La mort de la mort. Numéro 10. Décembre 2009.

Sera puni (…) quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
(Article 223-6 du Code pénal français)

Thème du mois: l’impératif d’assistance à personne âgée en danger


Scène hypothétique. Vous êtes chef d’une petite gare de chemin de fer à deux voies. Sur une voie, un bébé dort dans une poussette bloquée. Sur l’autre voie, un vieillard en chaise roulante est également immobilisé. Un train de marchandise arrive et vous ne pouvez plus l’arrêter. Allez-vous actionner l’aiguillage pour écraser le bébé ou le vieillard?

Et maintenant la même scène hypothétique, mais la mère s’est précipité et vient de déplacer la poussette. Cette fois, il y a peu de chances que vous hésitiez, vous allez faire passer le train sur l’autre voie.

Au cours des siècles, il est probable que vous auriez réagi très différemment à un problème moral de choix entre un vieillard et un bébé. Il y a 300 ans, tuer un être qui n’avait pas une chance sur deux d’atteindre l’âge adulte était un acte moins grave que tuer un autre être humain, âgé ou non.

Aujourd’hui, inconsciemment ou consciemment, certains se diront qu’une personne âgée « a fait son temps ». Pour les personnes âgées considérées dans leur ensemble. Il serait « bon » qu’elles meurent de vieillesse afin de pouvoir « laisser la place » aux générations futures. Ce raisonnement n’est cependant pas suivi à l’échelle individuelle. Lorsque, par exemple, un homme d’âge mur laisse ses parents mourir dans leur maison mal entretenue pour pouvoir bénéficier rapidement de leur héritage, la désapprobation sera considérable même si le raisonnement est similaire au précédent.

Le droit de nombreux pays européens connaît le délit de « non assistance à personne en danger ». Si vous assistez à une scène où la vie d’une personne est mise en danger, il vous est fait obligation de tenter de la sauver pour autant que votre vie ne soit pas à son tour en danger.

Dans ce raisonnement, l’infraction sera établie même si vous aviez une raison de ne pas vous arrêter. « J’ai ben vu qu’il allait mourir, mais mon train allait partir et j’avais déjà payé mon ticket » ne sera pas une cause de justification valable.

En fait, ce raisonnement n’a jamais été appliqué que dans des cas individuels où le risque pour la vie était immédiat. Nous savons qu’il est possible de sauver des personnes mourant de malnutrition, mais personne ne sera poursuivi parce qu’il ne verse pas d’argent à une ONG. Nous savons aussi que ne pas fumer dans les cafés sauve des vies, mais un tribunal ne considérera pas l’absence d’action contre le tabac comme de la non-assistance.

Le même raisonnement pourrait s’appliquer pour les personnes âgées. Si vous voyez une personne très âgée effondrée sur le trottoir et que vous passez votre chemin, vous pourriez être condamné. Si, comme chercheur, vous trouvez un produit capable d’octroyer des années supplémentaires de vie en bonne santé, aucun juge ne vous condamnera si vous passez quelques mois à négocier le meilleur contrat possible avec une firme pharmaceutique. Et ceci, même si le produit est potentiellement utile à tous, y inclus le juge approchant de l’âge de la pension.

Un autre argument parfois entendu au sujet de la prolongation de la vie en bonne santé est « qu’il n’y aura pas assez de place pour tout le monde ». La terre est considérée comme potentiellement surpeuplée depuis Malthus, mort en 1830 dans une terre qui comptait alors à peine un milliard d’habitants. Si la mort de vieillesse cessait totalement demain, il faudrait 50 ans avant que la population d’un pays comme la Suède soit augmentée de seulement 35 %.

Nous avons donc bien des décennies pour résoudre ce problème potentiel. Et ici encore, dans un cas individuel, le juge aurait bien du mal à entendre un argument de type « Mais monsieur le juge, si je l’avais sauvé, dans 50 ans, mes enfants risqueraient de ne pas avoir assez pour vivre par sa faute. »

Pourquoi, seule l’abstention directe est-elle actuellement considérée intuitivement comme condamnable? Voici quelques-unes des raisons:

– Loin des yeux, loin du cœur. Infliger la mort est perçu très différemment si la victime est physiquement proche ou lointaine. Il vous serait plus facile de tuer en apposant une signature ordonnant une exécution qu’en tirant un coup de revolver. Et ce serait plus facile en tirant un coup de revolver qu’en devant égorger soi-même cette personne même complètement ligotée. Inversement, sauver en faisant un virement électronique depuis votre ordinateur sera plus difficile que de sauver en donnant de l’argent si vous voyez des blessés réclamant des soins mais n’ayant pas les moyens de les payer.

– Le degré d’incertitude Vous n’êtes pas certain qu’en versant de l’argent pour une ONG ou pour la recherche scientifique, vous sauverez des vies. A noter cependant que si vous êtes poursuivi pour non-assistance, le juge appréciera peu une réponse de type: « De toutes façons, j’ai bien vu que cette femme allait probablement mourir même si j’appelais les secours ».

– La dilution des responsabilités. Des millions de personnes pourraient agir et donc chacune aura une tendance naturelle à n’agir que si les autres agissent. Ainsi, comme il a été démontré lors d’expériences de psychologie (avec des acteurs), il vaut mieux avoir une crise cardiaque dans une pièce avec un inconnu qui se sentira obligé d’agir que dans une pièce avec dix inconnus où chacun pensera que c’est aux autres d’agir.

Mais, pour les victimes de nos actions et de nos abstentions, directement ou de loin, peu leur chaut que vous les laissiez mourir sans les voir ou en les voyant. Ce qui importe, c’est que nos abstentions ou nos agissements sauveront des vies ou seront co-responsables de décès.

En ce sens, même si nous ne serons très probablement jamais condamnés si nous ne faisons rien, lutter collectivement pour une vie plus longue et en bonne santé et lutter contre tout ce qui provoque des morts évitables notamment celles de malnutrition apparait à tout le moins comme un impératif éthique.

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La bonne nouvelle du mois: un pas de plus vers la régénération des organes

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Une société américaine, « Organovo » s’apprête à mettre sur le marché, pour des institutions de recherche, un appareil capable de produire des tissus animaux ou humains à partir de cellules. A moyen terme, c’est un pas vers la régénération d’organes à partir de cellules souches.

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