Le consentement à la recherche médicale : devoir éthique ? La mort de la mort. Septembre 2019. Numéro 126.

Bientôt, la science ne pourra pas seulement ralentir le vieillissement des cellules, mais elle fixera les cellules en l’état et nous deviendrons ainsi éternels. Eric Cantona, 29 août 2019, dans une intervention un peu « déjantée”, à l’occasion de la remise du prix 2019 du président de l’UEFA (traduction).


Thème du mois : Expérimenter pour la longévité, droit ou devoir ?


Au cours des dernières décennies, petit à petit, les sociétés ont élaboré un tissu énorme de législations protectrices de la santé de personnes qui se soumettent à des expérimentations. A un point qui n’est plus favorable ni pour les progrès médicaux, ni pour les personnes qui souhaitent expérimenter pour le bien commun.

Le passé de la recherche médicale

Pendant des siècles, les expérimentations portant sur des humains se sont faites avec bien moins de respect pour les droits des personnes subissant l’expérimentation que pour les autres citoyens.

Les résultats des recherches médicales à partir de la renaissance et surtout au 19ème et au début du 20ème furent extraordinaires. Mais le non-respect des droits humains de ceux subissant l’expérimentation fut souvent également spectaculaire.

Pendant longtemps, bien souvent, ce sont des condamnés qui étaient « utilisés », charcutés, … A des époques où la peine de mort était encore fréquente, cela pouvait être un moyen d’échapper à la peine ultime. Mais un moyen d’autant plus potentiellement peu enviable que l’anesthésie n’était pas encore pratiquée.

A côté des condamnés par la justice, il y avait les populations ayant moins de droits, venant notamment d’Afrique noire. Ainsi un médecin du Sud des Etats-Unis, James Marion Sims expérimenta d’abord sur des femmes esclaves noires avant d’opérer sur des femmes blanches.

Mais quand le sujet de l’expérimentation médicale non éthique est abordé, c’est surtout aux atrocités commises durant la seconde guerre mondiale, dont celles du tristement célèbre Docteur Mengele, que l’on pense. Il fut responsable de dizaines de morts de femmes, d’enfants et d’adultes. Ce qui fut commis par des médecins de l’armée impériale japonaise de l’Unité 731 est moins connu. Les expérimentations se firent pourtant dans des conditions plus abominables encore et provoquèrent des milliers de morts. De manière totalement immorale également, il y eut très peu de poursuites après la guerre et pas de condamnation du principal responsable Shiro Ishii.

Ce sont ces atrocités qui ont été l’élément déclencheur de législations strictes. Mais ces développements ont été progressifs. Par exemple jusqu’aux années 70, les autorités américaines se sont encore livrées à des expériences sur des afro-américains.

La situation contemporaine

Aujourd’hui, en tout cas dans les pays où se passent la majorité des expérimentations médicales, la législation est d’une grande sévérité, exprimée principalement dans la Déclaration d’Helsinki. Par une sorte de mouvement de balancier excessif, une personne qui se soumet à des essais cliniques est mieux protégée qu’un citoyen ordinaire. Pour effectuer une expérimentation, il faut notamment que l’organisation intéressée y soit autorisée, que l’expérimentation elle-même ait été admise par un organisme d’avis, que les « testeurs » aient marqué leur accord « informé », ce qui signifie remplir des documents complexes et nombreux. Il faut aussi, bien sûr, que le risque de santé pour les « testeurs » ne soit pas considéré comme disproportionné.

Ensuite, l’étude elle-même comprend plusieurs phases. Après avoir établi la probable innocuité, généralement sur l’animal, il faut établir cette même innocuité sur un groupe de personnes sans tester l’efficacité (phase I). Ensuite seulement, il y a examen de l’efficacité du traitement lui-même, d’abord sur un petit groupe, puis sur un plus grand groupe, comparé à un autre traitement ou à un placebo (phases II et III).

Ceci a pour conséquence que l’expérimentation est extrêmement longue et coûteuse. Comme très souvent, les expérimentations sont effectuées par des sociétés en lien avec le monde pharmaceutique, les investissements se font principalement pour des produits et méthodes brevetables et très difficilement pour d’autres. Ceci explique, par exemple, qu’une expérimentation pour la longévité portant sur la metformine ait pris des années à être organisée, faute de moyens.

Il faut toutefois nuancer ces aspects de lenteur. Ainsi, dans le cadre de l’épidémie d’Ebola, certaines expérimentations se sont faites beaucoup plus rapidement. En fait, deux aspects ont probablement joué :

  • La peur de conséquences létales de l’épidémie pour les populations concernées et de la possible propagation vers d’autres continents.
  • Et, de manière beaucoup moins compréhensible éthiquement, une moindre préoccupation pour les règles de protection lorsque les sujets de l’expérimentation se trouvent en Afrique.

