La mort de la mort. Lettre d’avril 2016. Numéro 85.

(En) quoi serait-il immoral de souhaiter de telles améliorations pour soi et pour ses enfants à partir du moment où le consensus contre la vieillesse et la mort est à peu près aussi large et universel que le consensus contre les maladies ?

Luc Ferry, ancien ministre français de l’éducation. La révolution transhumaniste. 2016 (page 124).


Thème du mois: Les données statistiques et la longévité


Cette lettre aurait pu porter le titre « Big data et longévité”. Bien que le terme de « big data » soient d’usage récent, les statistiques médicales sont utilisées depuis des siècles pour aider à lutter contre la maladie, l’avènement de l’informatique ne facilitant que le traitement des données.


En matière de calcul d’espérance de vie, les statistiques sont innombrables. Il y a:
  • Les données qui ne sont pas directement liées à l’état de santé: sexe, origine sociale, comportements alimentaires, niveau d’éducation, niveau social, …
  • L’incidence des maladies et affections: durée de vie selon le type de cancer, après un accident cardio-vasculaire, pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer,…
  • L’effet des thérapies sur les durées de vie: durée de (sur)vie avec ou sans chimiothérapie après certains cancers, selon le lieu de l’hospitalisation, selon le type de médicament, …

La puissance de l’informatique permet de rassembler, recouper et croiser ces données avec une précision et une rapidité jamais atteintes. Ainsi, pour prendre un exemple a priori fictif, si une substance anticancéreuse est plus efficace sur les femmes végétariennes atteintes d’un cancer du poumon que sur les autres personnes, cela devrait être détecté très facilement en analysant les données, même si personne ne s’était posé la question auparavant pour autant que les données concernées soient enregistrées. Les applications logicielles détecteront ce qui est significatif.


Cependant, même avec des données parfaites, détecter une corrélation n’est pas détecter une causalité. Par exemple, les statistiques montrent une corrélation entre la pratique sportive et la longévité mais pas pour autant de lien de cause à effet. Si l’exercice physique modéré est certainement nécessaire pour rester en bonne santé, faire du sport plus assidûment ne l’est pas nécessairement. Il se peut que les personnes en mauvaise santé fassent moins de sport parce que c’est plus difficile pour elles. Il se peut donc que les personnes qui font moins de sport meurent plus rapidement à cause de leurs problèmes de santé et non parce qu’elles font moins de sport.


Par ailleurs, détecter une causalité ne donne pas nécessairement de piste de solution. Le processus de vieillissement comprend de nombreux effets physiologiques y inclus des effets banals par exemple les cheveux blancs. La composition de notre corps se modifie, mais dans de nombreux cas, rétablir l’état de « jeunesse » d’un élément donné sera sans intérêt car l’élément modifié n’a en lui-même pas d’effet néfaste. Ainsi, parvenir à ce que les cheveux ne changent pas de couleur n’a probablement guère de conséquence positive alors qu’augmenter la capacité pulmonaire qui diminue avec l’âge en aura très probablement.


Par ailleurs, actuellement, les études statistiques se basent sur des éléments recueillis de manière imparfaite et avec des biais possibles. Ainsi, le calcul de la durée mesurée de (sur)vie d’une personne atteinte d’un cancer se mesure à partir de la date de sa détection. Mais le moment de cette détection variera selon le moment du contrôle. Toutes choses étant égales par ailleurs, la durée de survie mesurée devrait donc être plus grande là où il y a plus d’examens de prévention simplement parce que le cancer est détecté avant et que donc la durée de vie mesurée après cette détection est plus longue que si la détection avait été faite lorsque la maladie est plus étendue.
Les développements de capteurs de plus en plus précis et de moins en moins encombrants peuvent être très utiles. Ils permettent de mesurer, pour de très nombreux individus, les données vitales. L’utilité en termes de mesures médicales serait encore plus importante si le séquençage génétique des personnes concernées était effectué et si les données de plusieurs sources sont assemblées.


