Vivre beaucoup plus longtemps, plus d’ennui ou moins de stress ?
Notre espoir d’immortalité ne provient d’aucune religion, mais presque toutes les religions proviennent de cet espoir. Robert Green Ingersoll, Views on Politics and Religion. Chicago Times, 1879 (traduction)
Parmi les paradoxes de la société contemporaine, il y a celui du temps disponible: à la fois rare et abondant. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, nous n’avons eu autant de temps libre. Cependant, beaucoup d’hommes et de femmes ressentent la vie contemporaine comme stressante et obligeant à se hâter.
Nous avons beaucoup plus de temps pour nous détendre parce que la durée du travail est plus courte et parce que les tâches ménagères sont beaucoup plus faciles à accomplir. Nous avons plus de temps également parce que la durée de notre vie est beaucoup plus longue.
Nous ressentons cependant une pression forte parce que l’éventail des activités que nous choisissons, des actes non nécessaires à notre survie, s’est élargi d’une manière qui était inimaginable il y a à peine un siècle.
Pour la majorité des citoyens de la planète, l’accès internet offre un choix de jeux, de films, de lectures, de musiques, d’activités virtuelles collectives ou individuelles qui est tellement large et rapidement renouvelé que nous n’en connaîtrons jamais qu’une partie négligeable Nos « amis » virtuels se multiplient et nous pouvons nous intégrer dans des communautés innombrables. D’autres loisirs sont plus accessibles qu’auparavant. En outre, pour environ deux milliards de citoyens (relativement) aisés, le monde est réellement accessible et il est possible financièrement de se déplacer physiquement presque d’un bout à l’autre des terres émergées.
Nous vivons donc plus la « civilisation des loisirs » que celle des « vacances » (issu du latin vacuum: vide). Les longues soirées d’hiver, d’ennui et d’uniformité, dans de froides chaumières ne sont plus qu’un souvenir qui devrait être assez désagréable, si notre mémoire n’était pas sélective.
Certains affirment, malgré l’abondance de choix contemporaine qu’une vie sans limitation de durée serait ennuyeuse. Nous ne profiterions des loisirs que parce qu’ils sont limités en durée. À cette affirmation, plusieurs contre-arguments peuvent être apportés:
– L’ennui apparaît aujourd’hui déjà chez des très jeunes adultes. D’ailleurs, les personnes plus âgées s’étonnent souvent que les adolescents soient désoeuvrés alors qu’ils ont tant de choses à faire. Autrement dit, ne pas s’ennuyer, c’est un apprentissage qui demande du temps. Les personnes âgées ressentent plutôt moins l’ennui,
– Dans le même ordre d’idées, l’ennui n’est pas plus souvent exprimé chez les personnes âgées de plus de 60 ou 65 ans que chez les autres adultes. Pourtant, les pensionnés n’ont (généralement) plus d’activités rémunérées. En fait, le malaise le plus exprimé vient des personnes plus jeunes en inoccupation forcée (les chômeurs).
– L’impression de lassitude ou de « désoeuvrement » peut être renforcée (ou diminuée) en fonction de la pression sociale à exercer ou non certaines activités. Les inactifs qui se percevront comme « aux crochets de la société » ressentiront un plus grand manque d’enthousiasme pour des activités « non poductives ».
L’argument le plus fréquemment entendu à propos des dangers supposés de la longévité est celui de l’ennui suite à la répétition, parce que nous aurions tout essayé… C’est certain que certaines occupations trop répétées sont lassantes. Mais il s’agit seulement de cas spécifiques. Une bonne partie de ces sentiments vient probablement de ce que nous surestimons l’importance de ce que d’autres possèdent, certains objets de luxe particulièrement. Une fois que nous en disposons à volonté, nous nous apercevons assez vite que ces biens ont surtout une plus-value symbolique et le plaisir de les posséder fait place à la lassitude.
Quant à l’idée que nous pourrons tout remettre à plus tard parce que nous aurons du temps sans limite, si c’était exact, nous devrions déjà aujourd’hui constater ce phénomène bien plus chez les jeunes que chez les personnes âgées. De plus, au fur et à mesure que la durée de vie s’allonge, le rythme de changement de la société s’accélère plutôt qu’il ne ralentit.
En fait, pour de nombreuses activités, c’est précisément une forme de répétition qui crée le plaisir. L’amitié, le sentiment de plénitude en se retrouvant chez soi après un voyage, le plaisir pris à participer à des jeux de société, l’attente agréable du début d’un feuilleton télévisé, naissent d’un mélange d’uniformité et de nouveauté. Nous n’allons pas dans notre restaurant ou notre espace vert favori parce qu’il est fort différent chaque fois, mais parce que nous apprécions une certaine uniformité
Enfin et peut-être surtout, l’ennui et le stress proviennent notamment de ce que nous sommes conscients que notre temps est compté. pour paraphraser Woody Allen, l’être humain ne sera pleinement tranquille que lorsqu’il ne mourra plus (de vieillesse)
Ceci ne signifie pas, si demain nous trouvons un moyen de vivre sans limitation de durée que tout se fera naturellement. Certains pourront choisir de continuer à vieillir. Il faudra un apprentissage « de tout ce temps ». Mais nous aurons le temps de nous y préparer!
La bonne nouvelle du mois: Les Nations-Unies se prononcent en faveur d’une vie en bonne santé à tous les âges
Les 28 et 29 septembre, en prolongement des objectifs du millénaire, l’ONU a formellement adopté 17 objectifs de développement durable. Le troisième de ces objectifs est intitulé « Santé » et il mentionne:
Donner les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous à tous les âges est essentiel pour le développement durable. Des progrès sensibles ont été accomplis dans l’accroissement de l’espérance de vie et la réduction de certaines causes majeures de la mortalité infantile et maternelle. Des progrès notables ont été accomplis dans l’amélioration de l’accès à l’eau salubre et à l’assainissement, la réduction du paludisme, de la tuberculose, de la poliomyélite de la propagation du VIH/sida. Toutefois, il faut faire beaucoup plus pour éradiquer un large éventail de maladies et s’occuper de nombreuses questions de santé fort différentes, persistantes ou nouvelles.
Dans un monde où environ 70 % des décès sont dûs aux maladies liées au vieillissement, c’est bien sûr en luttant contre ces affections et contre le mécanisme de vieillissement en général que les progrès les plus importants peuvent être accomplis.
Pour en savoir plus:
De manière générale, voir notamment: heales.org, sens.org et longecity.org
À propos de l’objectif des Nations-Unies en matière de santé: www.un.org/sustainabledevelopment/fr/health
Source de la peinture (Symposium, Galena, 1896): en.wikipedia.org/wiki/Mal_du_siècle/media/File:Gallen_Kallela_Symposion.jpg