Légalité et longévité. La mort de la mort. Mars 2017. N° 96.

Le dernier état de l’utopie, aujourd’hui, à vivre encore, c’est l’utopie de guérison: pouvoir se prémunir des maladies par la génétique. C’est le noyau dur du méliorisme classique des Lumières et il sera difficile d’y porter atteinte. Le pire des pessimismes ne peut pas décourager cet espoir. Cela n’a pas nécessairement à voir avec les rêves d’immortalité qui sont typiques de la côte Ouest des Etats-Unis… Il ne faut pas nécessairement « californiser » notre pensée pour pouvoir espérer améliorer la condition humaine d’un point de vue médical ! Peter Sloterdijk, dans Le Temps, 5 novembre 2016.


Thème du mois: Approches de quelques rapports entre droit et longévité


Les questions de droit liées aux progressions médicales en matière de santé sont multiples. Comme chaque pays a son propre  environnement juridique, il a fallu se limiter et c’est le droit français qui sera principalement abordé ici.

  1. La législation considère-t-elle l’humain comme devant être fixe ou comme étant modifiable ?

En droit comme en philosophie, deux thèses s’affrontent: humain immuable ou humain modifiable. En droit, plusieurs concepts peuvent être cités à l’appui de chaque thèse.

Pour un humain non modifiable

Le concept de droit naturel postule des règles immuables, dépassant l’homme. Ces règles peuvent émaner de la puissance divine ou de la logique de la nature. Dans cette conception, ce qui est « normal », est admis par le droit et ne peut être modifié. En quelque sorte, le droit préexiste et doit s’appliquer à des situations évolutives, mais pas être modifié par celles-ci. Ceci mène notamment pour l’humain au concept d’intégrité de la personne humaine qui peut impliquer l’interdiction de toute modification « non naturelle » même souhaitée par un individu.

Évidemment, rares sont ceux qui estiment aujourd’hui que cela signifie que les femmes et les hommes ne peuvent se faire opérer s’ils sont atteints d’une affection parce que la nature ou les dix commandements bibliques ne le prévoient pas. Mais cette notion est néanmoins d’une extrême rigueur en droit français. La loi interdit la thérapie génique germinale qui permet la manipulation des gènes qui ont vocation à être transmis à la descendance (article 16-4 du Code civil). Transformer le patrimoine génétique d’un être humain est même en droit français, un des crimes les plus graves du code pénal, un crime contre l’espèce humaine (article 214 du Code pénal). Heureusement, la loi précise « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques ».

Pour un humain plus résilient et améliorable

Cinq arguments juridiques peuvent être avancés.

L’article 27.1 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 postule que Toute personne a le droit (…) de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. Les bienfaits scientifiques sont notamment ceux issus des avancées médicales. Cependant cet article est très général et fort peu cité par les juristes.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (préambule de 1946), La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Cette définition très large implique clairement que la santé est perçue comme un état susceptible d’amélioration large, par-delà la simple lutte contre la maladie.

D’innombrables instruments juridiques postulent l’égalité de droits et de devoirs dans de nombreux domaines sans discrimination liées au sexe, à la condition sociale et aussi à l’âge. Ceci signifie logiquement que si, un jour, une thérapie permettant une vie en bonne santé beaucoup plus longue est disponible, elle ne pourra être  refusée à ceux qui en auront le plus besoin, les plus âgés et/ou les plus faibles.

Les personnes âgées meurent massivement de maladies liées au vieillissement. Les progrès médicaux peuvent leur permettre une vie plus longue. En droit français, il existe le devoir d’assistance à personne en danger. Ceci signifie que lorsqu’une personne risque sa vie ou son intégrité et qu’il est possible de lui venir en aide, il est obligatoire de le faire (sauf risque pour soi-même) sous peine de sanctions pénales. Il faut noter que l’aide doit être apportée, même en l’absence de certitude quant au résultat. Jusqu’ici la jurisprudence exige un risque imminent et s’applique donc difficilement à des recherches à venir. Cependant l’argument de non-assistance à personne en danger a déjà été utilisé lorsque certains ont estimé que des découvertes médicales récentes n’étaient pas utilisées assez rapidement pour des patients. Ce fut le cas lors de l’affaire dite du « sang contaminé ».

