La mesure de la sénescence. La mort de la mort. Décembre 2017. N° 105.

Ma grande crainte est de mourir à la veille des plus grandes découvertes, ce serait vraiment con. Interview de Frédéric Beigbeder (52 ans) auteur du livre « Une vie sans fin », dans le magazine Tecnikart, décembre 2017.


Thème du mois: Y-a-t-il un thermomètre pour mesurer l’âge biologique ?


En un certain sens, le vieillissement commence dès avant la naissance. Autrefois, les chinois comptaient d’ailleurs l’âge, non depuis la naissance, mais depuis la conception. Quelques jours après la fécondation, les premières cellules commencent à se différencier et ne sont déjà plus « totipotentes » (capables de se transformer en n’importe quelle cellule).

Le premier indicateur du vieillissement, c’est donc bien évidemment l’âge. Omnes vulnerant, ultima necat (Toutes blessent, la dernière tue) était-il autrefois inscrit sur les horloges à propos des heures qui passent. Cependant, le vieillissement se déroule à un rythme fort différent selon les individus.

Dans le sens de diminution de capacités, le vieillissement commence bien tôt également. Un athlète atteint ses pleines capacités à un âge qui varie selon le sport, généralement inférieur à 25 ans. C’est plus jeune encore que le risque de décès est le plus faible. En France, seule 1 sur 10.000 des adolescentes et préadolescentes de 10 à 14 ans mourront au cours d’une année, alors que c’est « déjà » 2 sur 10.000 pour les jeunes femmes de 20 à 24 ans.

Cependant, le vieillissement responsable de la plupart des décès, lui, commence bien plus tard, à partir d’environ 50 ans. Il est marqué par des modifications physiologiques innombrables et parfois encore mal connues. Si nous pouvions suivre tous les biomarqueurs, tous les signaux physiologiques du vieillissement, il serait plus facile d’étudier la sénescence sur une courte période et donc l’analyse de résultats d’essais thérapeutiques pourrait être également se faire plus rapidement.

Marqueurs de capacité

L’avancée en âge de manière générale, c’est une diminution des capacités, une faiblesse de plus en plus importante, notamment pour :

  • la capacité pulmonaire – un centenaire qui souffle toutes ses bougies est en meilleure santé qu’un nonagénaire qui en est incapable;
  • la force de la poigne – un fort bon indicateur de l’espérance de vie restante chez les personnes âgées;
  • la capacité musculaire globale – la sarcopénie est une maladie courante chez les personnes âgées;
  • la masse osseuse et sa solidité – l’ostéoporose est également une maladie fréquente chez les personnes âgées;
  • la pression sanguine – l’augmentation de la pression sanguine systolique (lors de la contraction cardiaque) est un indice de mauvaise santé (« on a l’âge de ses artères”, disait-on autrefois);
  • la capacité d’équilibre moteur –  sa diminution peut indiquer que les capacités neuronales diminuent;
  • les acuités visuelle, auditive et gustative.

Apparence physique

Si l’habit ne fait pas le moine, l’apparence physique générale donne quand même des informations utiles. D’ailleurs, des applications logicielles sont déjà capables aujourd’hui de déterminer avec une certaine précision l’âge d’une personne à partir de photos. L’apparence physique comprend :

  • une moindre élasticité de la peau (dont les rides);
  • la décoloration et la diminution du système pileux (dont la calvitie);
  • la diminution de la taille qui est généralement de plusieurs centimètres;
  • l’augmentation de l’indice de masse corporelle.

Marqueurs non génétiques

Notre corps est en renouvellement constant. Les cellules meurent et sont remplacées, nos ongles et nos cheveux poussent, notre peau se renouvelle constamment, chaque jour, nous absorbons des milliers de litres d’air, plusieurs kilos de solides et de liquides et nous rejetons à très peu de choses près la même quantité de matière. Mais ce recommencement sur des décennies se produit avec des changements progressifs de notre composition :

Marqueurs génétiques

Tout au long de la vie, la plupart de nos cellules se divisent. A chaque division, il se produit quelques modifications de l’ADN. L’ADN d’un individu âgé n’est donc plus celui de quand il était jeune. Ceci concerne :

  • la longueur des télomères;
  • des mutations dans les mitochondries;
  • d’autres mutations dans les cellules;
  • des mécanismes épigénétiques.

Autres marqueurs

En fait, quasiment tout ce qui est mesurable chez un être humain va se modifier au cours de l’existence et donc il ne peut être question de tout décrire ici. Des scientifiques cherchent à établir des listes de biomarqueurs portant sur certaines substances souvent très spécifiques qui ne seront pas abordées ici. Mais voici quelques autres indicateurs importants.

  • diminution du nombre de neurones et de la masse totale du cerveau;
  • augmentation de la quantité de collagène et détérioration de sa qualité;
  • moindres capacités digestives;
  • diminution (chez les hommes) ou disparition (chez les femmes) de la fertilité;
  • diminution de la capacité de cicatriser;
  • déficience de l’efficacité des cellules produisant les anticorps et tendance croissante de ces anticorps à s’attaquer non plus seulement aux agents pathogènes, mais aussi aux cellules propres de l’organisme.

Que faire de toutes ces informations mesurables ?

Il est utile de rappeler, même au personnel médical et même aux chercheurs, que le vieillissement est la première cause de mortalité humaine et qu’il touche l’ensemble de notre métabolisme, de manière irrémédiable mais à des rythmes variables.

Grâce aux moyens technologiques contemporains, réaliser des indices composites issus de ces marqueurs est un des moyens de mieux comprendre la sénescence. Utiliser des indicateurs multiples permet également de constater rapidement si des thérapies nouvelles ont un effet global positif (agissant sur toutes les dimensions métaboliques) ou seulement localisé.

La mauvaise nouvelle du mois: pour la deuxième année consécutive, l’espérance de vie décroît (légèrement) aux Etats-Unis

En 2016, pour la deuxième année consécutive, l’espérance de vie a diminué aux Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’une diminution importante et elle serait due principalement à une cause spécifique, à savoir l’augmentation des décès par consommation de drogues. C’est néanmoins une mauvaise nouvelle.

Les Etats-Unis sont un des pays :

  • les plus riches du monde;
  • avec le plus de scientifiques au monde;
  • ayant les dépenses médicales les plus élevées;
  • et avec une espérance de vie déjà relativement peu élevée.

Malgré cela, les extraordinaires progrès technologiques de ces dernières années ne compensent plus les reculs suite aux comportements des citoyens de ce pays (obésité, prise de risques), particulièrement chez les hommes (l’espérance de vie des femmes a stagné à 81,1 ans, celle des hommes a diminué de 76.3 à 76.1 ans).

Pour l’Europe, les statistiques de 2016 ne sont pas encore toutes connues mais les statistiques de 2015 montraient également un déclin.

Le progrès de la longévité n’est pas plus une certitude que le progrès technologique ou que le  progrès social. Il dépendra de nos priorités, de nos investissements, de l’importance que nous donnons à la vie humaine et bien sûr de l’application aux citoyens des résultats des recherches médicales.


Pour en savoir plus :