L’homme a surmonté le pouvoir de la sélection naturelle. Il ne s’adapte plus aux conditions de l’environnement extérieur, mais crée autour de lui un environnement artificiel et bénéfique, en remodelant la nature. Il n’a pas besoin de la mort comme facteur accélérant l’amélioration de l’humanité de génération en génération (…).
Il n’y a aucune interdiction théorique à soulever la possibilité de l’immortalité. Je suis profondément convaincu que, tôt ou tard, l’ère de la longévité arrivera. (…) Comme dans toute tâche, il faut des enthousiastes pour cela, malheureusement ils sont très peu nombreux. Nous sommes gênés par la conviction profonde que la mort est inévitable et que la lutte contre elle est futile. C’est une sorte de barrière psychologique qu’il faut surmonter.
Vasily Feofilovich Kuprevich, microbiologiste (1897-1969). Cité par Ilia Stambler dans A History of Life-Extensionism In Twentieth Century. 2014.
Thème du mois : Sang et réjuvénation
Un peu d’histoire
Depuis des millénaires, le sang est un des éléments du corps avec la plus forte représentation symbolique, représentant notamment la vie, l’hérédité (liens du sang), la fidélité (échange de sang) et les mécanismes de réjuvénation.
Considéré comme l’un des gestes les plus anciens de la médecine, la saignée provient probablement de l’Égypte ancienne, mais aussi des plus anciennes traditions de l’Inde et du monde arabe.
En Grèce, Érasistrate, au troisième siècle avant JC, enseignait que les maladies découlent d’une surabondance de sang : la pléthore.
Au deuxième siècle de notre ère, Galien professait que la bonne santé nécessite un équilibre parfait des quatre «humeurs» : le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. Ses écrits et ses enseignements ont fait de la saignée une technique courante dans tout l’empire romain.
Dans l’Europe médiévale, la saignée est devenue le traitement de base pour toutes les maladies, en particulier, la peste, la variole, l’épilepsie et la goutte.
La technique était alors d’entailler les veines ou des artères dans l’avant-bras ou du cou, en utilisant un outil spécial avec une lame aiguë.
La saignée, comme procédure médicale, est devenue un peu moins angoissante au 18ème siècle : les médecins utilisaient des lancettes à ressort et un instrument appelé scarificateur, comportant plusieurs lames faisant des coupes parallèles.
Sang jeune
Et si l’élixir de jouvence coulait dans nos veines ? Du moins chez ceux d’entre nous qui n’en ont pas encore asséché la source : les jeunes. L’hypothèse, qui semble tout droit sortie d’un film de vampires, est étudiée de plus en plus sérieusement depuis que des expériences ont montré que le sang extrait d’un organisme dans la force de l’âge peut régénérer les corps affaiblis par le poids des années. Au point que, pour lutter contre les nombreuses maladies associées à la vieillesse, de premiers essais de transfusion de patients viennent de démarrer.
Un article récent signé notamment par Harold Katcher et Steve Horvath concerne des rats âgés de 2 ans qui ont reçu un plasma sanguin de jeunes rats. Leurs indicateurs physiologiques durant le test étaient quasiment devenus ceux de rats de 6 mois. Cela semble prometteur mais cette étude est controversée du fait notamment qu’il ne teste pas la longévité et que l’échantillon de rats n’est pas suffisant pour en tirer des conclusions fiables. Cette étude n’a d’ailleurs pas encore été validée par la communauté scientifique.
Il y a 15 ans déjà, cette piste surprenante dans la quête de la jeunesse éternelle ou du moins prolongée s’est ouverte avec les expériences réalisées par Irina et Michael Conboy et leurs collègues de l’université de Stanford. Nous nous demandions pourquoi les organes vieillissent tous plus ou moins à la même vitesse, et nous avons pensé que le sang qui les relie pouvait être une explication, raconte Michael Conboy.
Pour le vérifier, son équipe a relié temporairement le réseau vasculaire de souris jeunes à celui de souris âgées, comme s’il s’agissait de siamois, une opération chirurgicale complexe, nommée parabiose. Et ils ont constaté que les muscles et le foie des plus vieilles se régénéraient plus efficacement, tandis que l’inverse se produisait chez les souris jeunes.
Selon les résultats publiés par une équipe internationale dirigée par Tony Wyss-Coray, de l’université de Stanford, le sang jeune pourrait stimuler la fabrication de nouveaux neurones chez les souris âgées. Tandis qu’une équipe anglo-américaine, codirigée par Amy Wagers observait un effet régénérant au niveau de la moelle épinière.
Mais d’où viendraient ces pouvoirs « alchimiques » du sang des jeunes ? Les scientifiques tentent depuis plusieurs années d’identifier les molécules favorisant cette régénération. Des expériences d’injection de quelques-unes d’entre elles ont déjà donné des résultats prometteurs, et les pistes de recherche ne manquent pas.
D’où viendraient, à l’inverse, les molécules à l’action opposée qui, avec les années, les remplacent progressivement dans le sang ? On peut imaginer que certains tissus ou organes, en vieillissant, « infectent » les autres en produisant de plus en plus de molécules néfastes, qui vont voyager dans le sang, avance le neurologue Tony Wyss-Coray. Reste à identifier lesquels.
