La mort de la mort. Lettre de mai 2016. Numéro 86.

C’est un malheur qu’il y a trop peu d’intervalle entre le temps où l’on est trop jeune et le temps où l’on est trop vieux.

Montesquieu (1689 – 1755), Mes Pensées.


Thème du mois : De l’individu connecté au « grand tout ». Aux confins de l’immortalité?


Par-delà les perspectives à court et moyen terme généralement abordées dans cette lettre, il est intéressant de s’aventurer parfois vers un futur plus lointain, plus hypothétique. Le concept du transfert de la conscience vers un support informatique a été abordé dans une lettre de 2012. Ici, ce sont les connections virtuelles et informatiques entre humains qui sont envisagées.

Précision préalable: ce qui est décrit ci-dessous est incertain. Les changements imaginés ne sont pas nécessairement souhaités par ceux pour qui une vie beaucoup plus longue en bonne santé est importante. A court et à moyen terme, le plus important pour les milliards de femmes et d’hommes qui avancent en âge, n’est pas de savoir s’ils pourront un jour être télépathes parfaits, transférer leur conscience ou se fondre dans une entité collective, l’important, pour demain et après-demain, c’est de ralentir voire interrompre le processus de sénescence qui provoque environ un million de décès par semaine.

Cependant les perspectives plus lointaines, plus fascinantes, plus vertigineuses sont abordées abondamment dans la science-fiction ainsi que par des philosophes et par des transhumanistes. Les lignes qui suivent permettront un bref tour d’horizon de ces perspectives qui peuvent tout à la fois nous faire rêver et nous effrayer.

Voici donc une approche de ces idées et concepts d’hier, d’aujourd’hui et d’après-demain.

La passé du futur lointain. Cosmisme et noosphère.

Au 19ème et au 20ème siècle, deux personnages importants se sont exprimés à la rencontre du religieux, du souhait d’immortalité et de la fusion des êtres.

Nikolaï Fiodorov (1829 – 1903) était un philosophe russe qui désirait non seulement permettre aux êtres humains vivants de ne plus mourir mais il imaginait également ressusciter les hommes du passé par des moyens scientifiques. L’ensemble des êtres humains pourrait un jour se rassembler, former un ensemble. L’école de pensée dont Fiodorov fut le principal représentant était le cosmisme russe.

Teilhard de Chardin (1888 – 1955) était un prêtre jésuite français qui avait des idées philosophiques et scientifiques très différentes des doctrines chrétiennes traditionnelles. Il imaginait notamment, dans un futur indéterminé, la fusion des consciences humaines en une entité qu’il appelait la noosphère, une « pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines ». Cette noosphère pourrait elle-même être douée de conscience

Le présent du futur lointain

C’est une banalité de dire que nous vivons dans un monde où les citoyens sont de plus en plus connectés.  Ces connections sont de moins en moins des liaisons physiques. Si nous considérons nos mobiles comme étant déjà des extensions de notre corps, alors nous faisons déjà de plus en plus partie d’une communauté virtuelle.

Des liaisons directes entre le cerveau et des objets informatiques sont déjà réalisables et réalisées. Cela comprend des liaisons non invasives sans contact direct et cela rend possible, par l’intermédiaire de ces objets, des liaisons « télépathiques » d’un individu à un autre. Cependant, les processus permettant ces échanges sont encore lents et exigent un apprentissage. Actuellement, ils ne présentent un intérêt dans la vie quotidienne que pour des personnes handicapées ou pour des applications ludiques.

Le futur lointain

Les neurones pourraient un jour être complétés par des équivalents informatiques intégrés dans notre corps. Les informations aujourd’hui contenues dans les neurones pourraient être copiées ou déplacés vers ces supports non biologiques. Les êtres humains deviendraient alors des cyborgs qui pourraient s’interconnecter.

Les liens pourraient devenir tellement étroits que la personnalité pourrait subsister une fois l’enveloppe charnelle disparue ou, au contraire, que l’individualité pourrait disparaître alors même que l’enveloppe charnelle persiste.

A partir de là, d’innombrables futurs totalement étrangers peuvent être imaginés. Résumons deux hypothèses extrêmes, une totalement négative, une totalement positive.

Un futur lointain connecté et dystopique

Les femmes et les hommes sont tous reliés virtuellement les uns aux autres. Les pensées, les idées, les informations franchissent les enveloppes corporelles. Malheureusement, il n’est plus possible à l’immense majorité d’empêcher ces transferts. La liberté de pensée indépendante a été annihilée sauf pour une infime minorité qui est la seule à pouvoir à loisir soit s’isoler, soit se nourrir des sensations et des souffrances des autres.

