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Toutes les longévités ne progressent pas. N° 134. Mai 2020

C’est l’une des choses les plus remarquables que, dans toutes les sciences biologiques, il n’y ait aucun indice quant à la nécessité de la mort. Si vous dites que nous voulons faire du mouvement perpétuel, nous avons découvert suffisamment de lois en étudiant la physique pour voir que c’est absolument impossible ou que les lois sont fausses.

Mais il n’y a encore rien en biologie qui indique le caractère inévitable de la mort. Cela me suggère qu’elle n’est pas du tout inévitable, et que ce n’est qu’une question de temps avant que les biologistes ne découvrent ce qui nous cause des problèmes et que cette terrible maladie universelle ou le caractère temporaire du corps humain sera guéri.

Richard Feynman (1918 – 1989), prix Nobel de physique (traduction).


Thème du mois : Longévité moyenne et maximale. Progression et stagnation.


Longévité côté face

Nous vivons dans un confort et un état de santé qui auraient été inimaginables même pour les monarques du temps jadis. Nous nous déplaçons plus vite que dans les rêves les plus fous des navigateurs du temps de Christophe Colomb. Nous volons. Nous sommes allés sur la Lune. Nous avons dans notre poche un objet de 100 grammes qui est plus performant que les objets de science-fiction envisagés par les plus imaginatifs des écrivains, même d’un passé proche.

Grâce aux extraordinaires progrès de la médecine, de l’hygiène et de l’économie aujourd’hui, notre espérance de vie est trois fois celle d’il y a à peine deux siècles. Tant la rapidité du développement que les sommets atteints sont sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Jamais nous n’avons vécu aussi longtemps. Jamais nous n’avons vécu en aussi bonne santé. Jamais nous n’avons vécu aussi bien. Et n’en déplaise aux pessimistes, cette évolution ne se tarit pas ces dernières années, au contraire, elle s’est encore accélérée depuis le début du 21ème siècle : nous avons gagné environ 6 années d’espérance de vie depuis le début de ce millénaire. Aujourd’hui, même dans le pays avec l’espérance de vie à la naissance la plus courte au monde, celle-ci est de 53 ans (en République centrafricaine), soit de 6 ans supérieure à l’espérance de vie d’il y a deux siècles dans le pays où on vivait le plus longtemps (en Norvège).

Longévité côté pile

Mais, malgré les progrès de la médecine, de l’hygiène et les recherches scientifiques et médicales tous azimuts qui font progresser les sciences comme jamais, nous ne vivons guère plus longtemps que certains de nos ancêtres lointains. En l’an 6 de notre ère, s’éteignait à Rome Terentia, la veuve de Cicéron. Elle avait 103 ans. La personne la plus âgée au monde aujourd’hui a 117 ans, 14 ans à peine de plus que Terentia à son décès. Et, de par le monde, sur les presque 8 milliards d’habitants, à peine 100.000 ont atteint l’âge de Terentia.

Pour continuer sur cette  non-progression, voire même de régression, il faut signaler que Jeanne Calment, qui a vécu le plus longtemps dans l’histoire de l’humanité (sous réserve de quelques controverses) est décédée il y a près de 23 ans. Côté masculin, l’homme actuellement le plus âgé au monde n’est que 40ème dans la liste des hommes ayant vécu le plus longtemps.

Durée de vie moyenne – durée de vie maximale, deux concepts qui ne concernent pas seulement les humains

La différence entre la durée de vie moyenne, améliorable et la durée de vie maximale, frontière presque immuable, s’étend bien au-delà des humains.

Chez les animaux, la durée de vie moyenne dans la nature est beaucoup plus courte que la durée de vie maximale du même animal en captivité. Une souris vivra généralement moins d’une année dans la nature, alors qu’en captivité, elle peut vivre plus de deux ans. Une mésange charbonnière vivra deux ou trois ans, alors que dans une cage, elle pourrait chanter plus de 10 ans. 

En ce qui concerne les rats et les souris en laboratoire, la durée de vie moyenne est d’environ 2 ans et la durée de vie maximale de 3,8 années pour les rats et d’un peu plus de 4 ans pour les souris. D’innombrables expériences de laboratoire mesurent la longévité des rats et des souris après un traitement. Pour les rongeurs comme pour les hommes, si nous connaissons des traitements qui augmentent l’espérance de vie moyenne, la durée de vie maximale reste à ce jour une frontière quasiment infranchissable.

La stagnation et même la régression est ce qui a été appelé dans une lettre antérieure « le mystère des supercentenaires« .

Nous, humains, comme les autres mammifères et l’immense majorité des animaux, nous sommes des êtres à l’obsolescence programmée. Ce qui démontre notamment le caractère presque infranchissable de la limite, c’est le prix de la souris Mathusalem. Il est octroyé par l’organisation longévitiste SENS à celui qui permet à une souris de vivre plus longtemps qu’aucune autre souris. Ce prix n’a plus été octroyé depuis 2004.

Durée de vie moyenne – durée de vie maximale, deux concepts de moins en moins différents pour les humains

Il y a plusieurs siècles, la durée de vie maximale n’avait rien à voir avec la durée de vie moyenne. En effet, de 30 à 60 % des individus mouraient en bas âge. Il y a un siècle, dans les pays riches, la mort des enfants était déjà relativement rare, mais les maladies infectieuses et les autres causes de mortalité tuaient la majorité des individus avant la vieillesse. Aujourd’hui, dans les pays riches, mourir avant 75 ans est souvent qualifié de « décès prématuré ». L’âge moyen du décès est de 80 ans et l’âge médian plus élevé encore.