Le chercheur partage l’espoir, avec de nombreux confrères, qu’inhiber l’action de ces molécules liées au vieillissement, et renforcer celle des molécules régénératrices présentes dans le sang jeune, pourra ralentir le vieillissement.
En attendant ce Graal du prolongement de la vie, l’objectif est déjà de prévenir ou de soigner les nombreuses maladies chroniques favorisées par l’âge (pathologies cardio-vasculaires ou neurodégénératives, fragilité osseuse et musculaire…), mais aussi de favoriser la régénération des organes après un accident ou une opération chirurgicale.
Et les premiers essais sur l’homme ont déjà commencé. Dès 2014, Tony Wyss-Coray a fondé une start-up, Alkahest, qui a depuis procédé à des transfusions hebdomadaires de quelques décilitres de plasma, donné par des individus de moins de 30 ans, et acheté aux banques de sang lorsqu’elles avaient du surplus, à 18 patients atteints d’Alzheimer.
En 2019, l’équipe de Wyss-Coray a publié dans Nature medecine à propos d’une protéine, la VCAM1, qui augmente avec le vieillissement et semble avoir un impact important sur le cerveau. Les mesures biologiques et cognitives ont indiqué que bloquer la VCAM1 empêchait non seulement le vieux plasma d’endommager le cerveau des jeunes souris, mais pourrait même inverser les déficits chez les souris âgées.
Du plasma sanguin dilué
Une nouvelle étude, menée par Irina et Michael Conboy de l’université Berkeley, a révélé une nouvelle voie intéressante dans les efforts pour lutter contre les effets du vieillissement. Les recherches de l’équipe ont montré comment la dilution du plasma sanguin de souris plus âgées peut avoir un fort effet de rajeunissement sur les tissus et les organes, en réduisant la concentration de protéines inflammatoires qui augmentent avec l’âge.
La moitié du plasma des souris a été échangée contre une solution composée d’eau salée et d’albumine. Ceci a amélioré considérablement la santé des souris âgées. Les effets de rajeunissement sur le cerveau, le foie et les muscles étaient les mêmes ou plus importants que lors des premières expériences en 2005. La procédure n’a eu aucun effet néfaste ou positif sur la santé des jeunes souris.
En utilisant l’analyse protéomique pour étudier le plasma sanguin et son contenu en protéines, l’équipe a découvert que le processus agit comme un « bouton de réinitialisation moléculaire ». Après l’échange, l’équipe a observé des concentrations plus faibles de protéines pro-inflammatoires tandis que les protéines bénéfiques, notamment celles qui favorisent la vascularisation, étaient capables de prospérer.
Il y a deux interprétations principales de nos expériences originales (de 2005), explique Irina Conboy. La première est que, dans les expériences de jonction des souris, le rajeunissement était dû à du sang jeune et à des protéines jeunes ou à des facteurs qui diminuent avec l’âge, mais une alternative tout aussi possible est que, avec l’âge, vous avez une augmentation de certaines protéines dans le sang qui deviennent nuisibles, et celles-ci ont été supprimées ou neutralisées par les jeunes partenaires. Comme le montre notre expérience (récente), la deuxième interprétation s’avère exacte. Le sang jeune ou les facteurs correspondants ne sont pas nécessaires pour l’effet de rajeunissement ; la dilution du vieux sang est suffisante (source).
Des candidats médicamenteux
Certaines de ces protéines présentent un intérêt particulier et, à l’avenir, nous pourrions les considérer comme des candidats thérapeutiques et médicamenteux supplémentaires, déclare Michael Conboy. Mais je mettrais en garde les gens trop optimistes. Il est très peu probable que le vieillissement puisse être inversé par des modifications d’une seule protéine. Dans notre expérience, nous avons découvert que nous pouvions faire une procédure relativement simple et approuvée par la FDA, et qu’elle modifiait simultanément les niveaux de nombreuses protéines dans le bon sens (source).
Voici donc qui est extrêmement prometteur. Malheureusement, seuls des marqueurs de vieillissement ont été mesurés. Aucune vérification de progrès pour la longévité n’a été effectuée puisque les souris étaient sacrifiées une fois l’expérience terminée. Il se pourrait très bien que les effets soient seulement temporaires voire négatifs sur le long terme.
Une expérimentation sur des humains et en double-aveugle serait cependant déjà prévue. C’est très positif si cela se passe rapidement et avec des volontaires bien informés. Nous saurions ainsi rapidement s’il y a un effet aussi positif pour les humains que pour les souris. Nous saurions après quelques mois si l’effet positif est durable. Si c’est le cas, cela sera une avancée énorme pour la longévité.
La bonne nouvelle du mois : De plus en plus de conférences internationales pour la longévité en ligne
Suite à la pandémie de Covid-19, un effet collatéral positif est une diffusion plus large, plus rapide et souvent gratuite, d’évènements concernant la longévité. Ainsi la Life Extension Advocacy Foundation (LEAF – Lifespan.io) diffuse de nombreuses conférences, notamment par sa chaîne YouTube.
À noter pour les non-anglophones qu’il est possible d’utiliser la traduction automatisée pour le sous-titrage. C’est encore imparfait, mais, généralement, déjà compréhensible. Un progrès technologique utile pour bien des usages dont le partage d’informations pour une vie plus longue.
Pour en savoir plus :