Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brule. (Amadou Hampaté Bâ, 1900-1991)
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Thème du mois: Pourquoi vivre (longtemps)?
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Que nous le voulions ou non, nous vivons de plus en plus longtemps. Et pourquoi donc? Et bien d’abord, parce que la vie mérite d’être vécue. Parmi tous ceux qui, depuis l’invention de la médecine, se sont inquiétés d’une progression « artificielle » de la durée de vie, rares, très rares sont ceux qui ont refusé cette progression si peu naturelle de leur propre durée de vie. Lorsque le choix était entre une mort probable et des traitements aussi intégralement « antinaturels » que la pénicilline, le pontage cardiaque, la greffe de rein ou la transfusion sanguine, peu choisissaient le cimetière.
Le débat du naturel et de l’artificiel est ancien. Mais parmi les partisans contemporains de l’état de nature, quels sont ceux qui n’utilisent pas la modification chimique de la composition de leur nourriture (cuisson), des sortes de prothèse de protection thermique (vêtements) et contre les chocs (chaussures) pour ne parler que d’inventions radicalement antinaturelles mais multimillénaires?
Mais pourquoi poursuivre une vie en bonne santé? Parce que la vie humaine est notre bien le plus précieux et que refuser un traitement permettant sa prolongation se rapproche d’un homicide par négligence. Entre une personne âgée mourant sans soin dans une maison «de repos» et une personne âgée mourant du fait de progrès scientifiques non accomplis, la souffrance est très similaire. Et elle est intense.
Les religions contemporaines semblent s’opposer souvent aux avancées technologiques en matière de santé. Mais elles postulent presque partout et toujours que la vie humaine est précieuse. Les chrétiens, les musulmans, les juifs, les bouddhistes, les hindouistes, les shintoïstes rejoints d’ailleurs par les mouvements athées prônent le respect de la vie humaine. Les religions interdisent même le plus souvent le suicide. Vivre et ne pas laisser mourir. Dans la plupart des mouvements de pensée, une abstention ou un acte n’entraine pas à une considération éthique foncièrement différente. Il en va ainsi de ce qui peut provoquer la mort. Ainsi, aujourd’hui, l’immense majorité des citoyens est choquée lorsqu’une transfusion sanguine ou une transplantation d’organe est refusée alors qu’elle pourrait sauver un enfant. Or, quel acte plus artificiel que de prendre le sang ou un organe d’une personne pour le transférer à un autre être humain? Demain, nous serons pareillement scandalisés si une méthode pour prolonger la vie en bonne santé est consciemment et publiquement abandonnée.
Supposons qu’une maladie inconnue se répande de manière foudroyante et diminue l’espérance de vie de précisément 20 ans. Supposons qu’ensuite la découverte d’un médicament permette de gagner pour tous précisément 20 années et que ce médicament soit administré à tous aboutissant donc à une longueur de vie identique à avant la maladie. . Imaginons enfin qu’un beau jour la maladie disparaisse brutalement et que donc les citoyens se retrouvent avec 20 ans de vie en plus. Vous opposeriez-vous à la poursuite de la prise du médicament parce que les hommes atteignent maintenant un âge « artificiel »?
Peut-être que oui mais alors exigeriez-vous des autres qu’ils perdent 20 ans de vie?
Au cours des millénaires, la vie humaine a pris de la valeur. Petit à petit, même si l’évolution est loin d’être achevée, l’idée d’égalité s’est imposée. Un homme et une femme, un africain et un européen, une personne handicapée et un athlète, une personne âgée et un jeune, ne sont naturellement pas identiques, mais ils ont des droits de plus en plus égaux. Le jour où il sera possible de prolonger considérablement la vie, le concept d’égalité pourra gagner une dimension supplémentaire.
Veuillez laisser cette planète dans l’état dans lequel vous l’avez trouvée pourraient dire les défenseurs de l’environnement en guise de salut à ceux qui vont mourir bientôt. Et ils ont raison. Mais il n’empêche que plus la vie qui s’annonce est longue, plus l’attention à long terme pour le monde et ses habitants sera grande. Garder un environnement en meilleur état qu’un objet jetable est plus aisé avec un corps qui ne doit pas être trop rapidement jeté lui-même aux orties.
La sagesse s’apprend avec les années et non avec la dégradation progressive du corps. Une vie plus longue, beaucoup plus longue, permettra l’accumulation des connaissances, de la sagesse, des expériences et ceci sans la fragilité de l’esprit due à la fragilité du corps.
De plus, plus la vie humaine est longue et plus, progressivement et logiquement, elle devient précieuse. Dans un monde où les hommes meurent beaucoup plus tard, les accidents sont des drames qu’il devient de plus en plus souhaitable d’éviter, pour des raisons éthiques, mais aussi pratiques. Ce sont d’ailleurs les sociétés où la vie est la plus longue qui sont celles où la vie est la plus précieuse et inversement. Ainsi, au moyen-âge, les enfants mouraient souvent en bas âge. L’investissement affectif était moindre. Les mères prenaient soin de leurs enfants et leur souhaitaient le meilleur comme aujourd’hui, mais avec un investissement matériel et affectif moindre. Après-demain, nous regarderons peut-être le monde d’aujourd’hui comme aberrant, comme un monde où les voitures et les voyages valaient souvent plus que la vie humaine. La prolongation de la vie humaine est donc un moyen de rendre celle-ci, directement, mais aussi indirectement, plus précieuse.
Il y a enfin une raison morale moins agréable à citer. Par-delà les trajectoires individuelles, l’espèce humaine affronte des territoires incertains de par les progrès technologiques incroyablement rapides. Des nanotechnologies aux mutations génétiques artificielles en passant par la maitrise toujours plus grande des armes nucléaires, chimiques et bactériologiques. Que nous le voulions ou non, cette évolution n’est guère évitable. Mais chaque pas technologique qui favorise une vie plus longue et plus résistante est préférable à d’autres recherches et diminue les risques d’anéantissement. C’est souhaitable à moins que nous considérions la disparition de l’humanité et de la conscience comme souhaitables.
En guise de conclusion provisoire, pourquoi dépasser ce que la nature a fait? Pourquoi le silex, le feu, la roue, l’avion, l’espace, l’automatisation, les récits, les films et jusqu’à cet écran informatique que vous regardez en ce moment et dont l’accès internet vous offre, toujours plus une ouverture vers l’infini? Pourquoi? Notamment, parce que l’essence de l’être humain c’est de dépasser ses limites.
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