Autrement dit, aujourd’hui pour la majorité des décès, ce qui met fin à nos vies, ce sont les maladies et les affections liées à ce qui était hier, l’extrême longévité d’une petite minorité.

Ceux qui disent que nous ne franchirons jamais certaines limites ont peut-être raison

Si nous projetons l’évolution du passé vers le futur, un bébé qui naît aujourd’hui dans un pays riche devrait vivre en moyenne environ 110 ans. Ceci sachant que nous vivons déjà en moyenne 80 ans et que nous avons gagné environ 30 années de vie ces 110 dernières années.

Mais pour cela, il nous faudrait d’abord briser un plafond de verre. Actuellement, même pour les recherches les plus prometteuses (sénolytiques, metformine, NAD+, …), il est surtout question de gagner des années de vie humaine en bonne santé dans nos limites biologiques actuelles. Les durées de vie maximale ne semblent pas près d’être dépassées, tant pour les êtres humains que pour les animaux.

Les longévitistes optimistes ont peut-être raison

Comme l’écrivait Richard Feynman, cité au début de cette lettre, il n’y a pourtant pas de frontière biologique infranchissable équivalente au mur du son où à la vitesse maximale de la lumière. Mais il y a le code génétique. Ce code génétique qui fait que jamais un homme n’a dépassé 116 ans, une femme 122 ans, une tortue des Galápagos environ 200 ans et une souris un peu plus de 4 ans. Cependant, ce code génétique, nous pouvons le modifier par des thérapies géniques. Nous le changeons d’ailleurs déjà pour un certain nombre de maladies,  même chez des personnes adultes.

Cet obstacle peut-être ultime de la santé pourrait aussi être un jour franchi par d’autres moyens, par exemple par la production de protéines normalement exprimée par certains gènes relatifs au vieillissement.

Et le jour où cette frontière sera franchie, d’abord chez des souris puis chez des humains, cela pourrait être comme la conquête du vol au tout début du 20ème siècle, comme la découverte de l’insuline en 1922 ou comme l’utilisation de la pénicilline à la fin de la seconde guerre mondiale. Un avant et un après, c’est-à-dire, cette fois, des horizons de longévité, radicalement au-delà du siècle.


Les nouvelles du mois : « Rajeunissement » de l’horloge épigénétique de rats grâce à un plasma. Progrès collectifs pour la lutte contre le Covid-19


Un article concernant l’utilisation d’un plasma donné à des rats âgés a soulevé un enthousiasme considérable dans la communauté longévitiste. Des rats de 2 ans ont reçu un plasma sanguin et leurs indicateurs physiologiques durant le test étaient quasiment devenus ceux de rats de 6 mois. Si c’est vrai, c’est une découverte extrêmement prometteuse. De plus, cet article est signé notamment par deux scientifiques renommés (Steve Horwath, spécialiste de l’épigénétique et Harold Katcher, de l’université de Maryland).

Malheureusement :

  • Aucun test de longévité proprement dite n’a été effectué (uniquement des marqueurs de longévité)
  • Seuls 6 rats ont bénéficié du traitement
  • L’article n’a pas encore été vérifié par des pairs
  • La composition du plasma n’est pas connue

Espérons que l’enthousiasme se traduira dans les tests de longévité annoncés. Ou que cela encourage d’autres recherches de réjuvénation radicale.

Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, des centaines de recherches sont en cours. La majorité des autorités et groupements qui s’expriment insistent sur la mise en commun des recherches et la mise à disposition future pour tous. « Grâce » au virus, l’attention à la santé et à la protection du système immunitaire, particulièrement des personnes âgées, est plus grande que jamais. Le 19 mai, l’assemblée générale a adopté une résolution de riposte à la maladie Covid-19.

Un communiqué de presse de l’OMS annonce la création, pour le 29 mai, d’une plateforme permettant de centraliser les données, le savoir et la propriété intellectuelle se rapportant aux produits sanitaires existants ou nouveaux contre la COVID-19. Il s’agit, suite à une proposition du Costa-Rica, de mettre des biens de santé publique mondiaux à la portée de tous dans tous les pays.

 

Pour en savoir plus :

 

 

Longévité positive dans les récits. La mort de la mort. N° 133. Avril 2020.

Même en volant
Je n’aurai pas le temps, pas le temps
De visiter toute l’immensité
D’un si grand univers
Même en cent ans
Je n’aurai pas le temps de tout faire

(…)

Et pour aimer
Comme l’on doit aimer
Quand on aime vraiment
Même en cent ans
Je n’aurai pas le temps
Pas le temps

Je n’aurai pas le temps. Paroles de Pierre Delanoë, chanté par Michel Fugain.


Thème du mois : Une longévité radieuse


En ces dernières heures d’avril 2020, la lutte contre le Covid-19 bat son plein. Nous semblons bien en mesure de gagner une bataille. Mais l’affrontement n’est pas terminé.

Parmi les belles leçons de cette lutte, il y a la mobilisation de milliards de femmes et d’hommes de tous pays et de tous horizons pour protéger les plus faibles et les plus âgés.

Faire vivre les femmes et les hommes beaucoup plus longtemps et en santé parfaite, atteindre l’amortalité (immortalité biologique), bien des humains en ont rêvé. Dans la fiction, à côté de visions négatives d’une longévité sans frontières, il y a des récits plus nuancés ou positifs. Quelques-uns de ceux-ci seront examinés dans cette lettre. Vous pouvez lire en écoutant la chanson Forever Young d’Alphaville ou Je n’aurai pas le temps cité ci-dessus de Michel Fugain.