La police de la pensée est devenue réalité à un point tel que les univers les plus dictatoriaux apparaîtraient comme un soulagement à ceux qui peuplent cet océan de douleurs. L’existence ici est pire que la mort. Avec ce qui leur reste de raison, les femmes et les hommes préféreraient donc mourir, mais se suicider n’est plus possible. Hier, il n’y avait pas de réel droit à la vie, parce que tout le monde mourait après au maximum un peu plus d’un siècle. Aujourd’hui, il n’y a plus de droit à la vie, il y a obligation de vivre et d’être esclave.

Au départ, le but sincère des créateurs de ce monde était d’empêcher la violence, d’assurer la surveillance et de faciliter les contacts. Le chemin de l’enfer a donc bien été pavé de bonnes intentions. C’est la maxime « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » qui s’est accomplie au-delà de toute imagination. C’est illustré par des plaisirs sadiques toujours plus abjects de quelques-uns et des souffrances toujours plus inconcevables pour des milliards.

Un futur connecté lointain et utopique

Les êtres humains ont appris à s’entendre, se respecter et se comprendre. Chacun peut ressentir les joies et les sentiments des autres, mais ne le fait que pour entretenir l’harmonie. L’humanité est unie pour le meilleur et pour le pire, mais en s’unissant elle réalise le meilleur. Il n’y a plus d’isolement que pour des expériences artistiques et scientifiques qui ensuite enrichissent la communauté. Les mots et les images du début du 21e siècle ne suffisent pas à exprimer la plénitude de tous et de chacun. Les progrès technologiques ont supprimé la douleur et le vieillissement non souhaités.

En cas d’accident, les corps peuvent être reconstitués avec tant de précision que la copie est indistinguable de l’original. La douleur et la violence infligées aux autres ne sont pas seulement inacceptables, elle sont devenues impensables, psychologiquement impossibles. En quelque sorte, des concepts comme le nirvana ou le paradis sur terre sont devenus réalité avec deux différences majeures:

  • C’est l’humanité qui a créé ce futur et point un Dieu
  • Il n’y a pas d’enfer, pas de châtiment, pas de passage par la mort

Et, pour reprendre Nino Ferrer dans « Le Sud » Et le temps dure longtemps. Et la vie sûrement. Plus d’un million d’années. Et toujours en été.

Un futur envisageable?

Depuis des millénaires, des récits explorent un futur paradisiaque ou, plus souvent, infernal. A ce jour, les pessimistes ont eu globalement tort, mais imaginer le pire est un des moyens de diminuer les risques qu’il devienne réalité.

Les avancées informatiques nous donnent une vision nouvelle, un peu plus envisageable, de ce futur lointain. Il se pourrait cependant que la vision de la communauté liée par des applications informatiques soit une métaphore qui s’avèrera incorrecte et inutilisable lorsque nous aurons acquis plus de connaissances du cerveau. Rappelons, pour signaler la difficulté de la compréhension neurologique qu’à ce jour, nous ne savons toujours pas comment une information est stockée dans notre système nerveux.

Il se pourrait donc que ce futur intimement connecté reste à jamais un rêve ou un cauchemar:

  • parce que les connaissances dans ces domaines ne progressent plus ou régressent;
  • ou parce que nous aurons décidé de ne pas explorer ces possibilités.

Qui vivra verra.


Les bonnes nouvelle du mois.

Vie plus longue des humains et des canidés.

Cinq années de vie en plus en 15 ans pour les citoyens du monde


L’Organisation Mondiale de la Santé a fait savoir que « l’’espérance de vie a progressé de manière spectaculaire depuis 2000 ». Il s’agit d’une augmentation de cinq années depuis le début du 21ème siècle. L’OMS ajoute que les inégalités sanitaires persistent. Cependant, il faut noter que, globalement, les différences de durée de vie entre citoyens de pays pauvres et citoyens de pays riches s’amenuisent.

La longévité, est-ce que cela n’est vraiment pas fait pour les chiens?

La rapamycine est un médicament qui, outre des effets dans la lutte contre certains cancers,  semble efficace pour allonger la durée de vie de mammifères. Après des tests sur des souris, ce sont maintenant des chiens domestiques qui, à titre expérimental, vont recevoir cette substance. C’est l’université de Washington, à Seattle (Etats-Unis) qui mène le « Dog  Aging Project » avec des chiens de 6 ans au moins.  L’objectif déclaré est de permettre au « meilleur ami de l’homme » d’accompagner sa famille d’adoption en bonne santé durant 2 à 5 ans de plus.

La presse s’est assez abondamment et positivement fait l’écho de cette expérience. D’ailleurs, de manière générale, la presse s’exprime de plus en plus positivement en faveur des recherches pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue, voire un jour sans limite. Il serait souhaitable de favoriser des recherches thérapeutiques similaires sur des femmes et des hommes âgés informés et volontaires pour faire progresser les connaissances en matière de santé.


Pour en savoir plus:

Source de l’image: Push and Pull de Sol Kjok Push

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