Pistes d’amélioration : devoir de partage des données et devoir d’expérimentation

A l’heure actuelle, beaucoup considèrent que les données médicales appartiennent aux patients. Les responsables des traitements ne pourraient donc les utiliser sans consentement. Ceci est compréhensible lorsque les données peuvent être utilisées « contre les patients », par exemple par une compagnie d’assurance, un employeur. Mais en va-t-il de même pour les résultats des recherches médicales qui peuvent être utiles à tous en commençant par les plus faibles ? A supposer que je dispose d’un type de sang unique au monde par ses propriétés coagulantes, serait-il justifié que je refuse l’utilisation de ces données, condamnant à mort des personnes car elles ne pourraient bénéficier pas de certains progrès médicaux ?

La réponse devrait être évidente. D’ailleurs, en pratique, dans l’immense majorité des cas, les formules concernant les consentements au partage de données sont de la paperasserie bureaucratique. Elle amuse surtout les juristes ou plus exactement, elle leur fournit une source de revenus sans créer de réel consentement, puisque quasiment tout le monde signe et quasiment personne ne lit (et celui qui lit, n’en comprendra pas grand chose).

Dans un environnement idéal, la première question posée serait « Comment assurer que les recherches médicales permettent une vie plus longue et en meilleure santé aux personnes qui le souhaitent sans nuire à ceux qui fournissent les informations ? ». Les patients que nous sommes tous auraient le devoir moral, voire l’obligation légale de partager nos données. Il y aurait aussi l’obligation stricte pour les organisations utilisant les données de partager les résultats pour l’utilisation scientifique et thérapeutique et l’interdiction, tout aussi stricte d’utiliser les données à d’autres fins.

Nous deviendrions donc en fait tous testeurs sans aucun effort supplémentaire, en mettant en commun les informations pour tout ce qui concerne les milliards d’opérations médicales (chirurgie, médicaments, examens …)  que nous faisons chaque année. Ceci peut sembler inquiétant à certains mais cela peut aussi être perçu comme rassurant car permettant plus d’accès aux données et donc plus de contrôle. Ce partage se fait d’ailleurs déjà partiellement dans certains pays, notamment en France. En effet, bien des données médicales sont partagées grâce entre autres au Système national des données de santé, mais avec un degré de précision insuffisant.

Il faut noter que cette perception de l’utilisation souhaitée des données médicales tend à se répandre assez rapidement, particulièrement en France. La médecine étant de plus en plus informatisée, elle dépend de plus en plus de données digitales accessibles. Il est de plus en plus clair qu’il serait immoral pour un patient bénéficiant des données des autres de refuser de donner les siennes aux autres.

En parrallèle, des expériences médicales resteront néanmoins nécessaires.

Un premier moyen d’accélération peut-être l’auto-expérimentation. Celle-ci fut assez fréquente par le passé et elle existe encore. Par exemple la controversée Liz Parrish et aussi le biogérontologiste renommé Greg Fahy l’ont pratiqué.

Mais la principale piste, c’est l’expérimentation plus rapide avec des règles plus réalistes sur beaucoup d’aspects. Il faut remarquer qu’être plus rapide, cela peut être plus une garantie de protection pour ceux qui vont être les sujets de l’expérimentation. Il en va ainsi lorsque l’information est partagée plus rapidement, sans être « bloquée » à cause de règles en matière d’appropriation excessive de droits intellectuels ou pour d’autres raisons. Il s’agit notamment d’avoir un projet plus global, idéalement international, d’avoir une procédure d’autorisation éthique globalisée. Il s’agit surtout de la prise de conscience de l’urgence, une fois qu’il est établi que la probabilité d’atteindre l’objectif n’est plus négligeable.

Conclusion

Chaque jour, 110.000 personnes meurent dans le monde de maladies liées au vieillissement. Une expérimentation efficace doit porter sur les plus âgées (sur des personnes jeunes, il faudrait attendre des années, voire décennies avant de voir des résultats suffisamment probants). Les personnes âgées devraient avoir le droit d’expérimenter et dans de meilleures conditions. Nous pouvons même considérer que, pour les femmes et les hommes âgés qui sont informés et qui ont les moyens financiers, sociaux et psychologiques de le faire, c’est un devoir éthique; un devoir d’assistance du même ordre que le devoir que nous pouvons ressentir de donner notre sang en cas de catastrophe.

Les bonnes nouvelles du mois : L’expérimentation de la metformine pour la longévité va débuter. Une expérimentation de 5 produits « rajeunissants » indique un résultat positif.

Le projet « TAME », c’est-à-dire l’expérimentation portant sur les effets positifs de l’absorption de metformine par des personnes âgées en bonne santé va débuter aux Etats-Unis. C’est une bonne nouvelle à tempérer par le fait que ce démarrage était attendu depuis deux années, faute de financement.

Une expérimentation extrêmement prometteuse de 5 produits durant un an pour un petit groupe de 9 hommes âgés de 51 à 65 ans a permis d’établir dans ce groupe un recul de l’âge indiqué par les « horloges épigénétiques » de 2 ans et demi en moyenne. En d’autres mots, il semble qu’il y ait réjuvénation sur les deux années mesurées pour les personnes qui prennent ces produits. C’est extrêmement prometteur, mais à confirmer par des expériences à plus grande échelle.


Pour en savoir plus :

 

 

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