Un futur amortel ?

Dans le film de science-fiction Time Out, la technologie rend possible de ne pas vieillir. Les humains peuvent vivre des siècles avec le corps d’une personne parfaitement jeune. Mais chaque humain a en lui un compteur électronique qui le tue s’il arrive à 0. Le temps de chaque compteur peut s’acheter, se vendre, se voler dans une société socialement extrêmement divisée.

Mais à la fin de l’histoire, grâce à la révolte du héros, les horloges s’arrêtent. Dans ce récit les « bons », victimes des marchands du temps, l’emportent contre les « méchants ». C’est aussi une victoire dans un monde qui s’annonce sans vieillissement.

Mr. Nobody, en 2009, fut le premier film d’anticipation à diffusion large dans laquelle les êtres humains « normaux » sont ceux qui vivent sans vieillir. Et le héros est, à 118 ans, le dernier homme à mourir de vieillissement. 

Kim Stanley Robinson est l’auteur de La Trilogie de Mars. Les scientifiques y ont développé des traitements qui leur permettent de vivre plus de 200 ans. Ceci n’empêche pas les accidents, il y a des difficultés de santé et cela n’est pas une vie illimitée, mais cela rend la vie plus aisée dans un monde étranger.

Renaître ou rajeunir sans limites ?

2001, l’Odyssée de l’espace est, pour beaucoup, le meilleur film de science-fiction jamais réalisé. À l’extrême fin du film, le héros après s’être vu comme un vieillard semble renaître en tant que bébé. Et dans le livre, écrit parallèlement au film, la dernière phrase illustre l’espoir de ce que nous ne pouvons même pas imaginer encore. Il était maintenant maître du monde, et il n’était pas très sûr de ce qu’il allait faire ensuite. Mais il lui viendrait bien une idée.

Le film Cocoon est un beau récit de science-fiction optimiste. Des personnes âgées dans une maison de retraite en Floride découvrent une piscine avec d’étranges pierres qui régénèrent leurs corps. Ces pierres sont en fait extra-terrestres. Les visiteurs permettent à ceux qui le souhaitent de quitter la terre pour leur monde lointain. Les retraités, sauf un, préféreront l’espace à la décrépitude.

La série née durant les années 60 Doctor Who est la plus longue série de science-fiction de tous le temps. Son impact a été considérable. Le docteur héros du film est un extra-terrestre qui peut se régénérer après sa mort, revenir dans un autre corps et ceci pendant des siècles.

Dans le très beau cycle de romans Le Fleuve de l’éternité du grand écrivain de science-fiction Philip K. Farmer, les humains qui ont vécu depuis le début de l’humanité (et même d’autres espèces d’hominidés) ressuscitent dans un monde organisé autour d’un fleuve immense. Dans ce monde, créé par des êtres surhumains, la mort est impossible et mène à une résurrection systématique. Certains le regrettent, mais la majorité des humains s’en accommodent fort bien.

Sagesse et religion pour une longévité sans limites ?

Dans certains récits, des extra-terrestres ou des êtres différents des humains vivent extrêmement longtemps. Ceci les rend plus sympathiques car ils ont eu le temps d’accumuler de la sagesse. C’est le cliché du « vieux maître » qui est plutôt positif. La longévité est sereine voire rigolarde. L’exemple le plus célèbre est celui de maître Yoda dans Star Wars qui est âgé de plus de 800 ans. Mais il y a aussi notamment Nicolas Flamel dans Harry Potter à l’école des sorciers, Elrond dans les romans de J.R.R. Tolkien et, pour les plus jeunes, le Grand Schtroumpf âgé de 542 ans.

Et puis ne l’oublions pas. Que nous soyons croyants, athées ou agnostiques, nous connaissons tous les récits de vie paradisiaque associés à une vie sans fin. Selon ces récits, les humains pourraient exister au-delà de la mort. Et dans ces visions, même si l’existence dure souvent l’éternité, l’ennui, la décrépitude, la lassitude, … n’apparaissent pas.

En effet, les religions, presque sans exception, nous expliquent ce qui se passe après le décès. Et beaucoup de ces futurs sont radieux pour les fidèles qui se sont bien comportés. C’est le paradis des chrétiens ou des musulmans, le Valhalla des Nordiques, les Champs Elysées des Grecs anciens, les champs d’Ialou de l’Egypte ancienne, le ciel et les terres d’immortalité des taoïstes, …

Les récits positifs concernant une vie beaucoup plus longue sont donc innombrables. Les progrès techniques, humains et de santé nous permettent déjà une vie beaucoup plus radieuse et nettement plus longue que nous n’aurions pu rêver il y a quelques siècles. L’actualité nous montre que les avancées restent fragiles. Et elle nous montre que nous pouvons nous mobiliser plus que nous l’aurions cru pour progresser ensemble.


La nouvelle du mois : La lutte contre le Covid-19 plus intense encore


Comme déjà mentionné dans la lettre du mois passé, jamais, dans l’histoire de l’humanité, une maladie n’aura été combattue aussi rapidement, avec autant d’énergie, de moyens scientifiques, économiques, politiques et financiers.

Aujourd’hui, c’est principalement le confinement qui sauve des vies, une technique multimillénaire. Mais les essais cliniques s’accélèrent. Les recherches à propos d’immunité, de vaccins, de cellules-souches, d’antiviraux, d’anticorps, n’ont jamais été aussi nombreuses. Le travail se fait également avec plus d’interactions et de mise en commun des connaissances que jamais. Demain, cela sera probablement avec plus de coopérations. Cela pourrait se faire au niveau de l’Organisation mondiale de la Santé ou par d’autres organisations avec une dimension internationale telle que celle annoncée récemment par des organismes publics et privés américains et européens.