Les législations sont actuellement très restrictives pour l’utilisation des données, particulièrement en Europe.  Pourtant, si les citoyens pouvaient être convaincus qu’elles seront utilisées à bon escient, il est presque certain qu’ils seraient nombreux à souhaiter contribuer aux connaissances en matière de santé.  C’est en effet une manière d’aider qui bénéficie d’abord aux plus faibles et qui ne coûte (presque) rien à l’individu « mesuré ».


Ce qui est donc nécessaire, c’est de mettre sur pied des garanties pour que les citoyens sachent que les données recueillies servent uniquement à la personne mesurée elle-même et à la recherche médicale. En d’autres termes, il serait utile:


  • D’inscrire dans la législation l’interdiction aux sociétés d’assurances, aux mutuelles, aux opérateurs médicaux, … de toute utilisation en dehors des cas cités (en France, c’est déjà globalement le cas)
  • De créer des espaces informatiques protégés où les données sont conservées uniquement pour les usages prévus (des obligations existent à ce sujet)
  • Enfin et, surtout, d’encourager les citoyens à mettre en commun les informations accessibles en insistant sur le fait que le but est de permettre une vie en bonne santé plus longue, non pas (seulement) pour ceux sur qui les données sont mesurées, mais pour la collectivité. Pour paraphraser Kennedy, nous pourrions inciter le citoyen à ne pas se demander ce que ses données médicales peuvent faire pour lui, mais se demander en quoi ses données médicales peuvent être utiles à la collectivité, en commençant par les plus faibles, les malades.


Par ailleurs, pour que cette utilisation de données nouvelles fonctionne bien, il faudrait au moins des garanties techniques généralement pas encore disponibles aujourd’hui dans deux domaines:


  • La fiabilité des mesures. Aujourd’hui, même deux simples applications informatiques de mesure du nombre de pas sur le même smartphone donneront des résultats différents.
  • La représentativité des participants. Idéalement, pour améliorer collectivement la santé, les systèmes de mesure sont à appliquer à tous. Cependant à court terme, et probablement aussi à moyen terme, les inquiétudes sont trop fortes pour que cela puisse être accepté. Il faudra donc tenir compte de cet élément en faisant appel à des volontaires. Il faudra également tenir compte des effets de mesure introduits par ceux qui n’utilisent plus le système. Par exemple, pour un système qui mesure le degré de bien-être, il est plus que probable que les personnes les plus déprimées, comme celles souffrant de maladies neuro-dégénératives, oublient plus facilement d’utiliser leur smartphone. Le système informatique risque donc de ne pas disposer des toutes les données.


À terme, les capteurs pourraient être de plus en plus facilement injectés ou ingérés et l’examen pourrait comporter l’analyse du patrimoine génétique. Ce serait bien plus précis et avec moins de biais. Cela n’est cependant absolument pas envisageable avant que les conditions de la confiance exprimés plus haut soient largement établies. Il se pourrait cependant qu’un groupe de citoyens particulièrement soucieux de la santé collective se porte volontaire pour être mesuré.


Il est utile de citer ici la plus grande limite des « big data » médicaux. Elles pourraient permettre rapidement de déterminer les groupes à risque, de définir les actions préventives les plus efficaces, de comprendre pourquoi certains groupes ont une meilleure santé (pour des raisons génétiques, culturelles ou sociales). Par contre, elles ne suffiraient pas pour permettre des gains considérables de longévité. Pour cela, il faudra également des avancées médicales pour lutter contre les causes du vieillissement qui touchent tous les citoyens avançant en âge, quelle que soit leur situation.

 


La bonne nouvelle du mois: Conférence internationale pour la longévité en Russie


Des chercheurs et spécialistes de la longévité se sont réunis du 25 au 28 avril à Saint-Pétersbourg en Russie pour une conférence intitulée « Biomedical Innovation for Healthy Longevity » pour échanger des informations et des idées.  Ils ont notamment abordé les questions concernant la prise en compte du vieillissement dans la Classification internationale des maladies effectuée par l’Organisation mondiale de la Santé.


Pour en savoir plus:

 

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