Enfin plus largement la conception contemporaine du droit à disposer de son corps est devenue aujourd’hui étendue. Ce droit à disposer de son corps comprend notamment celui d’utiliser des prothèses utiles à la santé. Demain, il pourrait comporter, par exemple, le droit d’utiliser des robots de taille microscopique pour améliorer sa longévité.

  1. Peut-on être propriétaire d’un humain prolongé?

La réponse courte est bien sûr négative. Même si l’abolition de l’esclavage est toute récente au regard de l’histoire de l’humanité presque plus personne ne se prétend propriétaire d’un être humain (adulte). Ceci ne signifie cependant pas que des thérapies, des substances, des objets, des applications informatiques permettant des améliorations ne puissent faire l’objet d’un droit de propriété, le cas échéant même à l’intérieur du corps.

En ce qui concerne les prothèses, la question s’est notamment posée de savoir si le programme permettant à un pacemaker de fonctionner pouvait être accessible à son porteur. Actuellement, la réponse semble plutôt négative en France comme aux Etats-Unis.

Par contre, en ce qui concerne les thérapies géniques, en France et aux Etats-Unis, le concept de « non-brevetage du vivant » en tous cas pour les gènes humains l’emporte largement. Des gènes permettant la longévité ne pourraient faire l’objet de brevets, contrairement à des médicaments. Cependant, la manière de modifier des gènes peut être brevetée. Ceci suscite d’ailleurs un affrontement juridique intense dans le cadre des avancées de la méthode dite CRISPR qui révolutionne les recherches sur les modifications génétiques.

Un brevet donne des droits exclusifs d’utilisation pendant 20 ans, ce délai pouvant être prolongé de 5 ans dans certaines circonstances. Les partisans du droit au brevet affirment que ceux-ci accélèrent les découvertes médicales en les rendant rentables. Cette brevetabilité partielle pourrait cependant un jour ralentir la mise à disposition de thérapies à tous même si, en cas de découvertes « révolutionnaires », la pression pour les mettre à disposition de tous serait énorme.

En guise de courte conclusion

Le droit, comme l’ensemble des règles, habitudes sociales et pratiques culturelles et religieuses est produit par une société et évolue lorsque la société change. Mais il sécrète aussi des conséquences propres qui peuvent ralentir ou accélérer des évolutions souhaitables ou, au contraire, des évolutions préjudiciables. Parfois, cela se produit sans que ceux qui avaient élaboré les règles au départ l’aient souhaité ou même l’aient envisagé. Le droit français a, de longue date, mis l’accent (en théorie) sur la liberté, l’égalité et la fraternité (compris dans le sens de solidarité). Cet accent ne garantit pas l’accès égal à des thérapies de longévité si elles deviennent disponibles mais il tend à le favoriser.


La bonne nouvelle du mois : Un traitement pour détruire les cellules sénescentes donne des résultats très prometteurs chez les souris


Parmi les causes de vieillissement, il y a -paradoxalement- les dommages causés par des cellules qui ne veulent pas mourir. Il s’agit de cellules vieilles sans utilité biologique qui ne sont pas éliminées naturellement par l’organisme. Depuis plusieurs années, des scientifiques et des startups sont à la recherche de produits susceptibles de détruire ces cellules, mais -bien sûr- sans détruire en même temps les cellules saines.

Des chercheurs néerlandais du centre universitaire médical de Rotterdam ont testé sur des souris transgéniques une protéine appelée FOXO4. Cette substance induit une amélioration considérable de l’état de santé d’individus âgés. Les médias ont assez largement répercuté l’information.

Il faudra maintenant vérifier sur des souris âgées « normales » et puis sur des humains. L’ampleur du résultat positif, ainsi que la compréhension assez large du mécanisme, incitent à un certain optimisme pour les étapes ultérieures.


Pour en savoir plus:

 

 

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