La mort de la mort. Lettre de novembre 2015. Numéro 80.

Je pense que l’important, c’est de vieillir jeune, pas de vivre vieux. (…). J’ai 79 ans. Je pratique des sports extrêmes. (…) Je compte bien continuer jusque 120 ans si possible. Je vais essayer de faire tout ce qu’il faut pour cela parce que je crois savoir le faire.

Joël de Rosnay, scientifique, prospectiviste et écrivain, intervention durant une conférence tenue dans le locaux de l’Assemblée nationale française, 20 octobre 2015.


Thème du mois: L’intelligence artificielle au service de la longévité


 

Qu’est ce que l’intelligence artificielle?

Nous ne savons pas exactement ce que c’est que l’intelligence. Nous ne savons a fortiori pas exactement ce qu’est l’intelligence artificielle (IA). C’est en tout cas une notion évolutive. Ainsi, les réalisations dont sont aujourd’hui capables les applications informatiques, du jeu d’échec à la traduction en passant par la conduite automatique auraient été qualifiées comme de l’intelligence artificielle puissante il y a cinquante ans. Aujourd’hui, nous considérons généralement cela comme une simple automatisation logicielle. Pour beaucoup, l’IA c’est toujours ce que la machine ne sait pas encore faire.

Ce qui n’existe certainement pas encore, c’est une intelligence générale qui serait similaire à la nôtre par sa diversité, ce qui est généralement appelé intelligence artificielle forte. Par ailleurs, ce qui n’existe pas non plus, c’est une intelligence artificielle qui dispose d’une conscience que nous pouvons détecter. Il  est vrai que nous savons encore moins ce qu’est la conscience que ce que c’est que l’intelligence.

