visible sur le plan des comparaisons statistiques. Il y a pourtant peu de doutes que respirer des particules fines soit nocif. Le plus probable est que le taux de mortalité provoqué soit moindre qu’estimé aux doses actuelles de pollution. Une surestimation des effets néfastes d’actions anthropiques est assez courante dans le monde contemporain, alors que dans le passé, ces effets pouvaient être sous-estimés. Il se pourrait aussi que, globalement, vivre dans des grandes villes, généralement plus polluées que les campagnes, présente par ailleurs des avantages de santé (meilleure couverture médicale et sociale, vie plus active…).

Le mystère des supercentenaires s’expliquerait-il par l’air du temps?

Ce qui précède concerne l’impact de la pollution sur l’espérance de vie moyenne, pas sur la durée de vie maximale. La pollution atmosphérique pourrait bien être un des facteurs d’explication du « mystère des supercentenaires« , à savoir le fait que la durée de vie maximale des femmes et des hommes ne progresse plus depuis des décennies. Il se pourrait que l’accumulation de microparticules et l’effet prolongé de l’exposition à des substances toxiques anthropiques contrebalance les progrès médicaux.

Il y a peut-être même un « tueur silencieux » que nous n’avons pas encore détecté et qui a un effet surtout sur le très long terme. Il pourrait s’agir de matières à la toxicité peu connue qui se combineraient progressivement dans le corps pour former des « cocktails » toxiques.

Cependant, dans cette hypothèse, il reste à expliquer pourquoi il n’y a pas de longévités extrêmes plus longues dans les zones les moins polluées de la planète ayant une bonne couverture médicale. Selon l’OMS, seuls 9 % de la population du globe vit dans des zones exposées à une pollution moindre que les normes conseillées. Il s’agit notamment de la Nouvelle-Zélande déjà citée, où pourtant la personne la plus âgée vivante actuellement n’a « que » 110 ans, alors que, par exemple, la bruxelloise la plus âgée a 111 ans.

Des recherches à poursuivre pour un but commun : une vie en bonne santé beaucoup plus longue qu’autrefois

Comme il a été écrit dans cette lettre, bien du chemin reste à parcourir dans la recherche relative aux pollutions atmosphériques. Un des aspects les plus inconfortables de la recherche concernant les substances toxiques est la question des faibles doses. Selon certains, toute dose de certaines substances est nocive sans qu’il n’y ait d’effet de seuil; selon d’autres, des produits nocifs à fortes doses n’ont pas d’effet, voire même ont un effet positif (hormèse) à faibles doses.

Les débats à ces niveaux sont sensibles. Les partisans du « laisser faire » sont prompts à affirmer qu’il y a exagération des risques et utiliseront rapidement les doutes quant aux effets à moyen et long terme des faibles doses pour refuser toute mesure. Il en va particulièrement ainsi pour l’exposition à des particules fines. Ce refus est d’autant plus « tentant » pour certains que les zones les plus polluées sont globalement les plus pauvres.

Dans ce domaine comme dans d’autres, le principe de précaution doit s’appliquer dans un sens proactif. Il ne s’agit pas de ne rien faire et d’interdire les changements, mais bien d’examiner, de mieux comprendre puis de prévenir les impacts négatifs et positifs des substances libérées dans l’air tant par les technologies existantes que par celles envisagées. Des lettres mensuelles prochaines pourront aborder le sujet pour fournir plus d’information.

C’est notamment par une meilleure hygiène et de meilleures conditions environnementales que la durée de vie moyenne a été plus que doublée depuis le 19e siècle. La diminution de la pollution atmosphérique a joué un rôle positif jusqu’ici. Eviter l’exposition à de nouveaux éléments nocifs issus des progrès technologiques, voire, qui sait, découvrir un jour des éléments respirables utiles, concerne des millions de vies aujourd’hui et demain et est un des aspects indispensables de la réflexion pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue.