Rappelons-le : le virus peut atteindre presque tout le monde, mais il ne tue quasiment que des personnes âgées ou très âgées. Demain, quand le virus sera vaincu ou dompté, les personnes âgées ne seront pas épargnées par les autres maladies. Il sera nécessaire que les moyens humains et matériels soient alors orientés pour permettre aux aînés la santé telle que définie par l’OMS un état de complet bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.


Pour en savoir plus :

Covid-19 et longévité. La mort de la mort. N° 132. Mars 2020.

Nous demandons (…) une ouverture maximale des données médicales des patients atteints du coronavirus SARS-CoV-2, afin de faciliter la recherche médicale et le développement de nouvelles thérapies et de nouvelles pistes de traitement. (…)

L’augmentation du taux de mortalité par le COVID-19 avec l’âge soulève des questions sur les caractéristiques du vieillissement biologique qui entraînent une plus grande sensibilité à cette maladie et à d’autres maladies infectieuses. (…)

Peut-être que s’il existait des moyens de renforcer ou de régénérer l’immunité des personnes âgées, cette maladie ne les tuerait pas.

Extraits d’une lettre ouverte au président de l’Organisation Mondiale de la Santé et aux Chefs d’Etat (le texte en anglais peut être signé ici).


Thème du mois : Coronavirus et longévité


En ces dernières heures de mars 2020, il n’y a peut-être plus un seul être humain adulte en pleine possession de ses moyens qui ne soit au courant de l’extension de la maladie d’origine virale nommée Covid-19.

Cet évènement est unique à bien des niveaux. Jamais, au cours des cinq derniers siècles de l’histoire de l’humanité, un évènement sanitaire n’avait eu un tel impact. Jamais, dans l’histoire récente de l’humanité, la productivité économique mondiale n’aura autant diminué en aussi peu de temps. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, une maladie n’aura été combattue aussi rapidement, avec autant d’énergie et avec autant de moyens scientifiques, économiques, politiques, financiers…

Les conséquences économiques, sociologiques et culturelles sont incalculables. Nous vivons un scénario de film apocalyptique. Un organisme invisible se répand rapidement partout dans le monde et provoque partout un nombre de décès qui va grandissant. Les rues sont désertées par les habitants. Les humains s’évitent et restent cloitrés sauf pour se nourrir. Les supermarchés sont pris d’assaut.

Tous les ingrédients du film apocalyptique ? Non. Il en manque un. Le virus ne tue pas tous ceux qui sont exposés. En fait, il tue avec « éclectisme », surtout les personnes les plus âgées et les plus faibles. 

Selon les données dont nous disposons, le sort fatal concernerait environ une personne atteinte sur 15 dans la pire des hypothèses. Selon d’autres estimations, il ne s’agirait qu’une personne sur 100. Il y a même des chercheurs envisageant une létalité encore nettement moindre de l’ordre de 0,25 %. Ils se basent notamment sur l’idée que de nombreuses personnes seraient porteuses asymptomatiques du virus. Ceci semble cependant très improbable, compte tenu notamment des connaissances acquises là où des groupes complets ont été testés.

Ces dernières semaines, sauver des vies menacées par le virus est devenu une priorité absolue. Les autorités et les citoyens agissent avec une détermination qui va bien au-delà des « désavantages » économiques et matériels normalement acceptés.

Des longévitistes l’avaient annoncé depuis longtemps. Ceux qui hier considéraient que la vie est « bien assez longue comme cela » se mobiliseraient le jour où une maladie menacerait de faire chuter la durée de vie. Nick Bostrom avait même envisagé cela sous le terme du test de l’inversion. Ce que personne n’imaginait, c’est l’ampleur de la réaction de l’opinion publique.

La situation de ces dernières semaines est celle de deux phénomènes boule de neige en cascade. La croissance du nombre de personnes atteintes entraîne la croissance des mesures prises. Une fois cette double croissance « lancée », il devient presque impossible de l’arrêter. Tant que des moyens thérapeutiques de type antiviraux ou vaccins ne sont pas découverts, s’arrêter de lutter, cela serait perdre la face, admettre que des centaines de milliards d’euros ont été dépensés en vain et s’accommoder de millions de décès de personnes âgées. Si la vie humaine des plus faibles avait pesé, ne fût-ce qu’un peu moins dans la balance, de nombreux Etats, peut-être presque tous, se limiteraient à des mesures plus modérées, « acceptant » des morts en plus.

La détermination des autorités et des citoyens est extraordinaire et émouvante. Il faudra cependant être attentif à ce qu’elle ne devienne pas irrationnelle. Toute mort humaine évitable est une tragédie. Une mort suite au coronavirus n’est pas plus dramatique qu’une mort de la grippe ou d’une septicémie. Or, rien que la grippe provoque des centaines de milliers de morts chaque année. Et la seule application de procédures strictes de vaccination et d’hygiène pour toutes les personnes en contact direct avec des personnes âgées en sauverait probablement des centaines de milliers. Sans maîtrise de la pandémie, des millions de femmes et d’hommes risquent de mourir du coronavirus. Mais des dizaines de millions de femmes et d’hommes mourront aussi d’autres maladies généralement liées au vieillissement rien que dans les prochains 12 mois

Le Covid-19 présente plusieurs similitudes avec l’ensemble des mécanismes de dégradation concernant le vieillissement. Détaillons en quelques-uns.