Cependant, en rassemblant tous les composants aujourd’hui disponibles de raisonnement informatique, nous ne sommes peut-être pas si loin de l’IA forte. C’est à la fois enthousiasmant et inquiétant. Nous savons que l’intelligence de l’être humain le rend capable du meilleur comme du pire. Mais dans le pire, comme dans le meilleur, il reste limité par des barrières techniques et physiques. Il n’est pas certain qu’une intelligence artificielle aurait les mêmes barrières.
C’est notamment en fonction de cette hypothèse, que certains, bien que tout à fait en faveur des développements de l’intelligence artificielle, estiment qu’il faut procéder avec conviction, mais aussi avec une extrême prudence. Un des aspects de cette stratégie peut être de réfléchir en termes de développements informatiques en donnant une priorité aux développements de la santé et à tous les développements qui protègent l’humain plutôt qu’à tout ce qui peut le menacer (développements militaires par exemple) ou ne lui est pas directement utile.
Les développements de l’intelligence artificielle pour la longévité
En ce qui concerne les aspects statistiques et factuels de la longévité et, plus largement, de l’état de santé, nous disposons d’une quantité d’informations absolument gigantesque et en croissance rapide. Les dates de naissance et de décès des citoyens ainsi que certaines autres données de base (sexe, lieu de résidence, profession,…) sont des données connues précisément pour des centaines de millions d’individus. De nombreux éléments complémentaires utiles en matière de santé sont enregistrés, pour un nombre de citoyens croissant rapidement et qui se compte probablement déjà en dizaines de millions: taux d’activité physique, rythme de sommeil, milieu social, nombre et type de visites médicales, consommation de médicaments,…
L’utilisation informatique de ces données pourrait présenter de nombreux avantages:
  • Détermination de liens entre une longévité accrue, ou au contraire une longévité réduite,  et certaines caractéristiques: alimentation, durée de vie des autres membres de la famille, consommation de médicaments déterminés, poids, activités sportives et sociales,…
  • Élimination de nombreuses hypothèses relatives à la longévité accrue (ou réduite) par la détection des erreurs de perception statistique (par exemple la surestimation de l’âge de décès de certains peut être détecté par la comparaison de cohortes d’individus d’une période à l’autre ou d’un pays à l’autre).
  • En terme de vie privée, l’utilisation de l’intelligence artificielle peut garantir qu’aucun être humain, même le médecin traitant, n’ait connaissance d’une maladie ou d’une affection. Cela exige bien sûr l’établissement de barrières juridiques, informatiques et éthiques strictes empêchant l’accès humain aux données non anonymisées.
Toutes ces études devraient permettre de mieux déterminer comment « mettre toutes les chances de notre côté » pour une vie en bonne santé plus longue.
Mais nous pouvons aussi utiliser l’IA pour tenter d’aller beaucoup plus loin, pour la lutte pour une vie en bonne santé presque sans limite de durée.
L’utilisation d’applications nouvelles pourrait être utile pour:
  • Remplacer des expérimentations animales et sur des êtres humains par des analyses sur des modélisations informatiques de ces expérimentations. Outre les avantages éthiques (pas de mauvais traitement, pas de risque de santé) ainsi que financiers (un test en laboratoire est généralement coûteux), il y a un avantage en matière de temps disponible. Ce qui aurait pris au grand minimum deux ans avec des souris et jusqu’à une décennie avec des hommes, est réalisé par des machines fonctionnant quelques heures. Aujourd’hui, en l’état actuel des connaissances biologiques et informatiques, ce n’est encore possible que dans des cadres limités.
  • Créer systématiquement des modèles informatiques de molécules proches de celles qui semblent présenter un effet en matière de longévité et des modèles de séquences génétiques qui semblent avoir un effet en matière de longévité. Dans les deux cas, examiner ensuite les conséquences possibles sur le modèle informatique d’abord, avant d’aborder le modèle biologique.
  • Plus largement, les mécanismes relatifs au vieillissement sont d’une extraordinaire complexité. Des moyens qui apparaissent a priori tout à fait fantaisistes peuvent avoir un impact non négligeable. Qui penserait par exemple, s’il n’avait pas lu des informations scientifiques à ce sujet, que donner moins de nourriture à des souris les feraient vivre plus longtemps, que l’on meurt moins les jours de fête ou encore que d’avaler un produit que l’on pense nocif fait réellement vivre moins bien (effet nocebo). Il est probablement possible de « mimer la sérendipidité » par des recherches informatiques. La sérendipité est la découverte de quelque chose qui n’est pas spécifiquement recherché. Ici, il s’agirait de découvrir un effet en matière de longévité à partir de données qui ont été rassemblées dans un but autre.
Les sociétés actives dans le domaine des « big data » sont nombreuses. À côté d’IBM Watson, de Google Calico, de Google Genomics, de Human Longevity inc., il yexiste des milliers d’entreprises et d’institutions publiques qui disposent d’informations sur la santé. La prise de conscience globale de la possibilité de progresser plus rapidement s’étend, elle aussi, rapidement. C’est une bonne chose dans un monde où le vieillissement est de plus en plus la première source de décès et où, plus que jamais, il est important que la vie humaine soit de plus en plus précieuse.

 


La bonne nouvelle du mois: la première personne au monde à suivre une thérapie génétique pour rajeunir


 


Liz-Parrish-BioViva.png

A 44 ans, Liz Parrish, dirigeante de la société BioViva, a annoncé qu’elle s’était soumise à un traitement de thérapie génique pour lutter contre le vieillissement. Il s’agit notamment de freiner le raccourcissement des télomères. Ce traitement sera insuffisant, même en cas de succès, en tant que preuve scientifique (par exemple, il n’est pas en aveugle) mais il montre le courage, la conviction et l’engagement de certains.
Le traitement s’inscrit en outre dans un ensemble d’avancées en matière de thérapies géniques qui soulève un intérêt qui dépasse le cercle des « longévitistes » parce qu’améliorer le patrimoine génétique devient de plus en plus aisé.

 

Pour en savoir plus:

 

Laisser un commentaire