La bonne nouvelle du mois : Undoing Aging à Berlin, la plus grande conférence scientifique longévitiste à ce jour


Du 28 au 30 mars, s’est tenu à Berlin, Undoing Aging, la conférence avec le plus grand nombre de participants qui se soit jamais tenue concernant les perspectives en matière de recherche pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue. Les scientifiques parmi les plus réputés n’ont pas seulement échangé entre eux mais aussi avec des journalistes, des activistes et de nombreux investisseurs potentiels. Attention cependant, affirmer que les géants de la Silicon Valley veulent tous « vaincre la mort » et en sont proches est exagéré. Si le bouillonnement d’idées, d’enthousiasmes et de bonnes volontés de Berlin et d’ailleurs est utile et se répand, les investissements actuels devront croître, particulièrement ceux des instances publiques.


Pour en savoir plus :

 

 

L’Union européenne et la longévité. La mort de la mort. Mars 2019. N° 120. 

Le monde va changer. Le potentiel de la durée de vie d’une personne en général est important. Selon les estimations les plus conservatrices, une personne peut vivre au moins 120 ans si elle ne raccourcit pas sa propre vie et si les circonstances ne raccourcissent pas sa vie. Déclaration de la ministre de la santé Veronika Skvortsova à la suite de la réunion du Présidium du Conseil présidentiel pour le développement stratégique et les projets prioritaires. (Traduction, source agence TASS, 10 juillet 2018).


Thème du mois : L’Europe et la longévité


Dans aucun ensemble démographique de taille similaire, les citoyens ne vivent aussi longtemps que dans l’Union européenne. La couverture médicale et de sécurité sociale y assure une vie de plus en plus longue.

Alors que les recherches les plus affirmées dans le champ de la longévité et les scientifiques les plus renommés se trouvent souvent aux Etats-Unis et que la part du PIB consacrée à la santé y est bien plus élevée, l’Europe est plus avancée pour la longévité.

En Asie du Sud-est, la croissance de l’espérance de vie est plus rapide qu’en Europe, mais seuls un petit nombre de pays (le Japon, la Corée du Sud et Singapour) dépassent actuellement les pays européens.

La recherche scientifique européenne pourrait permettre des progrès considérables dans un avenir guère éloigné. Voici quelques raisons de l’envisager.

Une législation lourde, mais qui permet des recherches scientifiques

Nous vivons dans un monde d’une extraordinaire complexité juridique. C’est particulièrement le cas en Europe. Cette complexité est notamment motivée par un équilibre instable entre le souci de la protection des citoyens et la défense des intérêts économiques et sociaux de groupes. Un des aboutissements, probablement temporaire, de cette complexité est le célèbre RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) entré en vigueur en mai 2018. En résumant à l’extrême, il peut être dit que le but de la législation est d’empêcher les usages illégitimes et non souhaités des données générées par les citoyens.

Ce texte complexe -et dont les modalités d’application varient selon les Etats- ne vise donc pas à interdire l’échange et l’utilisation des données pour des buts légitimes et particulièrement pour la recherche scientifique. En principe, c’est même le contraire, le RGPD vise à créer un cadre favorisant les échanges légitimes. Par exemple, pour la recherche, le règlement européen (dans un « considérant ») mentionne explicitement Souvent, il n’est pas possible de cerner entièrement la finalité du traitement des données à caractère personnel à des fins de recherche scientifique au moment de la collecte des données. Par conséquent, les personnes concernées devraient pouvoir donner leur consentement en ce qui concerne certains domaines de la recherche scientifique, dans le respect des normes éthiques reconnues en matière de recherche scientifique.

Vu la lourdeur et la longueur du règlement lui-même et surtout des millions de pages de textes d’applications, commentaires de doctrine, décisions judiciaires,… qui en découleront, il n’est pas du tout certain que les échanges seront facilités (voir par exemple la situation en Belgique). Par contre, le principe clair de la protection des données par rapport à des usages illégitimes peut mener à un accord plus large des citoyens pour mettre à disposition les données de santé dans des buts de recherche. C’est important que les citoyens soient informés de l’usage à utilité collective car ils fourniront alors des données plus sincères. De plus, un soutien collectif est important, particulièrement dans un environnement démocratique.

A propos du soutien de la population, un sondage rendu public au cours de ce mois de mars 2019 en Belgique a donné un résultat impressionnant : 94 % des citoyens belges sont en faveur de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine de la science et de la santé et 56 % sont disposés à mesurer et partager les données médicales via l’I.A.