L’âge des décès

La probabilité de mourir après infection suit une courbe exponentielle qui ressemble beaucoup à la courbe de Gompertz du vieillissement.

Pour le vieillissement ordinaire, à partir d’une vingtaine d’années, la probabilité de décéder est multipliée par 2 environ tous les 8 ans. Pour les décès suite au coronavirus, l’âge est aussi, de très loin, le facteur le plus déterminant. Ainsi, aucun décès d’enfant de moins de 10 ans n’est encore à déplorer nulle part dans le monde. Seuls 0,2 % de jeunes adultes décèdent lorsqu’ils sont atteints et 1,3 % des personnes de 50 à 59 ans. Mais 8 % des personnes de 70 à 79 ans meurent et plus de 20 % des nonagénaires. Le coronavirus est peut-être plus une maladie liée au vieillissement que toute autre maladie infectieuse. En Italie, pays aujourd’hui le plus touché par la pandémie, l’âge moyen du décès des personnes atteintes est de 79,5 ans.

Il est utile de noter qu’aujourd’hui, les maladies infectieuses sont presque toutes plus dangereuses pour les personnes âgées que pour les jeunes. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, la redoutable grippe espagnole de l’après première guerre mondiale « visait » d’abord les jeunes militaires, épuisés par la guerre.

Plus les hommes que les femmes, plus les malades que les biens portants

Partout dans le monde, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Parallèlement, le coronavirus est moins létal pour les femmes que pour les hommes. Une des explications est que les femmes fument moins que les hommes, ce qui a un impact pour une maladie qui provoque le décès le plus souvent suite à une détresse respiratoire. Cependant, cela ne semble pas expliquer l’importance des différences, à savoir plus de 50 % de décès en plus chez les hommes.

Sans surprise, le coronavirus, comme le vieillissement, provoquent plus de décès chez les personnes qui ont déjà d’autres affections. Les facteurs de risques principaux sont très proches de ceux qui accélèrent le plus les décès suite au vieillissement : maladies cardiovasculaires, diabètes, maladie respiratoire chronique, hypertension et cancer. 

Un système immunitaire déficient

Un des aspects du vieillissement, c’est l’immunosénescence. Notre système immunitaire devient de moins en moins efficace avec l’âge. Il ne reconnait plus ni les corps « amis » ni les corps « ennemis ». 

C’est notamment pour cela que les maladies infectieuses, virales ou non, sont beaucoup plus souvent mortelles chez les personnes âgées. C’est pour cela que les vaccins sont moins efficaces, même s’ils restent utiles. C’est probablement pour cela que le coronavirus est tellement létal chez les personnes âgées.

Nous en savons beaucoup mais nous avons beaucoup d’incertitudes 

Pour le coronavirus, comme pour le vieillissement, nous avons accumulé des connaissances énormes. Cependant, pour le coronavirus, comme pour les mécanismes du vieillissement, nous avons également d’énormes pans d’ignorance. À commencer par ce qui est le plus important : comment stopper les processus de développement qui mènent au décès.

Mais là s’arrêtent les similitudes. 

En ce qui concerne le coronavirus, nos nombreuses incertitudes concernent notamment :

Les connaissances progressent à un rythme sans équivalent dans l’histoire pour l’étude d’une maladie. Des millions de personnes et d’organisations se mobilisent pour lutter.

Il est essentiel, dans le cadre de la maîtrise de cette crise que les efforts internationaux soient renforcés, coordonnés, avec des données anonymisées accessibles à tous. Dans ces conditions, il est probable que des thérapies diminuant fortement la mortalité seront disponibles rapidement.

Les principales pistes thérapeutiques sont :

Mais d’autres pistes sont à explorer, notamment l’utilisation de cellules-souches

En ce qui concerne les virus, guérir vaut mieux que prévenir 

En attendant mieux, la prévention peut fonctionner. Il semble qu’elle atteindra son objectif, mais au moyen d’un coût économique incroyable. Pour paraphraser une phrase de La Fontaine, en ce moment « Peu meurent, mais tous sont frappés ». Des milliards de personnes restent à leur domicile. Les bourses de la planète s’effondrent. Des millions d’entreprises sont menacées. Et partout, les citoyens se mobilisent par peur pour eux-mêmes, par obligation fixée par les autorités, et aussi par un souhait de protection des plus faibles et des plus âgés qui n’a jamais eu d’équivalent.

Pour l’exprimer de manière un peu provocatrice, guérir vaudrait encore mieux que prévenir. Prévenir toutes les maladies nouvelles en empêchant la naissance de nouveaux virus létaux pour l’homme est impossible et le restera dans un avenir prévisible. En effet, de nouvelles sortes de virus peuvent apparaître partout et à tout moment. Les moyens pour empêcher la propagation doivent être améliorés. D’autant que nous ne sommes pas à l’abri de virus nettement plus létaux et qui ont une durée d’incubation encore plus longue. 

Trouver les moyens de lutter contre les maladies infectieuses plus rapidement est donc un enjeu qui pourrait devenir une question de survie, non pas seulement pour les personnes âgées et faibles, mais pour l’ensemble de l’humanité. Trouver de manière préventive des remèdes contre de plus en plus de types de virus infectieux pour l’homme est aujourd’hui impossible mais pas inenvisageable sur le long terme. Et cela peut, voire doit, s’inscrire dans un environnement global dans lequel tout ce qui rend l’humain plus résilient, capable de vivre en bonne santé plus longtemps doit être recherché.

Guérir vaut mieux que prévenir en ce qui concerne les maladies liées au vieillissement

La prévention des maladies liées au vieillissement est importante. Une meilleure hygiène de vie, plus de sport, moins de stress, une alimentation plus équilibrée et moins abondante, tout cela permet de gagner quelques années de vie en bonne santé.

Mais, encore plus que pour la lutte contre les virus, des progrès permettant une vie beaucoup plus longue et en bonne santé ne peuvent se faire sans progrès médicaux et scientifiques de rupture. Des progrès importants ne sont envisageables qu’en maîtrisant des mécanismes aboutissant à un véritable arrêt (ou ralentissement radical) des processus de vieillissement.

Pour lutter contre la sénescence, la mobilisation est faible et les connaissances progressent lentement. Les maladies liées au vieillissement sont encore trop souvent vues comme acceptables car « naturelles ». 

Cependant, ceci vient de radicalement changer pour une des maladies liées au vieillissement à savoir la pandémie actuelle. Un virus est pourtant tout ce qu’il y a de plus naturel. Que ce soit le virus de la peste ou la maladie à coronavirus 2019. Nous n’acceptons plus qu’ils tuent, même les personnes âgées en mauvaise santé qui ont vécu bien plus longtemps que la durée de vie moyenne. Et tant mieux !

Et demain ?

Des luttes ont débuté, il y a à peine 100 jours, pour maîtriser l’épidémie, pour le partage des connaissances, pour les progrès scientifiques et les thérapies nouvelles contre le Covid-2019. Elles seront épuisantes. Mais l’humanité a traversé des épreuves plus difficiles encore.

Début 2020, nous nous souciions déjà plus que jamais des personnes âgées. Mais réjouissons-nous du saut supplémentaire de l’opinion publique et des décideurs entre janvier 2020 et mars 2020. La mort de personnes âgées suite à une maladie infectieuse est devenue une catastrophe.

Bientôt, nous pourrons peut-être passer de la recherche scientifique approuvée quasi-unanimement contre une nouvelle maladie réduisant l’espérance de vie à la recherche médicale de nouveaux remèdes augmentant l’espérance de vie (en bonne santé bien sûr).


La bonne  nouvelle du mois : Des cellules humaines âgées rajeunies


La principale nouvelle scientifique de santé non relative au coronavirus a été annoncée par une équipe de la célèbre Université médicale de Stanford. Les chercheurs californiens ont utilisé les protéines appelées Facteur Yamanaka et ont réussi à rajeunir des cellules humaines. Ils ont également constaté que des cellules musculaires de souris, traitées de manière similaire et réinjectées dans le corps des souris, avaient un effet rajeunissant sur les souris.

Les chercheurs veulent poursuivre leur travail pour, un jour, permettre le rajeunissement de tissus humains.


Pour en savoir plus :

 

 

 

Jeunesse et longévité. La mort de la mort. N° 131. Février 2020

Je crois qu’en fait un homme passe sa vie à guérir de son enfance. (…) Il est dur de vieillir sans être adulte. Jacques Brel.

On ne pense à la mort que comme quelque chose de futur. Mais le futur un jour sera le présent. Vous êtes égoïste par rapport à vous-même, votre vous du futur, la personne que vous deviendrez. Il existe heureusement des pistes pour stopper cette terrible maladie qu’est le vieillissement. Mais l’humanité y investit trop peu d’efforts. (…) Peut-être serons-nous de la génération de ceux qui vivront éternellement ou alors de celle qui sombrera à jamais dans l’oubli. Citation audacieuse dans 4 creepiest mysteries of the body.


Thème du mois : Le vieil homme et l’enfant


Certains affirment que la valeur de la vie vient de sa brièveté. Or, les enfants ont toute la vie devant eux. Voyez-vous chez les jeunes un manque de volonté, une forme d’ennui  ? Parfois peut-être, mais moins que chez les adultes.

Ce sont souvent les mêmes personnes qui affirment également que si nous avions une vie beaucoup plus longue ou sans limitation de durée, nous serions atteints d’une sorte de léthargie. En effet, plus rien ne serait urgent. Pensez-vous en regardant nos très jeunes semblables dans un jardin d’enfant, une cour de récréation ou encore en groupe aux portes d’un café que, parce que l’horizon leur semble sans limites, ils aient tendance à prendre tout avec lenteur ?

Bien au contraire, l’horizon large est généralement un facteur d’enthousiasme et d’énergie. D’ailleurs, seriez-vous demain plus actif, énergique et enthousiaste si vous saviez que vous n’aviez plus que quelques semaines à vivre ?

L’être humain est le seul animal à avoir conscience de l’inéluctabilité de sa fin. Mais jusque 3 ou 4 ans, l’enfant n’a pas du tout conscience de ce qu’est la mort. Ensuite, il en prend conscience, mais d’abord sans se rendre compte que cela concerne tous les humains. Petit à petit, l’enfant va percevoir que la mort est un phénomène irréversible et inéluctable. Cependant, même après la découverte de l’inéluctabilité, les adolescents voient le vieillissement comme un futur plus que lointain.

Evidemment, même chez les adultes d’âge mûr, cette conscience reste toujours relative. Ceci concerne les croyants qui affirment qu’il existe une vie après la mort. Ceci concerne aussi les non-croyants. Cet aspect a été abordé dans une lettre de 2010 concernant la théorie dite de la gestion de la terreur (terror management theory) Cette théorie énonce que nous sommes tellement terrifiés par la mort que pour rendre son idée soutenable, nous avons besoin de la voir comme positive, imaginer y remédier devient dès lors non avenu, impossible.

Les jeunes enfants découvrent donc l’inéluctabilité du vieillissement et de la mort physique, en même temps que l’attitude souvent ambivalente de leurs parents. Ils seront souvent indignés. Cela leur permettra parfois d’être des pionniers dans la lutte pour la longévité.

Nina Khera est une jeune scientifique surdouée de 13 ans, originaire du Canada. Elle étudie la longévité et la génomique et se spécialise dans la lutte contre les cellules sénescentes.

Laura Deming avait 12 ans quand elle commença à travailler. À cet âge, elle traversa la moitié de la planète depuis sa Nouvelle-Zélande natale pour rejoindre le laboratoire californien de la spécialiste du vieillissement Cynthia Kenyon. Elle est aujourd’hui une adulte convaincue de l’importance de la recherche et des investissements dans ce domaine.

Laurent Simons, à l’âge de 9 ans, voulait déjà devenir un scientifique et un médecin pour mettre fin au vieillissement.

Un des aspects impressionnants pour Laura Deming et Laurent Simons, c’est que leur idéal est né de la même préoccupation en leur jeune âge : protéger leurs grands-parents.

Laurent Simons déclarait dans un journal flamand : Mon but en tant que scientifique est de prolonger la vie. Mes grands-parents sont des patients cardiaques et je veux les aider. Et les faire vivre éternellement.

Laura Deming racontait dans une interview : Je me souviens d’une fois où ma grand-mère est venue nous rendre visite. Je n’avais jamais fréquenté quelqu’un de plus de 60 ans auparavant. (…) pour ma grand-mère, seulement se lever d’une chaise, c’était vraiment douloureux. Cela m’a frappé. (…) Ensuite je me rappelle avoir demandé à mes parents quelle maladie était-ce. Ils m’ont dit : elle n’est pas atteinte d’une maladie, elle est vieille. Je leur ai demandé quelle maladie c’était d’être vieux. Ils m’ont dit : Oh, non, non, tu ne comprends pas, c’est un processus naturel. Et en tant qu’enfant, vous vous dites : C’est stupide. Pourquoi y a-t-il un processus naturel que nous devrions tous attraper, une maladie qui nous rend tellement abimés ?

Les plus jeunes sont souvent les plus enclins à se préoccuper du sort des plus âgés et à les défendre. Ils n’ont pas encore appris à supporter les injustices, fussent-elles celles de la nature.


Les nouvelles du mois : recherches à propos du coronavirus et intelligence artificielle pour des antibiotiques


Alors que les craintes relatives au virus SARS-CoV-2 (coronavirus), s’étendent, deux aspects sont importants et concernent la « lutte contre le vieillissement » :

  • Il a été relevé que le risque de décès est beaucoup plus grand chez les personnes âgées. Comme pour toute maladie infectieuse, un des principaux facteurs aggravants est l’âge.
  • Des archivistes se sont mobilisés pour que l’ensemble des articles scientifiques utiles pour lutter contre la nouvelle maladie soient accessibles sans tenir compte des droits d’auteur. Ils parlent d’impératif moral. Ils argumentent donc implicitement sur le fait que le droit à la vie prime ou devrait primer sur le droit au profit.

Enfin, dans un autre domaine, concernant cette fois les bactéries pathogènes, pour la première fois, un antibiotique a été développé grâce à une intelligence artificielle en utilisant des techniques de machine learning. L’antibiotique nouveau, baptisé Halicim, a déjà prouvé son efficacité chez les souris et sur des cellules humaines.


Pour en savoir plus :

 

 

 

Statistiques et longévité. La mort de la mort. Numéro 130. Janvier 2020.

Il viendra un temps où notre espérance de vie moyenne atteindra 200 ans. Masayoshi Son, dirigeant de l’entreprise japonaise SoftBank. 


Thème du mois : vivre plus longtemps selon les statistiques


C’était à Londres en 1854 dans le quartier de Broad Street. Dans les miasmes de la métropole, les habitants de quartiers à l’époque misérables et surpeuplés meurent par centaines du choléra. Nul ne sait encore que c’est un bacille qui tue, et parmi les scientifiques les plus compétents, beaucoup pensent que c’est l’air « pestilentiel » (étymologiquement « porteur de la peste ») qui porte ce qui déclenche la maladie.

Mais un médecin, John Snow, demande à consulter les statistiques de la mortalité. Il constate que les décès se produisent surtout dans les maisons proches d’un certain puits. Il obtient que le puits soit fermé et la mortalité tombe. C’était peut-être la première fois que les statistiques sauvaient, un siècle et demi avant le règne du « big data ». Et les statistiques ont sauvé malgré une conviction fausse. En effet, le docteur Snow pensait que l’eau était empoisonnée. Il ignorait que le choléra était un organisme vivant  (un bacille). Comme quoi, et heureusement, il n’est pas nécessaire de comprendre entièrement un problème de santé publique pour le résoudre.

Trente ans plus tôt, en 1825, à quelques kilomètres de Broad Street, un autre médecin britannique avait été le premier à décrire ce qui porte aujourd’hui le nom de loi de Gompertz. Il s’agit de la courbe exponentielle de décès selon l’âge. Au 21èe siècle, cette courbe exponentielle de mortalité a reculé, mais aucunement cédé. En d’autres termes, aujourd’hui comme hier, la mortalité augmente de manière exponentielle avec l’âge, mais aujourd’hui, l’augmentation commence plus tard.

La durée de nos vies découle d’évènements innombrables. En rencontrant les gens individuellement, l’état de santé semble ne pas avoir de logique claire, du fumeur centenaire au sportif musclé et attentif à son alimentation qui meurt à 50 ans foudroyé par une rupture d’anévrisme.

Pourtant, des millions d’éléments combinés de notre existence ont une influence précise sur la durée de vie moyenne. Pour certains d’entre eux, le lecteur de ces lignes a été gagnant ou perdant dès avant sa naissance. Pour d’autres, ce sont ses choix qui seront décisifs. Sachons cependant que nos décisions sont profondément influencées par notre milieu social, économique, culturel, religieux, …

Des centaines d’articles ont été publiés concernant les conséquences de produits, de situations sociales, culturelles, économiques, médicales, … sur la longévité. Un fichier de travail réalisé par l’association Heales, intitulé Vie plus longue selon les statistiques (et ouvert aux commentaires) en fournit un relevé non exhaustif, mais déjà assez large.

Depuis des décennies, l’observation des statistiques de mortalité permet  des améliorations de santé. Elle en permettra très probablement encore. S’il est presque certain que la détection de « bonnes habitudes » et de « bons comportements » ne permettra que des gains modestes, les observations pourront très probablement aussi ouvrir des pistes à de nouvelles recherches.

Il faut cependant rester très prudent avec l’interprétation de ces observations, dont certaines d’ailleurs se contredisent. La plupart des études sont des études a posteriori de comportements. Ce qui apparaît comme favorable à la longévité peut en fait découler d’autres facteurs. Par exemple s’il est généralement peu contesté que faire de l’exercice est favorable à la santé, il est peu contesté également qu’être en mauvaise santé rend l’exercice plus difficile. Comme disait un humoriste, ne dormez pas dans votre lit, statistiquement les gens y meurent beaucoup ! Pour prendre un autre exemple, il apparaît que les gens qui jouent au golf et au tennis vivent plus longtemps. De même, pour donner un exemple plus caricatural, il est fort probable que les gens qui mangent régulièrement des huîtres et du caviar et qui ont une résidence secondaire à Saint-Tropez ou Monaco, vivent plus longtemps également. Les causes des disparités de comportement sont souvent d’abord sociales.

Bien sûr, les scientifiques s’efforcent de « corriger » les données en prenant en compte d’autres facteurs avant de communiquer les résultats. Toutefois :

  • c’est complexe notamment parce que l’influence précise des autres facteurs n’est pas connue (facteurs sociaux, biologiques, géographiques, …).
  • il est tentant de se contenter de données brutes (dans l’exemple cité, les vendeurs de caviar et de clubs de golf seront tentés de se contenter de données non corrigées « démontrant » l’espérance de vie plus longue).

Une observation idéale porte sur des groupes de personnes séparées par tirage au sort, chaque groupe doit suivre un comportement différent (un groupe prend par exemple certains médicaments et l’autre pas) et doit être effectuée « en double aveugle« . Ce type d’observation est extrêmement coûteux et peut en outre poser des problèmes éthiques, par exemple si le résultat probable est que l’un des deux groupes aura une mortalité plus forte.

Voici maintenant des informations intéressantes relatives à ce qui a été détecté. Certaines données vous surprendront probablement, mais elles sont à interpréter avec prudence, comme expliqué plus haut.

Alimentation et autres absorptions par le corps

Génétique

Activités physiques

Social, temporel et géographique

Médicaments, soins de santé et thérapies

Mais suivre les recettes pro-longévité ne suffira pas pour une vie beaucoup plus longue

Tant dans le domaine des thérapies et des médicaments que dans celui des autres « méthodes » diverses pour la longévité 1 + 1 ne fait pas 2 mais souvent à peine un peu plus que 1. Et chaque « méthode » qui s’ajoute conduit probablement à des gains de plus en plus réduits. Un exemple : faire plus d’exercice, manger moins et mieux et prendre de la metformine devrait, si l’on cumule les informations statistiques disponibles, permettre une dizaine d’années de vie en plus.

C’est probablement beaucoup moins, surtout pour les personnes dans les pays à l’espérance de vie élevée et qui échappent à des causes de décès prématuré. En effet, malheureusement, lorsque l’âge de 90 ans est dépassé (un peu moins pour les hommes, un peu plus pour les femmes), il faut surtout de la chance à la « loterie génétique ». Et plus loin encore, la durée maximale de vie de 110 ans reste une frontière quasiment infranchissable, même pour un individu qui aurait suivi toute sa vie une hygiène de vie rigoureuse.

Il reste que les informations statistiques relatives à la longévité nous donnent des pistes toujours plus nombreuses sur ce qui est utile, et l’utilisation des « big data » et de l’intelligence artificielle combinées pourront faciliter les recherches médicales pour la longévité.


La bonne nouvelle du mois : De plus en plus de données médicales disponibles dans le cadre des recherches


C’est en fait une tendance lourde pas uniquement ce mois-ci. Les données médicales statistiques sont de plus en plus disponibles pour les professions de santé, les citoyens ainsi que les scientifiques. La majorité des responsables et également du public se prononcent en faveur du partage des données pour des raisons médicales (et non pas pour des raisons commerciales) et ceci en utilisant des moyens informatiques performants. Ceci est par exemple illustré par la déclaration de la ministre française de la santé Agnès Buzyn le 19 novembre 2019 : « Il nous faut travailler tous ensemble pour créer les conditions propices au développement de l’intelligence artificielle en santé. C’est pour cette raison que nous avons souhaité nous doter d’une plate-forme de données de santé. »

La création officielle du Health Data Hub a eu lieu le 1er décembre 2019. Certaines modifications en cours des lois de bioéthique annoncent également, très probablement, des recherches plus aisées et efficaces.


Pour en savoir plus :