La mise en commun de données génétiques

Des dizaines de millions de personnes dans le monde ont déjà été séquencées. La plus grande partie de ces séquençages (normalement interdit sauf raison médicale pour les personnes résidant en France) est malheureusement très partielle et effectué par des sociétés privées, la plus connue étant 23 and Me.

Mais il y a aussi des séquençages dans des buts de recherche médicale et scientifique effectués avec financement et organisation publics. C’est en Europe que cela se fait le plus. Des projets de grande ampleur ont été réalisés ou sont en cours de réalisation notamment en Estonie, en Islande, au Royaume-Uni et en France (Plan génomique 2025). Un élément clef que pourrait permettre l’Union européenne est l’interconnexion entre ces données. En avril 2018, la Commission européenne a annoncé que 13 pays européens avaient signé une déclaration pour permettre l’accès transfrontalier à leurs informations génomiques pour avoir au moins un million de génomes séquencés en 2022. En moins d’un an, 7 pays européens se sont déjà joints à l’initiative.

La facilitation de la recherche par la couverture médicale et de santé

Les Etats de l’Union européenne ont chacun un système de santé assez performant, une couverture médicale dense à très dense, des systèmes de mise en commun des données statistiques différents mais efficaces. La diversité des populations, des habitudes alimentaires, sociales, culturelles, les déplacements de population, la multiplicité des systèmes de rapportage des informations médicales et sociales sont autant d’aspects qui peuvent se révéler utiles pour découvrir des pistes dans le domaine de la longévité, grâce à l’analyse des données

Les chercheurs européens et leur utilisation de l’intelligence artificielle

L’Union européenne est la région du monde avec le plus de scientifiques, particulièrement dans le domaine médical et le tissu le plus dense d’institutions et d’entreprises dans les domaines de la santé. Pour les recherches scientifiques, la Suisse est un des Etats étroitement associés, par exemple via le CERN. Une association similaire devrait être possible pour le Royaume-Uni si sa sortie de l’Union européenne est confirmée.

Pour ce qui concerne l’intelligence artificielle, l’Union européenne n’est pas en avance dans ce domaine, mais pas particulièrement en retard non plus, quoi qu’en disent certains pessimistes. De plus, l’Europe est en pointe dans la réflexion éthique mais aussi pratique notamment à travers l’European AI Alliance, un forum engagé dans une discussion large sur tous les aspects du développement de l’intelligence artificielle et de ses impacts.

La recherche de longévité

Les recherches européennes et des Etats-membres dans le domaines du cancer et des maladies neurodégénératives sont nombreuses, performantes et souvent financées publiquement. Le seul aspect qui manque encore dans les institutions publiques, c’est la prise de conscience de l’universalité du mécanisme de vieillissement et de la nécessité de le combattre. Cette prise de conscience est encore limitée à certaines organisations privées principalement aux Etats-Unis.

Un des avantages d’une prise de conscience rapide serait que les connaissances acquises pour une vie beaucoup plus longue en bonne santé seraient plus collectives, plus accessibles à tous plus rapidement, européens ou non-européens. La situation actuelle en Europe n’a probablement jamais été aussi propice pour cela qu’aujourd’hui.


Les bonnes nouvelles du mois : Avancée dans la compréhension de la régénération. Création d’une académie internationale pour les recherches de longévité.


Des chercheurs de Harvard ont découvert le processus génétique qui contrôle le mécanisme de régénération de vers marins capables de faire « repousser » jusqu’à la moitié de leur corps. La compréhension de ces mécanismes est une des pistes fondamentales pour la médecine régénératrice humaine des années et décennies à venir.

L’Academy for Health & Lifespan Research a été créée en février 2019. Elle accueille certains des plus prestigieux chercheurs dans le domaine de la longévité.  L’académie vise, notamment par l’organisation de conférences, à sensibiliser le grand public aux progrès de la recherche et à encourager des investissements publics et privés accrus dans la recherche sur l’espérance de vie et la longévité en santé partout dans le monde.


Pour en savoir plus: